Référence
 : Thomas Pynchon, Fonds perdus, traduction de Nicolas Richard, éditions Le Seuil, 448 pages, 2014 (édition originale Bleedind Edge, 2013)

Thomas Pynchon, l’arlésienne américaine, a horreur qu’on parle de lui, de se glisser dans la lumière des projecteurs, préférant contempler de loin, en anonyme, la société américaine, ses tics et ses petitesses.

          
Cette fois, c’est une nouvelle version de « son » Amérique qu’il nous donne, de ses grandeurs et surtout de ses ratées, (il voit l’Histoire comme une farce tragique) à un moment où la bulle internet a éclaté, à la lumière de ce qui s’est passé un certain 11 septembre 2001.

« Haletant et drôle » titrait l’Express, l’ironie mordante de Pynchon, cachant un pessimisme mêlé de tendresse pur son pays et pour ces pauvres hommes livrés à eux-mêmes et à ce monde fou-fou toujours en évolution.  Haletant et drôle sans doute, à condition de se couler dans un style à l’emporte-pièce mâtiné de termes d’argot et de références pas toujours limpides pour des Français.
Il lui en a fallu du temps depuis 2001 pour digérer tout ça, pour que paraisse en septembre 2013 "Fonds perdus".

   

L’univers du roman est celui de son personnage principal Maxine Tarnow, une enquêtrice qui cède parfois aux sirènes des lanceurs d’alerte et détecte aussi de curieux messages transmis par fréquences ultrasons. Maxine Tarnow, charmante et plutôt culottée, est une inspectrice des fraudes habitant son Upper West Side natal. Depuis le printemps 2001, elle possède l’agence Filés-Piégés depuis qu’on lui a retiré son habilitation d’enquêtrice anti-fraude à la suite d’histoires de conflits d’intérêts.

 Libérée de cette contrainte, elle gagne bien sa vie en s’occupant de détournements de fonds, détective qui se fond dans la masse, balançant entre cynisme et idéalisme. Avec son Beretta rangé dans son sac à main Kate Spade. Maxine Tarnow n’est plus vraiment jeune, mère juive de deux adolescents qui tient le plus souvent les hommes à distance depuis sa séparation d’avec son mari Horst Loeffler, dont elle dit qu’il était «sentimental comme un silo à grain».

                    

Tout débute par des activités louches dans l’entreprise informatique Hashslingrz. Son savoir-faire lui permet de découvrir que cette société a une pléthore de membres, autant de tentacules pour passer l’argent à des entrepreneurs fantômes ou à de mystérieux émirs, jongler avec des sociétés-écrans, s’accoquiner avec des opérateurs clandestins. Elle réunit même les preuves d’une espèce de crime qu’il nous présente comme «le capitalisme tardif (qui) est un racket pyramidal à une échelle globale ».  

L’univers particulier où se meut Pynchon est symbolisé par un logiciel appelé DeepArcher où écrit-il, « un  sanctuaire virtuel où se réfugier pour échapper à toute la palette des inconforts du monde réel ». Même s’il est attiré par l’univers virtuel, il en voit aussi les limites car écrit-il, « ce que je recherche vraiment se trouve dans une zone qu’aucun moteur de recherche ne peut atteindre. »
Une partie importante du récit se déroule à l’intérieur d’interner (le deep web), dans ce qu’il appelle « cette tapisserie "intranquill" immensément cousue et décousue ». Les personnages (ou leurs avatars) s’y déplacent à l’aide d’une logiciel indétectable, DeepArcher. Cyber-espace en-dessus et "MeatSpace" au-dessus car Pynchon ne voit aucune dissociation véritable entre vie réelle et vie virtuelle.

La difficulté (et l’intérêt) d’entrer dans l’univers de Pynchon tient dans les niveaux de langage qu’il utilise, sa façon de jouer avec les mots, les termes de jargons professionnels (le lexique geek), les termes étrangers difficilement traduisibles, la signification des accents comme celui de Daytona la secrétaire de Maxine, originaire de Jamaica, quartier du Queens à New-York, à l’accent caraïbéen prononcé, l’accent du maffieux russe ou la difficile approche des termes yiddichs.

   
Portrait de jeunesse, un des rares que l'on possède sur cet homme allergique au paraître 


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