Référence : Gaëlle Nohant, "Légende d'un dormeur éveillé", éditions Héloïse d'Ormesson, 540 pages, 2017
Robert Desnos Gaëlle Nohant
Bel hommage de Gaëlle Nohant à un poète bien oublié : Robert Desnos et ses "mille vies". Poète bien sûr, "dormeur éveillé", mais aussi conteur, noceur, marcheur, rêveur et grand résistant, parti un jour de Compiègne pour être envoyé comme dit Aragon « où le destin de notre siècle saigne. »
Cet ouvrage ressuscite Robert Desnos (1900- 1945), surréaliste de la première heure, fêtard invétéré avec ses copains comme Roger Vailland, journaliste qui s’intéresse à tout, toujours comme Roger Vailland, résistant au risque de sa peau, qui lui sera fatal, Roger Vailland, lui, s’en sortira.
De cette courte existence pleine et excitante, Gaëlle Nohant nous propose un récit tout en couleurs avec les voix rauques des premières chanteuses de jazz, l’attirance pour les belles émancipées des années 20…
Gaëlle Nohant confie que c’est en 2015 qu’elle a eu l'idée de ce livre, année qui marquait le 70e anniversaire de la mort du poète dans le camp de concentration de Theresienstadt (maintenant en République tchèque), le 8 juin 1945. Pour cela, elle a puisé à toutes les sources disponibles, sans compter la biographie de référence d’Anne Egger et bien sûr les écrits et poèmes de Robert Desnos, dont elle parsème abondamment son livre.
Car le pari était considérable : comment réussir à cerner et faire partager toutes les facettes de Robert Desnos ? Lui qui a vécu tant de vies, l’enfant qui a grandi autour de la tour Saint-Jacques, au cœur des Halles, qui a connu l’aventure surréaliste, le rêve sous hypnose, l’écrivain se baladant dans la bohème du Montparnasse de l’entre-deux-guerres, qui se débrouille comme il peut pour vivre, à la fois parolier, critique de jazz et plume pour slogans publicitaires.
Un artiste qui se passionne pour une technique toute récente, la radio, y adaptant les aventures de Fantomas ou analysant le rêve dans l’émission "Les clefs des songes".
Gaëlle Nohant a structuré son récit comme le scénario d’un film, un montage séquence par séquence, illustré par de beaux personnages secondaires.
Dans ce domaine, elle n’avait que l’embarras du choix tant Desnos connut de monde et eut d’amis, beaucoup de surréalistes bien sûr, peignant un monde grouillant de petites chapelles concurrentes qui se détestaient, faisant revivre chaque personnage choisi dans sa vérité historique. Dans sa galerie de portraits, on retrouve par exemple l'écrivain cubain Alejo Carpentier, clandestin de La Havane que Desnos va aider ou le chilien Pablo Neruda qui invita Desnos en Espagne et lui présentera "son frère en poésie" Federico Garcia Lorca, futur victime des milices franquistes.
Mais l’ombre du nazisme va bientôt planer sur la liberté du poète. Dès 1936, dans le restaurant Lipp, où Desnos se trouve avec Léon Blum et des journalistes, un individu nommé Alain Laubreaux insulte les deux hommes. Desnos se lève alors et lui plonge la tête dans une assiette de choucroute fumante, lui lançant « de la part des pédérastes surréalistes et des juifs ».
« Vous mettrez sur ma tombe une bouée de sauvetage, parce qu'on ne sait jamais. »
Lui le pacifiste fustigeant la guerre de 14-18, s’est engagé sans états d’âme dans la lutte anti nazie, sauvant par exemple en leur fournissant de faux papiers à son ami Fraenkel et à son fils Jacques âgé de 4 ans qui est aujourd’hui son ayant-droit ou participant à l'attaque d'un commissariat parisien.
Côté amour, deux femmes vont être pour lui de véritables muses. Il a voué une passion à la chanteuse de music-hall Yvonne George : elle est la « mystérieuse » qui hante ses jours, ses nuits et les poèmes des Ténèbres, « J'ai tant rêvé de toi/Que tu perds ta réalité… » Puis ce sera Youki, la maîtresse de Foujita qu’il surnommait "La sirène". Pendant sa captivité, Desnos lui adressa nombre de lettres d’espoir et elle se démena sans compter, mais vainement, pour obtenir sa libération.
Probablement, dénoncé, il est arrêté le 22 février 1944. Le reste, et sa mort dans un camp, Gaëlle Nohant s’est refusée de s’y étendre : « C'était sacrilège de le suivre dans les camps » confie-t-elle. Tout ce qu’on sait par ses compagnons de camp, c’est le rôle important qu’il a joué pour leur remonter le moral.
C’est en tout cas un beau portrait de celui qui rêvait d'une « littérature exigeante pour tous. »
Avec Youki Sa dernière photo
Jamais d'autre que toi -- Robert Desnos
Jamais d'autre que toi en dépit des étoiles et des solitudes
En dépit des mutilations d'arbre à la tombée de la nuit
Jamais d'autre que toi ne poursuivra son chemin qui est le mien
Plus tu t'éloignes et plus ton ombre s'agrandit
Jamais d'autre que toi ne saluera la mer à l'aube quand
Fatigué d'errer moi sorti des forêts ténébreuses et
Des buissons d'orties je marcherai vers l'écume
Jamais d'autre que toi ne posera sa main sur mon front
Et mes yeux
Jamais d'autre que toi et je nie le mensonge et l'infidélité
Ce navire à l'ancre tu peux couper sa corde
Jamais d'autre que toi
---------------------------------------------------------------
C'est le dimanche marqué par le chant des rossignols
Dans les bois d'un vert tendre l'ennui des petites
Filles en présence d'une cage où s'agite un serein
Tandis que dans la rue solitaire le soleil lentement
Déplace sa ligne mince sur le trottoir chaud
Nous passerons d'autres lignes
Jamais jamais d'autre que toi
Et moi seul seul comme le lierre fané des jardins
De banlieue seul comme le verre
Et toi jamais d'autre que toi.
Voir aussi mes fiches :
Hommage à René Char -- Apollinaire, poète et soldat --
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Robert Desnos Gaëlle Nohant
Bel hommage de Gaëlle Nohant à un poète bien oublié : Robert Desnos et ses "mille vies". Poète bien sûr, "dormeur éveillé", mais aussi conteur, noceur, marcheur, rêveur et grand résistant, parti un jour de Compiègne pour être envoyé comme dit Aragon « où le destin de notre siècle saigne. »
Cet ouvrage ressuscite Robert Desnos (1900- 1945), surréaliste de la première heure, fêtard invétéré avec ses copains comme Roger Vailland, journaliste qui s’intéresse à tout, toujours comme Roger Vailland, résistant au risque de sa peau, qui lui sera fatal, Roger Vailland, lui, s’en sortira.
De cette courte existence pleine et excitante, Gaëlle Nohant nous propose un récit tout en couleurs avec les voix rauques des premières chanteuses de jazz, l’attirance pour les belles émancipées des années 20…
Gaëlle Nohant confie que c’est en 2015 qu’elle a eu l'idée de ce livre, année qui marquait le 70e anniversaire de la mort du poète dans le camp de concentration de Theresienstadt (maintenant en République tchèque), le 8 juin 1945. Pour cela, elle a puisé à toutes les sources disponibles, sans compter la biographie de référence d’Anne Egger et bien sûr les écrits et poèmes de Robert Desnos, dont elle parsème abondamment son livre.
Car le pari était considérable : comment réussir à cerner et faire partager toutes les facettes de Robert Desnos ? Lui qui a vécu tant de vies, l’enfant qui a grandi autour de la tour Saint-Jacques, au cœur des Halles, qui a connu l’aventure surréaliste, le rêve sous hypnose, l’écrivain se baladant dans la bohème du Montparnasse de l’entre-deux-guerres, qui se débrouille comme il peut pour vivre, à la fois parolier, critique de jazz et plume pour slogans publicitaires.
Un artiste qui se passionne pour une technique toute récente, la radio, y adaptant les aventures de Fantomas ou analysant le rêve dans l’émission "Les clefs des songes".
Gaëlle Nohant a structuré son récit comme le scénario d’un film, un montage séquence par séquence, illustré par de beaux personnages secondaires.
Dans ce domaine, elle n’avait que l’embarras du choix tant Desnos connut de monde et eut d’amis, beaucoup de surréalistes bien sûr, peignant un monde grouillant de petites chapelles concurrentes qui se détestaient, faisant revivre chaque personnage choisi dans sa vérité historique. Dans sa galerie de portraits, on retrouve par exemple l'écrivain cubain Alejo Carpentier, clandestin de La Havane que Desnos va aider ou le chilien Pablo Neruda qui invita Desnos en Espagne et lui présentera "son frère en poésie" Federico Garcia Lorca, futur victime des milices franquistes.
Mais l’ombre du nazisme va bientôt planer sur la liberté du poète. Dès 1936, dans le restaurant Lipp, où Desnos se trouve avec Léon Blum et des journalistes, un individu nommé Alain Laubreaux insulte les deux hommes. Desnos se lève alors et lui plonge la tête dans une assiette de choucroute fumante, lui lançant « de la part des pédérastes surréalistes et des juifs ».
« Vous mettrez sur ma tombe une bouée de sauvetage, parce qu'on ne sait jamais. »
Lui le pacifiste fustigeant la guerre de 14-18, s’est engagé sans états d’âme dans la lutte anti nazie, sauvant par exemple en leur fournissant de faux papiers à son ami Fraenkel et à son fils Jacques âgé de 4 ans qui est aujourd’hui son ayant-droit ou participant à l'attaque d'un commissariat parisien.
Côté amour, deux femmes vont être pour lui de véritables muses. Il a voué une passion à la chanteuse de music-hall Yvonne George : elle est la « mystérieuse » qui hante ses jours, ses nuits et les poèmes des Ténèbres, « J'ai tant rêvé de toi/Que tu perds ta réalité… » Puis ce sera Youki, la maîtresse de Foujita qu’il surnommait "La sirène". Pendant sa captivité, Desnos lui adressa nombre de lettres d’espoir et elle se démena sans compter, mais vainement, pour obtenir sa libération.
Probablement, dénoncé, il est arrêté le 22 février 1944. Le reste, et sa mort dans un camp, Gaëlle Nohant s’est refusée de s’y étendre : « C'était sacrilège de le suivre dans les camps » confie-t-elle. Tout ce qu’on sait par ses compagnons de camp, c’est le rôle important qu’il a joué pour leur remonter le moral.
C’est en tout cas un beau portrait de celui qui rêvait d'une « littérature exigeante pour tous. »
Avec Youki Sa dernière photo
Jamais d'autre que toi -- Robert Desnos
Jamais d'autre que toi en dépit des étoiles et des solitudes
En dépit des mutilations d'arbre à la tombée de la nuit
Jamais d'autre que toi ne poursuivra son chemin qui est le mien
Plus tu t'éloignes et plus ton ombre s'agrandit
Jamais d'autre que toi ne saluera la mer à l'aube quand
Fatigué d'errer moi sorti des forêts ténébreuses et
Des buissons d'orties je marcherai vers l'écume
Jamais d'autre que toi ne posera sa main sur mon front
Et mes yeux
Jamais d'autre que toi et je nie le mensonge et l'infidélité
Ce navire à l'ancre tu peux couper sa corde
Jamais d'autre que toi
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C'est le dimanche marqué par le chant des rossignols
Dans les bois d'un vert tendre l'ennui des petites
Filles en présence d'une cage où s'agite un serein
Tandis que dans la rue solitaire le soleil lentement
Déplace sa ligne mince sur le trottoir chaud
Nous passerons d'autres lignes
Jamais jamais d'autre que toi
Et moi seul seul comme le lierre fané des jardins
De banlieue seul comme le verre
Et toi jamais d'autre que toi.
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