Référence : Jean-Marie Constant, "C’était la Fronde", Collection Au fil de l’histoire, éditions Flammarion, 397 pages, février 2016

 
[Jean-Marie Constant, professeur émérite à l’Université du Maine, ancien président de la Société d’étude du XVIIe siècle, est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Ancien Régime, dont Les Guise, La Ligue, Naissance des Etats modernes, La Folle Liberté des baroques, Henri IV et Gaston d’Orléans.]


La Fronde (1648-1652), [1] une histoire de famille, les Grands du royaume qui se révoltent contre l’autorité royale… avec dans leur carton le frère du roi, Gaston d’Orléans, prêt à prendre la relève. On le présente comme plus accommodant, moins intransigeant que son frère… mais que serait ce roi sous le masque du prétendant ? La Fronde serait ainsi un coup d’état pour placer son frère sur le trône… et surtout, pour changer de politique. 

Il faut dire que Louis XIII en personne avait montré la voie, réalisant un véritable coup d’état en 1618 contre sa mère Marie de Médicis n’hésitant pas à faire assassiner Concini son favori par son aide de camp, le maréchal de Vitry, écartant de ce fait sa femme Éléonora Galigaï du pouvoir. Ainsi, le parti de la guerre contre l’Espagne a gagné. Événement d’importance quant au développement de la Fronde

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À quelques mois d’écart en 1642-1643, Richelieu puis le roi Louis XIII meurent, redonnant espoirs à la noblesse qui voient toujours en Gaston d’Orléans un recours et la fin de cette fichue Guerre de 30 ans qui n’en finit pas. Louis XIV n’est encore qu’un enfant, sa mère Anne d’Autriche règne avec le cardinal Mazarin, un Premier ministre trop puissant aux yeux de l’opinion exaspérée par la pression fiscale et les dépenses continuelles pour financer les guerres.

Une situation explosive dont le pouvoir ne semble pas avoir pris la mesure. La révolte gronde dans le pays, menée par les Parisiens mais aussi les princes de sang et les parlements de région... Parmi ces frondeurs se trouvent la fine fleur de la noblesse, le prince de Condé qui jouera un rôle considérable dans les deux volets du conflit, le futur cardinal de Retz, les grandes princesses, les juges des parlements, censés agir pour le "bien public".

La Fronde, c’est tout à la fois une guerre civile avec des combats sanglants qui ont instillé des haines profondes et décimé la noblesse et une vision romantique de la guerre inspirée des romans de cape et d’épée qu’écriront au XIXe siècle Paul Féval ou Théophile Gautier, doublée d’une tragédie à la Corneille ou à la Racine.

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De la Fronde parlementaire à la Fronde des princes

La Fronde parlementaire (1648-1649)
Si dans un premier temps le Parlement sort vainqueur de son bras de fer avec Anne d'Autriche et Mazarin, ces derniers recherchent le moyens de reprendre l'avantage et déclarent la banqueroute de l'État. Mais l'arrestation de 2 des "chefs" parlementaires, René Potier de Blancmesnil et Pierre Broussel provoque la levée de nombreuses barricades autour du Palais royal. Sous cette pression, le pouvoir est obligé de les libérer rapidement mais il sera sauvé par le ralliement du prince de Condé, vainqueur récent des Espagnols à Lens qui proclame « Je ne saurais souffrir l'insolence de ces bourgeois qui veulent gouverner l'État ; je m'appelle Louis de Bourbon… » 

Malgré ça, la reine et Mazarin tactiquement lâchent du lest et font mine d'accepter plusieurs conditions du Parlement.

Mais comme rien n'est réglé, la guerre est inévitable. Elle se déroule début 1649 surtout autour de Paris quand la cour se retire à Saint-Germain et que le pouvoir royal décide le blocus de la capitale. Si ce dernier a l'avantage militaire, la guerre contre l'Espagne l'incite à modérer sa position et à signer la paix de Saint-Germain le 1er avril 1649.
Mais en fait, rien n'est réglé.


 
Le "Grand Condé"     Son frère le prince de Conti     Pierre Broussel

La Fronde des princes (1651-1653)
L'arrestation des princes de Condé, de Conti et de leur beau-frère le duc de Longueville en janvier 1650 augure mal de la suite. Mazarin va passer l'année 1650 à désamorcer de nombreux soulèvements en province (la Guyenne en particulier), malgré le ralliement de certains frondeurs.


Isolé après l'alliance entre Gaston d'Orléans, les frondeurs et les partisans des princes, le Cardinal est contraint à l'exil en février 1651, le jeune roi et sa régente de mère bloqués à Paris. Le pouvoir n'est plus exercé qu'à travers les factions. Malgré la libération des princes, les dissensions entre frondeurs et les intrigues finissent par les affaiblir. Condé reste l'homme clé incontournable et la majorité du roi proclamée le 7 septembre 1651, ne change rien.


Vers la mi 1651, la France est partagée entre Paris aux mains du Parlement, Condé qui tient une grande partie du Sud-ouest et le roi (rejoint par le maréchal Turenne) bien décidé à en découdre avec Condé. Après une campagne militaire victorieuse du roi, la Guyenne est perdue pour Condé. Le roi en profite pour rappeler Mazarin. Dès lors, les troupes de Turenne vont harceler celles de Condé et organiser le siège de Paris où Condé a fini par se réfugier.

La crise se dénoue peu à peu et le 24 septembre 1652, une manifestation devant le Palais-Royal provoque la démission des rebelles de Broussel. Condé quitte Paris le 13 octobre avec plusieurs frondeurs. Louis XIV peut enfin entrer triomphalement dans Paris le 21 octobre 1652 et s'installe au Louvre. Seul le prince de Conti continue la lutte qui finira par la paix de Pézenas en juillet 1653.

Comment analyser cette tragi-comédie ?
Curieux temps que cette Fronde, unique dans les annales qui voient Parlement, peuple de Paris et noblesse se liguer contre la monarchie en pleine guerre contre l’Espagne. Et c’est bien le problème : cette guerre que la France est pourtant sur le point de gagner, a fini par ronger les soutiens traditionnels de la monarchie.

Depuis une bonne quinzaine d’années, Louis XIII et Richelieu ont accru la pression fiscale pour financer l’énorme effort militaire sans en avoir référer ni aux États généraux ni au Parlement de Paris. Stratégie ou pas, la guerre a eu pour conséquence de renforcer le pouvoir royal au détriment du Parlement de Paris et de la haute noblesse qui, en plus, compte dans ses rangs des membres du parti dévot, pro espagnol et partisan de réformer le Royaume.

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La régente Anne d’Autriche et son ministre Mazarin ont malgré tout poursuivi la politique précédente.
Au-delà des motifs politiques, l'histoire de la Fronde est aussi une histoire passionnelle, celle d'une noblesse qui aimait les duels et jouer aux héros. Parmi les grandes figures de la rébellion figurent de grandes familles du royaume, les Orléans, les Condé, La Rochefoucauld ainsi que de "grandes dames" comme  La Grande Mademoiselle, la duchesse de Longueville ou la duchesse de Chevreuse. Tous (et toutes) se poussent du coude pour jouer un rôle politique, d'où les revirements et les renversements d'alliances qui brouillent le jeu politique.  

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La "Grande Mademoiselle"                                             Duchesse de Longueville


Selon l'historien Jean- Christian Petitfils, « ce mouvement est une réaction d'une oligarchie cherchant à protéger ses privilèges contre la montée de l'absolutisme royal. » (JC. Petitfils, Louis XIV, Perrin, 1995, p. 81-82) C'est l’histoire d’un échec : le Parlement rentrera dans le rang et la noblesse, malgré ses rodomontades, ses velléités d'autonomie en 1651-52 à Paris et Chartres, sera mise au pas par une Royauté en marche vers l'absolutisme. 

Seul Condé qui combat d'abord la Fronde avant de se retourner contre son roi, continuera la lutte avec les espagnols mais finira par faire sa soumission en 1559. Avec ce mouvement de fond, véritable guerre civile intermittente qui dura quand même quelque 5 ans, plus rien ne sera comme avant mais la France a perdu l'occasion d'une évolution "en douceur" vers une monarchie plus libérale.

    
Gondi, cardinal de Retz  Maréchal Turenne  François, duc de La Rochefoucault

Louis XIV et la Fronde
Au-delà du factuel et de la vision historique de l’auteur, cette nouvelle plongée dans la période de la Fronde m’inspire aussi quelques réflexions sur la personne du roi. L’époque tourmentée de la Fronde a beaucoup impressionnée le jeune roi, l’a marqué au point qu’il ne s’est jamais senti à l’aise dans ce Paris frondeur et s’est empressé, dès sa prise de pouvoir en 1661, à la mort de Mazarin, de décider la construction du château de Versailles et n’eut de cesse de l’agrandir et de l’embellir. Rendez-vous compte que sans la Fronde, la France n’aurait jamais eu ce joyau dans son patrimoine !

D’où sa volonté de brider une noblesse décidément indomptable et émeutière qui, comme le prince de Condé, perd tout sens des réalités politiques hors du champ de bataille. Cette noblesse belliqueuse, il allait la coller à ses basques, la museler dans cet espèce de chaudron que fut la cour à Versailles, objet de toutes les jalousies et de toutes les bassesses pour obtenir quelque honneur ou quelque prébende du souverain.

Ce vécu explique peut-être aussi le goût de Louis XIV pour la tragédie, référence à celle qu’il connut dans sa jeunesse, revisitée, transfigurée par la plume de Racine et de Corneille,  transposée dans une époque lointaine, celle de la Rome antique par exemple, plus propice aux que Il y retrouvait sans doute aussi l’atmosphère de la révolte, des personnages sans concession broyés par le pouvoir, un monde de dureté où les grands sentiments font mauvais ménage avec la réalité du quotidien, où la clémence de Titus n’a aucune place.

D’où également son goût pour un Molière qu’il a toujours soutenu (envers et contre tout) qui dénonçait certains traits de cette noblesse dont le roi instinctivement se méfiait, s’en défiant au point d’élever à ses côtés des roturiers qui le servirent toujours avec zèle, dont le prototype est Colbert, et de contracter mariage morganatique avec la dame Françoise d’Aubigné née en prison, longtemps appelée ironiquement « la veuve Scarron », du nom de son premier mari, poète burlesque et handicapé, et qu’il fit marquise de Maintenon

Il devait jubiler de voir sur scène, comme sur la scène politique, tous les Tartuffe de cette époque, un parfum de Femmes savantes se dégager derrière la silhouette de La Grande Mademoiselle (Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier) ou la duchesse de Longueville.
Autant de traits de caractères qui prennent leurs racines dans cette époque de troubles qui l’a tant marqué et tant influencé.

Commentaires et critiques
* « Ce livre se lit avec un infini plai­sir et per­met de bien com­prendre les des­sous d’une révolte particulière ». Le littéraire.com 25 mars 2016
* «
Jean-Marie Constant offre une synthèse claire sur cette période troublée, dont on suit les moments forts à travers les personnalités qui ont jalonné cette époque ». L'actualité littéraire, mars 2016
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Notes et références
[1]
Selon Jean-Marie Constant, La Fronde s'est déroulée entre 1648 et 1652 mais on considère généralement qu'elle débute en 1648 par l'arrêt d'Union du 13 mai 1648 pris par le Parlement pour restreindre les pouvoirs royaux et se termine par la soumission de Bordeaux le 3 août 1653.


Bibliographie
* Orest Allen Ranum, La Fronde, éditions Le Seuil, 1995
* Michel Pernot, La Fronde, éditions de Falois, 1994
* Louis, enfant roi, film de Roger Planchon, 1993
* Robert Merle, Le Glaive et les amours, 2003, roman historique, dernier volume de la série Fortune de France

< Christian Broussas, Constant, Fronde - 21/04/2016 -© • cjb • © >