Luxleaks : Antoine Deltour, le discret lanceur d'alerte a la "conscience citoyenne"

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Lanceur d’alerte : voilà un nouveau sacerdoce qui n’est pas sans risques. Antoine Deltour s’en est aperçu à ses dépens. On ne plaisante pas avec le secret des affaires au Luxembourg (ou ailleurs) et la fameuse transparence n’est pas vraiment à l’ordre du jour ! [1]

Avec deux collègues, cet ancien employé du cabinet d'audit PricewaterhouseCooper [2] est accusé d'avoir détourné une masse d’informations stratégiques (on cite le chiffre de 22.000 pages) et de les avoir diffusées pour dénoncer les pratiques d'évasion fiscale de grandes multinationales établies comme par hasard au Luxembourg. [3]

L’affaire a commencé en novembre 2014 quand des journalistes ont révélé le pot aux roses : des firmes comme Apple, Ikea et Pepsi ont mis au point un système pour économiser des milliards de dollars d'impôts à l'époque où (circonstance aggravante) le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker [4] était Premier ministre du Luxembourg (1995-2013).

Slogan de Luxleaks et des Lanceurs d’alerte

Le procès de ceux qu’on appelle les "Luxleaks" s'ouvre ce mardi 26 avril devant la justice du Luxembourg. Les chefs d’accusation ne manquent pas puisqu’il encourt jusqu'à 10 ans de prison pour "vol domestique", "violation du secret professionnel" et surtout "divulgation de secrets d'affaires". La main est lourde pour avoir organisé la fuite de documents fiscaux du cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers (PwC) qui s'est porté partie civile. 


Alors, traître comme disent les autorités luxembourgeoises ou plus simplement lanceur d’alerte pour cet homme qui a ensuite transmis ses précieux documents au journaliste de "Cash Investigation" Édouard Perrin qui révèle l’affaire en  2012, avant la publication des documents par le Consortium international des journalismes d'investigation deux ans plus tard. Et ce n’est pas son titre de citoyen européen de l'année qui servira à Antoine Deltour pendant son procès, ni le prix Éthique de l'ONG Anticor.
Lui ne revendique rien de plus : « Ni un justicier, ni un martyr » se récrie-t-il lors d’une interview dans le Journal du dimanche.

Ce vosgien originaire d’Épinal met les choses au point, insistant sur le fait qu’il a voulu « dénoncer des pratiques très répandues dans de nombreux pays dont les Pays-Bas et l'Irlande". C’est en "citoyen", qu’il a voulu agir, recherchant « la nécessité d'une plus grande justice fiscale et de plus de transparence". On lui reconnaît « un sens moral développé » dès sa jeunesse où il a milité dans des mouvements associatifs sur le commerce équitable et les causes écologiques. [5]

Simple "source anonyme" au départ, il « ne souhaite pas devenir un symbole » même s’il est question du premier grand procès en Europe d'un lanceur d'alerte. Les contribuables européens seraient plutôt enclins à lui trouver beaucoup de qualités, reconnaissant sa "conscience citoyenne". Lors de son arrivée devant le tribunal correctionnel du Luxembourg, des manifestants l’applaudissaient en scandant "Merci Antoine".

S’il a démissionné de la filiale de son cabinet de consultants, c’est justement parce qu’il a été scandalisé par les pratiques fiscales qu’il a rencontrées et qu’un jour, il n’a plus pu supporter. Alors un jour justement, il s’en va après avoir copié sur le serveur informatique des centaines d'actes fiscaux confidentiels entre l'administration fiscale luxembourgeoise et des multinationales.

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Le journaliste Édouard Perrin, Raphaël Halet et Antoine Deltour


Les pratiques de PwC
Contrairement à Antoine Deltour, son collègue Raphaël Halet, l’ancien chargé du scanning chez PwC était jusqu’alors resté dans l’ombre. Il avait fini par accepter un licenciement à l’amiable, signant en contrepartie un accord de confidentialité avec PwC qui le menaçait d’une demande énorme de  dommages et intérêts. 

PwC avait en effet exercé sur lui différentes formes de pression, lui envoyant par exemple un huissier accompagné de gendarmes à son domicile français pour fouiller son ordinateur et sa messagerie. Il était d’autant plus mal à l’aise que son témoignage risquait de compromettre le journaliste Édouard Perrin s’il est établi qu’il a lui-même demandé les documents à Raphaël Halet.

Mais sur la question essentielle, celle de savoir comment se passaient les négociations des transactions fiscales entre PwC et les autorités luxembourgeoises, black out total. Là encore, la transparence n’est pas la vertu cardinale des Luxembourgeois. Lors du procès, les responsables du fisc ont utilisé l’art de l’absence d’abord, Marius Kohl, le chef des "lanceurs d’alerte" avait envoyé un certificat médical. Son responsable Guy Heintz, le directeur du fisc luxembourgeois, a refusé de répondre à toute question, se retranchant lâchement derrière le « secret fiscal », le « code pénal », et le « statut des fonctionnaires. ».

Pourtant, Raphaël Halet a bien expliqué dans le détail le processus consistant à transférer des millions d'euros au Luxembourg et la quasi absence de contrôle, les documents  étant soumis pour simple approbation à Marius Kohl, qui les tamponnait rapidement avant de les lui retourner. Raphaël Halet a fait le calcul : pour chaque document faisant le plus souvent plusieurs centaines de pages, « Je me suis amusé à calculer : ça faisait trois minutes d’examen par document. » Juste le temps de les tamponner et de transmettre !
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Si les condamnations de principe se sont multipliées, aucune des sociétés incriminées n'a été traduite en justice. Le G20 a pris une décision de principe pour assurer la sécurisation des recettes fiscales des États et la commission européenne a pris quelques mesures insuffisantes sur la transparence fiscale et a manqué d'ambitions quant à son objectif de taxer les bénéfices réels des multinationales.

Seul pour l'instant le Royaume-Uni a instauré un  taux d'imposition sur les « bénéfices détournés » supérieur de 5% au taux normal d'impôt sur les sociétés pour peser sur la politique fiscale des multinationales.


  Site du Comité de soutien à Antoine Deltour --
* Le site pour suivre le procès de Luxembourg --
* Accès au "Support Antoine" sur facebook


Notes et références
[1] Le contenu des accords entre l’administration luxembourgeoise et certaines grandes entreprises demeure secret : le nom des entreprises bénéficiaires et les taux effectifs d’imposition sont secrets.
[2] Selon Selon l'International consortium of investigation journalists, en plus de PwC, des salariés de trois autres grands cabinets d'audit et de conseil ont aussi participé à cette action :  EY, Deloitte et KPMG

[3]
Mais, même dans l'UE, ça aurait pu être aussi bien en Irlande ou dans certains paradis fiscaux du Royaume-Uni comme les îles anglo-normandes ou la partie anglaise des îles vierges.
[4] Le mécanisme est repris dans le rapport Krecké en 1997, mentionnant que ceci pourrait entacher la réputation du Luxembourg. Jean-Claude Junker nia d'abord avoir eu connaissance de ces informations puis il se résolut par l'admettre.
[5] Les signataires qui soutiennent Antoine Deltour soulignent les avancées rendues possibles par les révélations des LuxLeaks et dénoncent les poursuites intentées comme « politiquement injustes et éthiquement inacceptables. »


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