lundi 26 juin 2017

Virginie Despentes, Vernon Subutex tome 3

Référence : Virginie Despentes, Vernon Subutex tome 3, éditions Grasset, 400 pages, 2017

     

« Les choses échouent jusqu'à ce qu'elles réussissent. » page 25

Voilà, c’est fini ; fin de la trilogie de l’ancien disquaire devenu SDF. Elle qui voulait écrire cette trilogie dans la foulée aura mis deux ans de plus pour achever ce troisième volume.
On est en même temps curieux d’en connaître la chute et sceptique sur l’avenir de Vernon et de sa bande. On sent qu’ils n’ont guère d’avenir, qu’ils ne sont pas vraiment faits pour vivre dans la société qu’on leur propose.

Enfant du rock viré au SDF paumé sillonnant un Paris d’aujourd’hui, Vernon Subutex marche, avec sa bande de copains aussi paumés qui lui, vers un horizon incertain qui se dessine dans une capitale marquée par les attentats. « L’ultime volet de la saisissante trilogie romanesque de Virginie Despentes est le plus noir », ce qui n’est pas peu dire, la description de la société dans les deux tomes précédents n’étant pas des plus réjouissantes.

      

Une chronique d’un présent omniprésent  où Virginie Despentes clame son indignation, son sentiment d’un irrémédiable qui emporte les hommes vers leur destin dans une impitoyable description de cette comédie humaine du XXI ème siècle.

Virginie Despentes nous dépeint une société « creusée d’abîmes toujours plus profonds  entre les classes sociales, les appartenances culturelles ou religieuses » selon les termes de Télérama.  Une société repliée sur elle-même où, comme le dénonce l’un des personnages, « personne ne peut saquer personne. On n’a pas envie de vivre ensemble. Ce n’est pas vrai que les cultures se mélangent. […] Ce que tout le monde cherche, au final, c’est l’entre-soi. N’avoir à se coltiner que des gens qui te ressemblent. Pas d’étrangers. Et le ciment le plus facile à trouver pour souder un groupe restera toujours l’ennemi commun ». 

"L’autre" en quelque sorte, celui qu’on rejette, trop différent ou pas assez conforme, qui ne renvoie pas la bonne image. Marginal. Amer constat, l’auteure ne s’embarrasse pas de périphrases pour décrire les situations, les personnages pas forcément toujours sympathiques, avec souvent cette petite pointe de compassion pour cette pâte humaine malmenée par la vie.
Parce qu’il faut bien faire avec…

Dopalet père trouve dans ce Max son alter ego dans l’ignominie, la jeune Céleste a bien à faire face aux vieux loups qui voudraient bien lui faire un sort, La forte Aïcha est fortement travaillée par le désir et les désillusions, Olga haranguera la foule dans les longues nuits de contestation parisiennes.
La véro est plutôt en mal de tendresse, car ce qui compte chez un bonhomme, « c'est sa faculté à te faire rêver, à te faire sentir femelle, à te faire voyager rien qu'en pensant à ce qui se passerait si ce machin te prenait dans ses bras. »

  
Avec Michel Houellebecq                         King Kong théorie au théâtre

Pourtant, cet ultime volet commence plutôt bien. À la fin du tome précédent, Vernon Subutex, ancien disquaire-SDF s’est transformé malgré lui en une espèce de gourou-DJ d’un groupe variant entre marginalité et subversion. Vernon est parti "se mettre au vert" en compagnie de La Hyène, Pamela, Kiko et quelques autres. 

On s’ouvre aux « gens de l’extérieur », on fait des espèces de "raves" qu’ils nomment « convergences », toujours sous la houlette de Vernon, « Il s’agit de danser jusqu’à l’aube, c’est tout. La chose extraordinaire, c’est ce que les danseurs ressentent – sans drogue, sans préparation, sans trucage […]. Une confusion douce, lumineuse, qui donne envie de prendre son temps et de garder le silence. Les épidermes perdent leurs frontières, chacun devient le corps des autres, c’est une ­intimité étendue. »

Le désenchantement, c'est aussi celui des gamins auxquels dans les années 90, on pouvait dire que « le savoir est une arme. » Même si on leur mentait, ce discours faisait au moins encore illusion.
Elle tente d'analyser « le cerveau des gens qui ont des objectifs irrationnels : il a plus de profondeur de champs... il voit loin. [...] Il ruse avec la conscience, il arrange ses coups en loucedé de telle façon qu'on puisse obtenir exactement ce qu'on voulait en prétendant qu'on pensait à autre chose. »


 


« Il est possible de se préparer à commettre l'irréparable tout en ordonnant sa conscience de façon à ne pas savoir ce qu'on fomente. » page 268 

C’était trop beau pour que ça dure longtemps.
Cette histoire d’un rocker disparu laissant à Vernon des inédits sur une cassette,  que certains voudraient récupérer, les rancœurs et les jalousies qui plombent les relations humaines, et cette société qui finalement voudrait bien les récupérer, les fondre dans la masse indistincte de la pensée dominante.

Tout pour que capote leur rêve d’indiens peinards, planqués dans leur réserve. La désillusion est profonde après la belle expérience exposée dans le tome précédent. Le groupe se disloque, Vernon est parti, chacun est de nouveau seul et plongé dans sa réalité. 


 
  Les trois tomes de la saga 


Quelques citations du tome 3
* « La tension est montée d'un cran, en une année, Paris s'est endurcie. Vernon perçoit immédiatement cette proximité de l'agression - les gens sont furieux, remontés les uns contre les autres, tout prêts à en découdre. [...] On vit avec l'idée qu'il peut se passer quelque chose de grave. On prend les transports en commun, on se met en terrasse pour fumer une clope, on va voir un concert. On va danser. Et on sait désormais que parfois, on ne reviendra jamais chez soi. »


* « La France est le pays d'Europe qui massacre le plus ses zones périphériques, c'est un vrai cancer, cette merde-là. C'était joli, pourtant, avant, ce pays. Les promoteurs se foutent de savoir si les centres commerciaux fonctionnent ou non, ils valorisent les murs par procédés comptables...c'est absurde. On est gouvernés par des imbéciles. » (page 94)

* « Les gens très riches savent ce qu'ils font lorsqu'ils meublent leur appartement : chaque objet ici hurle à l'attention de ceux qui ne sont pas habitués au luxe : dégage de là sale prolétaire. La différence entre une déco de bobo et une déco de grand bourgeois tient dans cette nuance : l'un déclare au tout-venant "sois chez toi", l'autre cherche à exclure tous ceux qui n'ont pas les bons codes  . » (page 23)

Voir mes fichiers sur la saga
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 Vernon Subutex Tome 1 -- Tome 2 -- Tome 3 --

<< Christian Broussas –Despentes 3 - 24/06/2017 • © cjb © • >>

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