Référence : Patrick Deville, Taba-Taba, éditions du Seuil, 2017

Dans ce livre, Patrick Deville nous entraîne dans l'histoire de sa famille, du Second Empire à nos jours. C’est de chez lui, de Saint-Brevin-les-Pins, en Loire-Atlantique qu’il en parle, disant que c’est « son premier livre français, lui l’éternel voyageur.  

Car Patrick Deville a longtemps été ce randonneur du monde, écrivant des récits sur ses périples, plutôt que des romans, que ce soit autour du Nicaragua de William Walker (« Pura vida », 2004), du Congo ( « Equatoria » 2009), du Cambodge ( « Kampuchea » 2011), du Vietnam d’Alexandre Yersin ( Peste et choléra » , 2012 ou du Mexique de Malcolm Lawry« Viva », 2014).

Il prend ici pour thème son histoire familiale, un autre voyage, une belle fresque romanesque, mais cette fois-ci dans l'histoire de France, de l'année 1870 aux derniers attentats des extrémistes islamistes.


              
La porte du Lazaret à Mindin                               Dortoir du Lazaret


Nous sommes à Mindin, en face de Saint-Nazaire, au début des années 60. C’est un ancien lazaret à la porte monumentale [1] dont il n'est pas dupe, un lieu clos qui servait à placer en quarantaine les équipages et passagers venant de ports où sévissait alors la peste, et transformé en hôpital psychiatrique. Son père y travaillait et le jeune garçon y allait parfois. Il fit la connaissance d'un interné « un cinglé » dit-il, ce qui n’a rien d’original dans un asile, mais qui devint néanmoins « mon meilleur camarade », n’ayant à sa disposition que deux syllabes "Taba Taba", qu'il répétait à tout bout de champ. [2]

Ainsi, Patrick Deville s’est décidé à parler de ses origines, même s’il lui semble que c’est une famille bien ordinaire sur laquelle il n’y avait apparemment pas grand-chose à raconter. Il s’en explique ainsi : « J'ai raconté cela en utilisant sur cinq générations les pérégrinations, les déménagements, les déplacements, l'exode, les fuites sur les routes, les camps de prisonniers, les camps de réfugiés, d'une famille semblable à des dizaines de milliers de familles françaises. C'est ça qui est intéressant, c'est qu'il n'y a rien de particulier dans l'histoire de cette famille. »

           

Mais il a également retrouvé d'impressionnantes archives familiales. [3] Un monceau d’informations, de détails sur tel personnage, sur telle époque, un trésor qui a sans doute donné à l’écrivain une furieuse envie de se l’approprier. Tout était là à disposition, depuis le second empire, même sur la Seconde Guerre Mondiale rien n'a été détruit.

Mais il ne se contente pas seulement de raconter une saga française, faite de références historico géographiques, nourries de son expérience, il en profite aussi pour replacer l’histoire de son pays, à travers les difficultés et ses aléas, dans une perspective plus globale. 

Notes et références
[1]
A cet égard, il écrit : « À la toute extrémité de l’estuaire de la Loire, au centre des terres émergées de l’hémisphère Nord, une porte en pierre dresse au-dessus du fleuve son arc de triomphe modeste et sa grille à deux vantaux. De monumentale elle n’a que le  nom. Il fallait qu’il y eût au Lazaret un monument et ce serait elle, n’ouvrant sur rien, visible de loin par les navires à l’entrée du chenal, du même gris-vert que les eaux douces et salées qui se mêlent devant elle. » 

[2] « L’un d’eux surtout, un solitaire ténébreux connu sous le seul nom de Taba-Taba, pouvait attendre, si le temps le permettait, plusieurs heures assis sur les marches de la porte monumentale, balançant lentement le torse d’avant en arrière devant les eaux grises et vertes, et psalmodiant Taba-Taba-Taba / Taba-Taba-Taba, avec une coupure parfaite au milieu de l’alexandrin, le torse atteignant sa position basse à la fin du premier hémistiche, se relevant en prononçant le second sans même paraître en panne de clopes. »
[3]« Monne (sa tante) laissait derrière elle tout un fourbi, trois pièces à l’arrière de sa maison de Mindin non loin du Lazaret, emplies du sol au plafond, d’où j’avais extrait puis conservé, sans les compulser, trois mètres cubes d’archives accumulées comme une injonction... »


Voir aussi mes fiches : Patrick Deville, Viva - Malcolm Lawry et B. Traven -

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