Référence : Mario Vargas Llosa, Aux Cinq Rues, Lima (Cinco Esquinas), traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan et Daniel Lefort, éditions Gallimard, 298 pages, 2017
« Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire, c'est protester contre les insuffisances de la vie », déclarait Mario Vargas Llosa, recevant à Stockholm son prix Nobel.
Un nouveau roman de Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010 [1], est toujours un événement. Comme toujours avec lui, une histoire peut en cacher une autre. Déjà, dans Qui a tué Palomino Molero ?, il s'était servi d'une trame policière pour procéder à une critique sociale, pointant les problèmes que rencontraient alors son pays, qui resurgissent dans ce roman.
Dans celui-ci, les histoires d’alcôves, si importantes semble-t-il dans ce Pérou cancanier, les manipulations et la presse à scandales s’estompent derrière la critique acerbe de la société péruvienne… et les coups de griffes contre ce combinard de Fujimori qui a osé le battre aux élections présidentielles de 1990. Vargas Llosa a raconté les péripéties de cette aventure présidentielle dans son autobiographie Un poisson dans l'eau.
Avec Carlos Fuentes en avril 1979 Avec son fils Alvaro en 1978
Dans un autre livre de 1969 Conversation dans la cathédrale qu’il considère comme son œuvre la plus achevée, Mario Vargas Llosa peignait l’état du Pérou pendant la dictature militaire du général Odría (1948-1956), le règne de la corruption et de la peur, arme favori du pouvoir.
« A quel moment le Pérou avait-il été foutu ? » s'interrogeait Santiago Zavala, dits Zavalita, le héros du livre. Interrogation toujours d’actualité avec Aux Cinq Rues, Lima sur la présidence d'Alberto Fujimori élu en 1990. Après deux ans, son pouvoir vire à l’autocratie, dirigé par son homme de main, son « âme damnée » diraient certains, présenté dans le roman comme « le Docteur, » un homme tout-puissant où on reconnaît en filigrane Vladimiro Montesinos, un ancien avocat des narcotrafiquants devenu chef des services de renseignement de Fujimori. Plongée dans l’ambiance (lugubre) de Lima : couvre-feu, explosions quasi quotidiennes, enlèvements avec rançons imputés à l'extrême gauche...
Avec Gabriel Garcia Marquez en 1972 et dans les années 80
Dans ce climat anxiogène, l'industriel millionnaire Enrique Cárdo, affichant un « petit sourire de rat qui fripait son front sous ses cheveux gominés et plaqués sur son crâne comme un casque de métal » lui rend visite et lui montre de compromettantes photos. Chantage classique et efficace. Ce n’est qu’un petit maître-chanteur directeur du journal à scandale Strip-tease qui connaîtra comme Cárdenas bien des problèmes, mais l’auteur s’en sert pour dépeindre la manipulation de la presse par le pouvoir politique [2], une certaine forme de voyeurisme comme « le vice le plus universel qui soit [...]. Dans tous les peuples et toutes les cultures. Mais surtout au Pérou. »
« Nous sommes un pays de commères, ajoute l’un des personnages. Nous voulons connaître les secrets des gens et, de préférence, les secrets d'alcôve. » L’érotisme est aussi un thème important du roman, intrusion dans la sphère intime mais aussi, selon Vargas Llosa, levier , même fragile, d’une résistance à l’oppression politique.
Avec l'art consommé de la composition qu’on lui connaît, l’auteur va réunir tout ce beau monde, Enrique, sa femme Marisa et la maîtresse de celle-ci, les journalistes du journal Strip-tease, le vieux poète Juan Peineta et son chat Serafin, familier du quartier des Cinq Rues.
Sacré morceau de bravoure que ne saurait démentir le savoureux chapitre final.
Mario Vargas Llosa et son amie Isabel preysler
Notes et références
[1] Lors de la remise de son prix, l'Académie suédoise saluait « sa cartographie des structures de pouvoir et ses images incisives de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec.
[2] Sur le journalisme, voilà quelques morceaux choisis de Vargas Llosa :
« Mon grand protagoniste est le journalisme, dans ses 2 expressions : à scandale, et héroïque, qui dénonce. »
« La révolution audiovisuelle a 2 visages : elle rend difficile la censure, mais permet aussi une manipulation de l'opinion. »
«Le journalisme a été détourné de sa fonction principale : il cherche désormais à amuser son lectorat. »
Voir aussi
* Ma fiche intitulée Mario Vargas Llosa, Une jeunesse bolivienne --
* Ma fiche intitulée Mario Vargas Llosa à Lima --
* La tante Julia et le scribouillard, texte très autobiographique sur son premier mariage
<< • Christian Broussas –Vargas Llosa 3 - 25/06/2017 •• © cjb © • >>
« Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du progrès, n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire, c'est protester contre les insuffisances de la vie », déclarait Mario Vargas Llosa, recevant à Stockholm son prix Nobel.
Un nouveau roman de Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010 [1], est toujours un événement. Comme toujours avec lui, une histoire peut en cacher une autre. Déjà, dans Qui a tué Palomino Molero ?, il s'était servi d'une trame policière pour procéder à une critique sociale, pointant les problèmes que rencontraient alors son pays, qui resurgissent dans ce roman.
Dans celui-ci, les histoires d’alcôves, si importantes semble-t-il dans ce Pérou cancanier, les manipulations et la presse à scandales s’estompent derrière la critique acerbe de la société péruvienne… et les coups de griffes contre ce combinard de Fujimori qui a osé le battre aux élections présidentielles de 1990. Vargas Llosa a raconté les péripéties de cette aventure présidentielle dans son autobiographie Un poisson dans l'eau.
Avec Carlos Fuentes en avril 1979 Avec son fils Alvaro en 1978
Dans un autre livre de 1969 Conversation dans la cathédrale qu’il considère comme son œuvre la plus achevée, Mario Vargas Llosa peignait l’état du Pérou pendant la dictature militaire du général Odría (1948-1956), le règne de la corruption et de la peur, arme favori du pouvoir.
« A quel moment le Pérou avait-il été foutu ? » s'interrogeait Santiago Zavala, dits Zavalita, le héros du livre. Interrogation toujours d’actualité avec Aux Cinq Rues, Lima sur la présidence d'Alberto Fujimori élu en 1990. Après deux ans, son pouvoir vire à l’autocratie, dirigé par son homme de main, son « âme damnée » diraient certains, présenté dans le roman comme « le Docteur, » un homme tout-puissant où on reconnaît en filigrane Vladimiro Montesinos, un ancien avocat des narcotrafiquants devenu chef des services de renseignement de Fujimori. Plongée dans l’ambiance (lugubre) de Lima : couvre-feu, explosions quasi quotidiennes, enlèvements avec rançons imputés à l'extrême gauche...
Avec Gabriel Garcia Marquez en 1972 et dans les années 80
Dans ce climat anxiogène, l'industriel millionnaire Enrique Cárdo, affichant un « petit sourire de rat qui fripait son front sous ses cheveux gominés et plaqués sur son crâne comme un casque de métal » lui rend visite et lui montre de compromettantes photos. Chantage classique et efficace. Ce n’est qu’un petit maître-chanteur directeur du journal à scandale Strip-tease qui connaîtra comme Cárdenas bien des problèmes, mais l’auteur s’en sert pour dépeindre la manipulation de la presse par le pouvoir politique [2], une certaine forme de voyeurisme comme « le vice le plus universel qui soit [...]. Dans tous les peuples et toutes les cultures. Mais surtout au Pérou. »
« Nous sommes un pays de commères, ajoute l’un des personnages. Nous voulons connaître les secrets des gens et, de préférence, les secrets d'alcôve. » L’érotisme est aussi un thème important du roman, intrusion dans la sphère intime mais aussi, selon Vargas Llosa, levier , même fragile, d’une résistance à l’oppression politique.
Avec l'art consommé de la composition qu’on lui connaît, l’auteur va réunir tout ce beau monde, Enrique, sa femme Marisa et la maîtresse de celle-ci, les journalistes du journal Strip-tease, le vieux poète Juan Peineta et son chat Serafin, familier du quartier des Cinq Rues.
Sacré morceau de bravoure que ne saurait démentir le savoureux chapitre final.
Mario Vargas Llosa et son amie Isabel preysler
Notes et références
[1] Lors de la remise de son prix, l'Académie suédoise saluait « sa cartographie des structures de pouvoir et ses images incisives de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec.
[2] Sur le journalisme, voilà quelques morceaux choisis de Vargas Llosa :
« Mon grand protagoniste est le journalisme, dans ses 2 expressions : à scandale, et héroïque, qui dénonce. »
« La révolution audiovisuelle a 2 visages : elle rend difficile la censure, mais permet aussi une manipulation de l'opinion. »
«Le journalisme a été détourné de sa fonction principale : il cherche désormais à amuser son lectorat. »
Voir aussi
* Ma fiche intitulée Mario Vargas Llosa, Une jeunesse bolivienne --
* Ma fiche intitulée Mario Vargas Llosa à Lima --
* La tante Julia et le scribouillard, texte très autobiographique sur son premier mariage
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