Référence : Virginie Despentes, Vernon Subutex tome 3, éditions Grasset, 400 pages, 2017
« Les choses échouent jusqu'à ce qu'elles réussissent. » page 25
Voilà,
c’est fini ; fin de la trilogie de l’ancien disquaire devenu SDF. Elle
qui voulait écrire cette trilogie dans la foulée aura mis deux ans de
plus pour achever ce troisième volume.
On est en même temps curieux d’en connaître la chute et sceptique sur l’avenir de Vernon
et de sa bande. On sent qu’ils n’ont guère d’avenir, qu’ils ne sont pas
vraiment faits pour vivre dans la société qu’on leur propose.
Enfant du rock viré au SDF paumé sillonnant un Paris d’aujourd’hui, Vernon Subutex marche,
avec sa bande de copains aussi paumés qui lui, vers un horizon
incertain qui se dessine dans une capitale marquée par les attentats. « L’ultime volet de la saisissante trilogie romanesque de Virginie Despentes est le plus noir », ce qui n’est pas peu dire, la description de la société dans les deux tomes précédents n’étant pas des plus réjouissantes.
Une chronique d’un présent omniprésent où Virginie Despentes
clame son indignation, son sentiment d’un irrémédiable qui emporte les
hommes vers leur destin dans une impitoyable description de cette
comédie humaine du XXI ème siècle.
Virginie Despentes nous dépeint une société « creusée d’abîmes toujours plus profonds entre les classes sociales, les appartenances culturelles ou religieuses » selon les termes de Télérama. Une société repliée sur elle-même où, comme le dénonce l’un des personnages, « personne ne peut saquer personne. On n’a pas envie de vivre ensemble. Ce n’est pas vrai que les cultures se mélangent. […]
Ce que tout le monde cherche, au final, c’est l’entre-soi. N’avoir à se
coltiner que des gens qui te ressemblent. Pas d’étrangers. Et le ciment
le plus facile à trouver pour souder un groupe restera toujours
l’ennemi commun ».
"L’autre" en quelque sorte, celui qu’on
rejette, trop différent ou pas assez conforme, qui ne renvoie pas la
bonne image. Marginal. Amer constat, l’auteure ne s’embarrasse pas de
périphrases pour décrire les situations, les personnages pas forcément
toujours sympathiques, avec souvent cette petite pointe de compassion
pour cette pâte humaine malmenée par la vie.
Parce qu’il faut bien faire avec…
Dopalet père trouve dans ce Max son alter ego dans l’ignominie, la jeune Céleste a bien à faire face aux vieux loups qui voudraient bien lui faire un sort, La forte Aïcha est fortement travaillée par le désir et les désillusions, Olga haranguera la foule dans les longues nuits de contestation parisiennes.
La véro est plutôt en mal de tendresse, car ce qui compte chez un bonhomme, «
c'est sa faculté à te faire rêver, à te faire sentir femelle, à te
faire voyager rien qu'en pensant à ce qui se passerait si ce machin te
prenait dans ses bras. »
Avec Michel Houellebecq King Kong théorie au théâtre
Pourtant, cet ultime volet commence plutôt bien. À la fin du tome précédent, Vernon Subutex,
ancien disquaire-SDF s’est transformé malgré lui en une espèce de
gourou-DJ d’un groupe variant entre marginalité et subversion. Vernon est parti "se mettre au vert" en compagnie de La Hyène, Pamela, Kiko et quelques autres.
On s’ouvre aux « gens de l’extérieur », on fait des espèces de "raves" qu’ils nomment « convergences », toujours sous la houlette de Vernon, «
Il s’agit de danser jusqu’à l’aube, c’est tout. La chose
extraordinaire, c’est ce que les danseurs ressentent – sans drogue, sans
préparation, sans trucage […]. Une confusion douce, lumineuse,
qui donne envie de prendre son temps et de garder le silence. Les
épidermes perdent leurs frontières, chacun devient le corps des autres,
c’est une intimité étendue. »
Le désenchantement, c'est aussi celui des gamins auxquels dans les années 90, on pouvait dire que « le savoir est une arme. » Même si on leur mentait, ce discours faisait au moins encore illusion.
Elle tente d'analyser « le cerveau des gens qui ont des objectifs irrationnels
: il a plus de profondeur de champs... il voit loin. [...] Il ruse avec
la conscience, il arrange ses coups en loucedé de telle façon qu'on
puisse obtenir exactement ce qu'on voulait en prétendant qu'on pensait à
autre chose. »
« Il
est possible de se préparer à commettre l'irréparable tout en ordonnant
sa conscience de façon à ne pas savoir ce qu'on fomente. » page 268
C’était trop beau pour que ça dure longtemps.
Cette histoire d’un rocker disparu laissant à Vernon des inédits
sur une cassette, que certains voudraient récupérer, les rancœurs et
les jalousies qui plombent les relations humaines, et cette société qui
finalement voudrait bien les récupérer, les fondre dans la masse
indistincte de la pensée dominante.
Tout pour que capote leur rêve d’indiens peinards, planqués dans leur réserve. La désillusion
est profonde après la belle expérience exposée dans le tome précédent.
Le groupe se disloque, Vernon est parti, chacun est de nouveau seul et
plongé dans sa réalité.
Les trois tomes de la saga
Quelques citations du tome 3
* « La
tension est montée d'un cran, en une année, Paris s'est endurcie.
Vernon perçoit immédiatement cette proximité de l'agression - les gens
sont furieux, remontés les uns contre les autres, tout prêts à en
découdre. [...] On vit avec l'idée qu'il peut se passer quelque chose de
grave. On prend les transports en commun, on se met en terrasse pour
fumer une clope, on va voir un concert. On va danser. Et on sait
désormais que parfois, on ne reviendra jamais chez soi. »
* «
La France est le pays d'Europe qui massacre le plus ses zones
périphériques, c'est un vrai cancer, cette merde-là. C'était joli,
pourtant, avant, ce pays. Les promoteurs se foutent de savoir si les
centres commerciaux fonctionnent ou non, ils valorisent les murs par
procédés comptables...c'est absurde. On est gouvernés par des imbéciles.
» (page 94)
* «
Les gens très riches savent ce qu'ils font lorsqu'ils meublent leur
appartement : chaque objet ici hurle à l'attention de ceux qui ne sont
pas habitués au luxe : dégage de là sale prolétaire. La différence entre
une déco de bobo et une déco de grand bourgeois tient dans cette nuance
: l'un déclare au tout-venant "sois chez toi", l'autre cherche à
exclure tous ceux qui n'ont pas les bons codes . » (page 23)
Voir mes fichiers sur la saga
* Vernon Subutex Tome 1 -- Tome 2 -- Tome 3 --
<< • Christian Broussas –Despentes 3 - 24/06/2017 • © cjb © • >>
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