« Tout enferme les femmes, dit Elena Ferrante. Même l’éducation. Même la réussite sociale. Même les femmes. »
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La « fièvre Ferrante » écrit Le Figaro
à propos de ce cycle romanesque, une tétralogie qui obtient un succès
mondial. Cinq millions d'exemplaires vendus dont quelque 400.000 en
France… les Américains en raffolent, organisant même des soirées
thématiques dédiées à Lila Cerullo et Elena Greco, ses deux héroïnes.
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Cette saga italienne qui a Naples pour toile de fond s’étend sur 4 volumes [1] dont la présentation concerne surtout le premier qui porte le nom de la saga, L’amie prodigieuse et en propose une vision d’ensemble.
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À quoi donc tient ce succès mondial si tant est qu’on puisse cerner les raisons d’un engouement aussi prodigieux ?
La ville de Naples en 1944 et en 1960
Est-ce le « mystère Ferrante »,
cette femme qui se cache derrière les mots, un arlésienne dont on ne
sait pas grand-chose, qui veut rester dans l’ombre du rayonnement de ses
livres ? Des pistes ont été explorées bien sûr mais rien de certain.
Même si l’on pense maintenant qu’il s’agirait plutôt d’une dénommée Anita Raja, traductrice romaine dans la maison d'édition E/O.
En tout cas, elle s'en est expliquée mors d'une interview en 2015 à la revue américaine Paris Review, exprimant sa méfiance envers les médias qui s’intéressent « aux livres en fonction de la réputation et de l’aura de leur auteur. » Pour elle, le vide produit par son absence est comblé par l’écriture elle-même. Assurément le mystère excite la curiosité mais n’explique en rien ce phénomène mondial d’édition.
En tout cas, elle s'en est expliquée mors d'une interview en 2015 à la revue américaine Paris Review, exprimant sa méfiance envers les médias qui s’intéressent « aux livres en fonction de la réputation et de l’aura de leur auteur. » Pour elle, le vide produit par son absence est comblé par l’écriture elle-même. Assurément le mystère excite la curiosité mais n’explique en rien ce phénomène mondial d’édition.
L’aspect sociologique aussi peut être une piste. Derrière "celle qui reste" et "celle qui fuit",
derrière cette dualité de celle qui part et réussit et de celle qui
reste et végète, se profile une réalité intime plus grise, Elena Greco
En particulier qui se sent déplacée dans un monde où l’ont conduit ses
études et son mariage, loin de ses proches et de son enfance.
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Dans les rapports sociaux, ceux de ces deux femmes en particulier, certains y ont discerné une référence à l’idée du sociologue Pierre Bourdieu, ce qu’il nomme la violence symbolique, qui amène à considérer comme normales, comme légitimes les productions symboliques de ceux qui disposent du pouvoir. Lila et Elena évoluent dans un monde d’hommes qui imposent leurs conceptions des choses comme naturels, sans alternative : « Je ne suis pas nostalgique de notre enfance : elle était pleine de violence. C’était la vie, un point c’est tout : et nous grandissions avec l'obligation de la rendre difficile aux autres avant que les autres ne nous la rendent difficile. »
Cette violence symbolique devient pour les deux femmes une violence contenue. Elena Greco a peu à peu réprimé ses instincts, les noyant dans les concepts et la littérature, les contenant dans l’univers lénifiant des habitudes bourgeoises.
Dans la densité des personnages autant que dans la description de l’espace historique où se déroulent les événements, on sent l’influence de l’écrivaine italienne Elsa Morante. On sent aussi dans les personnages une tension, née sans doute d’une violence enfouie au plus profond des êtres, qui peut se libérer à tout moment sous l’effet d’un changement de situation.
Peut-être aussi ce succès est-il dû au fait que l'auteure renoue avec les grands romans du XIXème siècle, dans la puissance d'un récit qui puise son inspiration dans les événements historiques, avec ce souffle au long cours qui est celui des séries qu'affectionne la télévision, des rebondissements au rythme des épisodes qui mélangent relations humaines et soubresauts de l'histoire. Une histoire dans l'Histoire façon Les Misérables.
Frantumaglia : un livre d'interviews et de correspondances d'Elena Ferrante
Le féminisme a été pour elle très important, lui apprenant à "plonger en elle-même". C'est dans l'affrontement entre femmes - parfois très dur - qu'elle a appris à "écrire vrai".
« Je n'écris pas pour illustrer une idéologie », précise-t-elle qui est une lectrice passionnée de la pensée féministe sans être une militante. La génération suivante (ses filles y compris) estime que cette liberté est "naturelle" et non pas venue d'une longue lutte. « Dans mon entourage, écrit-elle, j'ai des connaissances érudites qui tendent à ignorer le travail intellectuel des femmes ou à s'en moquer. » Heureusement, se réjouit-elle, que certains sont curieux et cherchent à comprendre.
Elle n'a pas non plus vraiment de routine d'écriture. Elle aime travailler dans son bureau, avec par exemple une reproduction de Matisse (femme avec enfant, assise à une table, lisant devant une fenêtre ouverte), un caillou en forme de hibou, un couvercle métallique rouge trouvé dans une rue alors qu'elle avait 12 ans.
Une de ses grandes inspiratrices est l'écrivaine Elsa Morante. « J'essaie d'apprendre de ses livres, confie-t-elle, mais je les trouve insurpassables. » Elle confie s'investir corps et âme dans l'écriture. Lorsqu'elle est épuisée, elle vaque aux tâches du quotidien. Pour elle, l'acte d'écrire n'est pas un travail. « Un travail est quelque chose qui impose un horaire avec des heures fixes. Moi, j'écris tout le temps, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Il doit y avoir urgence, cela dit, sinon j'ai toujours mieux à faire. »
Notes et références
[1] Quatre volumes : L’amie prodigieuse, Le nouveau nom, Celle qui fuit et celle qui reste, L'enfant perdu
< • Christian Broussas –Elena Ferrante - 28/06/2017 •• © cjb © • >
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