Voyage au pays des métallos
En hommage à René Ballet décédé le 1er janvier 2017
Référence : René Ballet, Des usines et des hommes, éditions sociales Messidor, 1987, 255 pages
René Ballet, journaliste communiste et grand reporter au journal L’Humanité, était aussi romancier et grand spécialiste de son ami, le romancier Roger Vailland à qui il a consacré de nombreux écrits dont une biographie publiée chez Seghers coécrite avec Élisabeth Vailland. Il est à l’origine, avec cette dernière, de la publication de la plupart des œuvres posthumes de Roger Vailland.
René Ballet
connaît parfaitement le milieu ouvrier qu’il décrit dans ce livre ; il y
a noué au fil des années de nombreuses amitiés. Il nous mène dans
l’univers quotidien des ouvriers de conditions modeste, dans la lutte
des militants syndicaux à travers de nombreux interviews et tente
d’analyser, d’expliquer les conditions de son évolution.
« Ces discussions n’apportent pas de certitude », se plaint l’un des participants. « Elles soulèvent des questions ».
Oui, il n’existe plus de certitude dans un monde en constante évolution
où le travail se dématérialise, où l’usine n’est plus bien souvent
qu’une structure de production anonyme, filière d’un grand groupe à la
lointaine direction avec qui il est impossible de négocier. Le pouvoir
managérial se dilue laissant les syndicats assez démunis face au manque
d’interlocuteurs valables.
Le conflit de générations s’est aussi déplacé dans l’usine. Les "vieux" déplorent le manque d’implication des nouvelles générations. « Les anciens arrivent une demi-heure à avance pour bichonner les machines » remarque l’un d’eux sans aménité. Ce qui lui vaut cette réponse cinglante : « Ces machines dégueulasses… La seule chose à faire, c’est de tout brûler. »
Brûler l’outil de production, c’est un peu comme déposer les armes
devant l’ennemi, cracher sur le sacro-saint outil de production ! Mais
l’introduction (l’intrusion pour certains) de nouvelles technologies
brouille les cartes et demande aux travailleurs d’inventer de nouvelles
méthodes, de nouvelles manières d’agir.
Le
premier représente la vieille tradition ouvrière, le second vient du
milieu agricole. À l’époque, les conflits sont bien avec le patronat
mais aussi entre mentalités différents de travailleurs issus de milieux
différents, forgés par l’usine ou médiatisés par la famille pour
d’autres, avec une vision différente du patronat. Ce qui ne favorise pas
vraiment la cohésion des travailleurs.
Avis partagés aussi sur les rapports avec la direction, en particulier sur les vertus de la participation chère au patronat : « La participation, c’est mieux qu’avant » ou plus radical « C’est un piège. » De
là à ce que les travailleurs veuillent dépasser la participation et
être partie prenante dans les discussions et les décisions…
L’imprimerie François à Ozoir-la Ferrière dans la région parisienne. Pierre, le secrétaire du Comité d’Entreprise explique : « Les
choix technologiques, les investissements, ce n’est pas seulement
l’affaire du patron. Cela intéresse chaque travailleur ; c’est sa vie,
son avenir qui sont en cause. Nous devons élargir notre champ
d’intervention. »
Chez RVI à Lyon-Vénissieux, on est peu à peu passé de la participation à l’intervention, à partir de discussions sur les "nouvelles méthodes de travail".
Mais ils se méfient des actions de la direction qui pourrait récupérer à
son profit ces différentes évolutions. Pour l’élargissement des tâches
par exemple, certains craignent que la direction n’en profite pour faire
exécuter aux ouvriers des tâches plus complexes sans les payer
davantage.
Ces évolutions se font donc dans un climat de grande méfiance. Il
fallait d’abord contrer les manœuvres de la direction, s’en saisir en
s’efforçant de la retourner contre elle. Par exemple, accompagner les
changements tout en veillant à ce que RVI-Vénissieux ne devienne pas une simple usine d’assemblage.
On
est loin du choix de la couleur des moquettes, de réunions qui traitent
de tout sauf de l’essentiel ! On avance petit à petit vers un forme de
relations qui se présente de plus en plus comme un véritable contre
pouvoir, une force de propositions qui devient incontournable.
Ce qui est sûr, c’est que « aujourd’hui comme hier, l’intervention directe des travailleurs est un événement qui effraie plus d’un tenant des "idées nouvelles" parce qu’elle modifie fondamentalement ce qu’on appelle souvent "le jeu de la politique". »
Sélection bibliographique
* Le romancier
- Échec et mat, éditions Gallimard, 1960
- L’inutile retour, éditions Gallimard, 1962
- Dérive, éditions Calmann-Lévy, 1972
- Une petite ville sans mémoire, éditions Messidor, 1984
- L’organidrame, éditions Messidor, 1986
* L’essayiste et Roger Vailland
- Bourges, une affaire de cœur, éditions Messidor, 1985
- Biographie de Roger Vailland (avec Élisabeth Vailland), éditions Seghers, 1973
- L’œuvre romanesque de Roger Vailland, éditions Club Diderot, 1974
- Les artistes de presse de Roger Vailland, 2 tomes, Éditions sociales/Messidor, 1984
- Préface au Saint-Empire, 1978 et à La Visirova, 1986 de Roger Vailland
* Accès au site Roger Vailland --
<> • • Christian Broussas • René Ballet • °° © CJB °° • 28/02/2017 <>
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