Référence : Nicolas Ostrovski, "Et l’acier fut trempé", éditions Le temps des cerises, préface de François Eychart, préface l’édition originale de Romain Rolland, 395 pages, 2001

    
Portrait d'Ostrovski          Timbre russe

« Tout dans Ostrovski est flamme d’action et de combat, et cette flamme n’a fait que grandir et s’élargir à mesure que la nuit et la mort se resserraient autour de lui. »
Romain Rolland

Livre-fleuve, livre-témoignage, Et l’acier fut trempé est tout ça et encore plus, à partir de la vie pleine de bruit et de fureur du jeune Pavel Kortchaguine plongé dans la guerre et la Révolution d’Octobre. Il se lance dans la guerre civile, plonge dans l’action contre les armées blanches, celle des Polonais en particulier.

À travers les péripéties de la guerre, on appréhende mieux les ressorts des engagements dans les rangs des bolcheviks, la misère du peuple, les pogroms, la dictature sanglante des élites, tout un climat qui a jeté une jeunesse dans les bras des "rouges". On navigue avec quelque difficulté dans ces contrées de l’Europe du nord écartelées entre Russie, Pologne et Ukraine, des frontières changeantes qui vont encore être remises en cause par la guerre. La petite ville de Chépétovka d’où sont originaires Pavel Kortchaguine, Seriojka Broujah et leurs amis, sera finalement rattachée après la paix entre l’URSS et la Pologne, à l’Ukraine russe.

On comprend aussi comment l’individu peut se fondre totalement dans le collectif et l’intérêt général comme le conçoit Pavel : « Pavel perdit tout sentiment d’existence individuelle... Il s’était fondu dans la masse et, comme tous les combattants, il semblait avoir oublié le mot "je" ; rien ne subsistait plus que le "nous" : notre régiment, notre escadron, notre brigade. »  (page 184)

La guerre éloigne souvent, irrémédiablement même comme la mort au front de Seriojka, mais peut aussi rapprocher et, après sa grave blessure, Pavel va retrouver pendant sa convalescence son frère Artem.

« Comprendre pourquoi l’état de la société est comme il est donne la clef de tout ce qui arrive et permet d’y échapper. »
Préface, François Eychart

L’auteur, Nicolas Ostrovski, qui écrivit ce roman largement biographique dans les années trente, fut un acteur de ces événements. À l’âge de 15 ans, il est déjà dans la cavalerie du général Boudienny mais il va mourir à 32 ans, aveugle et paralysé, après avoir écrit un autre roman dans la même veine que celui-ci, "Enfanté par la tempête".

Cet adepte d’Ovode et de Garibaldi, qui reçut aussi la visite d’André Gide, disait qu’il n’existe pour lui  « pas de joie plus grande que celle de combattre pour le bonheur de l’humanité. » Il a voulu faire de son histoire un témoignage pour les nouvelles générations,  et comme l’écrit Romain Roland dans sa préface « vous resterez pour le monde… un exemple de victoire de l’esprit sur les trahisons… car vous vous êtes fait un avec votre grand peuple… Vous avez épousé sa joie puissante et son élan irrésistible. »

Nicolas Ostrovski, ce romantique révolutionnaire, est un pur produit des années vingt en URSS. La Révolution fera de cet homme, qui sans elle serait sans doute resté un anonyme dans son bourg ukrainien, un militant qui prend conscience de son aliénation et de ce qu’il est vraiment. Un très vieux combat qui dans cette Russie souvent ébullition, des Vieux-croyants à Pougatchev, des décembristes aux nihilistes pour arriver à 1905, longue a été la route pour tenter de changer l’ordre social. Pavel et ses amis seront d’actifs combattants, d’autres comme son frère Artem les rejoindront peu à peu.  La Révolution est d’abord une réponse à l’immobilisme d’un pouvoir inapte à évoluer, à se réformer.

Dès sa parution au début des années 30, le roman a été un enjeu politique, faisant écho à la lutte interne pour le pouvoir entre Staline, Trotski, Zinoviev et Kamenev. Conscient de cet enjeu, Ostrovski corrigera parfois son texte, revenant sur son opposition à la ligne Staline ou accentuant l’intransigeance de Pavel, soucieux d’illustrer ce qu’avait représenté le renversement d’un ordre ancien sclérosé par une nouvelle génération prônant l’action pour atteindre leur idéal romantique et révolutionnaire.

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