Après son roman précédent La Disparition de Jim Sullivan, Tanguy Viel revient comme pour son autre roman Paris-Brest paru en 2009, à ses amours bretonnes avec ce roman, confession d’un ouvrier breton floué que l’espoir a abandonné.
Le Finistère, c’est le bout de la route, l’extrême Far West, avec des hommes comme Martial Kermeur, qui ne peuvent pardonner les manœuvres des affairistes. Le corps d’un de ceux-là, Antoine Lazenec, a été repêché sans vie.
Dans le cadre de cette affaire, Martial Kermeur va déclarer au magistrat instructeur : « Sûrement, ce genre de type, si on avait été dans un village de montagne ou bien dans une ville du Far West cent ans plus tôt, sûrement on l’aurait vu arriver, à pied peut-être franchir les portes de la ville, à cheval s’arrêter sur le seuil de la rue principale, en tout cas depuis le relais de poste ou le saloon, on n’aurait pas mis longtemps à comprendre à qui on avait affaire. »
Mais eux n’ont rien vu venir ou plutôt ont voulu y croire, croire qu’un miracle pouvait se produire dans ce coin de Bretagne.
Mais la conquête de l’Ouest est révolue, on est dans une région en déclin et sinistrée, à la fin du XXe siècle, le moral dans les chaussettes. Alors, Antoine Lazenec eut beau jeu de promettre et de faire briller dans les yeux des habitants de belles lueurs d’espoir. Les promesses, ça ne coûte rien et c’est parfois si bon à entendre. C’était il y a maintenant 6 ans dans la presqu’île, en face de Brest, de l’autre côté de la rade. Un beau projet en vérité : construire en front de mer une station balnéaire de grand luxe. Le coup du cercle vertueux de l’économie
On y a cru, on s’est cotisé, on a investi ses économies…
Martial Kermeur y a englouti quelque cinq cent mille francs (c’était encore des francs), toutes ses indemnités de licenciement perçues après la fermeture de l’arsenal, jouant son avenir et celui de son fils. Pouvait-il sans réagir accepter une telle situation ?
Rivage breton
Le beau rêve s’était écroulé, pas de touristes pour venir goûter au charme de la presqu’île de Crozon, apprécier « la lumière si belle qui traverse la roche en fin d’après-midi, le calme des fougères qui ont l’air d’absorber toute la douleur du vent […], la brume qui va et vient devant le soleil pâle... » Belles perspectives vite envolées.
La suite est simple sinon prévisible : Martial Kermeur a bien poussé Antoine Lazenec à l’eau, à quelque milles de la côte avec une mouette pour seul témoin. Il n’en fait pas mystère, reconnaît les faits, et sa longue confession constitue l’ossature de ce livre. Il voudrait comprendre, pouvoir reconstituer l’enchaînement des faits qui finalement n’expliquent rien, surtout pas ce qui l’a conduit à cette décision fatale qui a brisé sa vie.
Il voudrait parvenir devant le juge à décrire « la ligne droite des faits, » tout cet ensemble qui constitue « la somme des omissions et renoncements et choses inaccomplies », car dans son cas en particulier, « la ligne droite des faits, c’était comme l’enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire ».
Martial Kermeur le narrateur, livre sa version de l’affaire, les faits et la façon dont il les é vécus, en guise de témoignage et de confession.On suit avec un intérêt grandissant jusqu’à l’étonnant épilogue, l’itinéraire de ce quinquagénaire, qu’on dirait vieilli avant l’heure par le poids des difficultés et des échecs, qui s’échine à trouver les mots qui lui permettraient d’appréhender la façon dont l’agencement des circonstances a abouti au meurtre.
L’itinéraire narratif servi par un lourd climat, un mécanisme très bien structuré menant au drame final, est soutenu par un décor maritime planté au cordeau, un tableau social fort bien brossé, une palette fournie que Tanguy Viel sait parfaitement utiliser pour créer un cadre et une atmosphère personnelle comme dans des œuvres précédentes comme L’Absolue Perfection du crime en 2001, Insoupçonnable en 2006 ou Paris-Brest en 2009.
On retrouve dans ce roman ses thèmes favoris comme les difficultés du choix moral et de la responsabilité individuelle, l’ambivalence entre l’altérité, la volonté personnelle et le rôle du destin, délaissant les codes littéraires et cinématographiques qu’il affectionnait et la forme ironique pour donner plus de puissance au réalisme des situations.
Notes et références
* voir aussi ma présentation de son roman La Disparition de Jim Sullivan --
EXTRAIT – Le narrateur face à son destin
« Toute cette histoire, a repris le juge, c’est d’abord la vôtre. Oui. Bien sûr. La mienne. Mais alors laissez-moi la raconter comme je veux, qu’elle soit comme une rivière sauvage qui sort quelquefois de son lit, parce que je n’ai pas comme vous l’attirail du savoir ni des lois, et parce qu’en la racontant à ma manière, je ne sais pas, ça me fait quelque chose de doux au cœur, comme si je flottais ou quelque chose comme ça, peut-être comme si rien n’était jamais arrivé ou même, ou surtout, comme si là, tant que je parle, tant que je n’ai pas fini de parler, alors oui, voilà, ici même devant vous il ne peut rien m’arriver, comme si pour la première fois je suspendais la cascade de catastrophes qui a l’air de m’être tombée dessus sans relâche, comme des dominos que j’aurais installés moi-même patiemment pendant des années, et qui s’affaisseraient les uns sur les autres sans crier gare. »
<<< •• Christian Broussas –Viel - 02/mai/2017 < •• © cjb © •• >>>
Le Finistère, c’est le bout de la route, l’extrême Far West, avec des hommes comme Martial Kermeur, qui ne peuvent pardonner les manœuvres des affairistes. Le corps d’un de ceux-là, Antoine Lazenec, a été repêché sans vie.
Dans le cadre de cette affaire, Martial Kermeur va déclarer au magistrat instructeur : « Sûrement, ce genre de type, si on avait été dans un village de montagne ou bien dans une ville du Far West cent ans plus tôt, sûrement on l’aurait vu arriver, à pied peut-être franchir les portes de la ville, à cheval s’arrêter sur le seuil de la rue principale, en tout cas depuis le relais de poste ou le saloon, on n’aurait pas mis longtemps à comprendre à qui on avait affaire. »
Mais eux n’ont rien vu venir ou plutôt ont voulu y croire, croire qu’un miracle pouvait se produire dans ce coin de Bretagne.
Mais la conquête de l’Ouest est révolue, on est dans une région en déclin et sinistrée, à la fin du XXe siècle, le moral dans les chaussettes. Alors, Antoine Lazenec eut beau jeu de promettre et de faire briller dans les yeux des habitants de belles lueurs d’espoir. Les promesses, ça ne coûte rien et c’est parfois si bon à entendre. C’était il y a maintenant 6 ans dans la presqu’île, en face de Brest, de l’autre côté de la rade. Un beau projet en vérité : construire en front de mer une station balnéaire de grand luxe. Le coup du cercle vertueux de l’économie
On y a cru, on s’est cotisé, on a investi ses économies…
Martial Kermeur y a englouti quelque cinq cent mille francs (c’était encore des francs), toutes ses indemnités de licenciement perçues après la fermeture de l’arsenal, jouant son avenir et celui de son fils. Pouvait-il sans réagir accepter une telle situation ?
Rivage breton
Le beau rêve s’était écroulé, pas de touristes pour venir goûter au charme de la presqu’île de Crozon, apprécier « la lumière si belle qui traverse la roche en fin d’après-midi, le calme des fougères qui ont l’air d’absorber toute la douleur du vent […], la brume qui va et vient devant le soleil pâle... » Belles perspectives vite envolées.
La suite est simple sinon prévisible : Martial Kermeur a bien poussé Antoine Lazenec à l’eau, à quelque milles de la côte avec une mouette pour seul témoin. Il n’en fait pas mystère, reconnaît les faits, et sa longue confession constitue l’ossature de ce livre. Il voudrait comprendre, pouvoir reconstituer l’enchaînement des faits qui finalement n’expliquent rien, surtout pas ce qui l’a conduit à cette décision fatale qui a brisé sa vie.
Il voudrait parvenir devant le juge à décrire « la ligne droite des faits, » tout cet ensemble qui constitue « la somme des omissions et renoncements et choses inaccomplies », car dans son cas en particulier, « la ligne droite des faits, c’était comme l’enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire ».
Martial Kermeur le narrateur, livre sa version de l’affaire, les faits et la façon dont il les é vécus, en guise de témoignage et de confession.On suit avec un intérêt grandissant jusqu’à l’étonnant épilogue, l’itinéraire de ce quinquagénaire, qu’on dirait vieilli avant l’heure par le poids des difficultés et des échecs, qui s’échine à trouver les mots qui lui permettraient d’appréhender la façon dont l’agencement des circonstances a abouti au meurtre.
L’itinéraire narratif servi par un lourd climat, un mécanisme très bien structuré menant au drame final, est soutenu par un décor maritime planté au cordeau, un tableau social fort bien brossé, une palette fournie que Tanguy Viel sait parfaitement utiliser pour créer un cadre et une atmosphère personnelle comme dans des œuvres précédentes comme L’Absolue Perfection du crime en 2001, Insoupçonnable en 2006 ou Paris-Brest en 2009.
On retrouve dans ce roman ses thèmes favoris comme les difficultés du choix moral et de la responsabilité individuelle, l’ambivalence entre l’altérité, la volonté personnelle et le rôle du destin, délaissant les codes littéraires et cinématographiques qu’il affectionnait et la forme ironique pour donner plus de puissance au réalisme des situations.
Notes et références
* voir aussi ma présentation de son roman La Disparition de Jim Sullivan --
EXTRAIT – Le narrateur face à son destin
« Toute cette histoire, a repris le juge, c’est d’abord la vôtre. Oui. Bien sûr. La mienne. Mais alors laissez-moi la raconter comme je veux, qu’elle soit comme une rivière sauvage qui sort quelquefois de son lit, parce que je n’ai pas comme vous l’attirail du savoir ni des lois, et parce qu’en la racontant à ma manière, je ne sais pas, ça me fait quelque chose de doux au cœur, comme si je flottais ou quelque chose comme ça, peut-être comme si rien n’était jamais arrivé ou même, ou surtout, comme si là, tant que je parle, tant que je n’ai pas fini de parler, alors oui, voilà, ici même devant vous il ne peut rien m’arriver, comme si pour la première fois je suspendais la cascade de catastrophes qui a l’air de m’être tombée dessus sans relâche, comme des dominos que j’aurais installés moi-même patiemment pendant des années, et qui s’affaisseraient les uns sur les autres sans crier gare. »
<<< •• Christian Broussas –Viel - 02/mai/2017 < •• © cjb © •• >>>
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire