mercredi 27 juin 2018

Patrick Modiano, Nos débuts dans la vie

Référence : Patrick Modiano, "Nos débuts dans la vie", éditions Gallimard, collection Blanche, 96 pages, Octobre 2017

            
« On décide d’écrire parce qu’il y a quelque chose qui cloche. »
Patrick Modiano


Une pièce de théâtre de Modiano, c’est assez rare pour aiguiser notre curiosité. Dans Nos débuts dans la vie, le texte se mêle à celui de La Mouette de Tchekhov, à travers deux personnages Dominique et Jean, 20 ans, elle une actrice, double de Nina, lui, double de Konstantin, écrivain qui espère pouvoir publier rêve, tous les deux commençants, et se heurtant à un monde d’adultes, qui donnent volontiers des leçons, ou même dominateurs. [1]

Début de la pièce,  Jean est seul en scène, dos au public et dans la pénombre, il se livre à un monologue : « je ne veux pas compter les années… Il me semble que tout est resté si vivant… cela n’appartient pas au passé. » Pour bien préciser l’impression qu’il vaut donner, Modiano donne ces indications : « À mesure que les répliques se succèdent, la lumière baisse, si bien que l’on finit par entendre leurs voix dans le noir ». Comme si le texte chassait peu à peu l’image pour mieux se concentrer sur le contenu, s’imprégner de l’atmosphère qui en résulte.

          
« Écrire est une activité bizarre qui vient un peu à la lisière de la vie. Il faut laisser des blancs pour laisser une certaine liberté aux personnages. On est prisonnier d'un décor dans lequel on a vécu. » Patrick Modiano

Trois autres pièces interfèrent dans sa pièce : La Mouette de Tchekhov dans la traduction d’Elsa Triolet, Bon week-end Gonzales, une pièce de boulevard (imaginaire), et L’Inconnue d’Arras, tout aussi imaginaire et rappelant Jean Giraudoux. Elvire, la mère de Jean, lui a donné ce prénom en pensant à Giraudoux qu’elle aurait aimé rencontrer et être son interprète mais elle n’a joué que du boulevard, sans grand succès. Elle vit avec un écrivain, Caveux et Jean ne l’aime pas, disant avec dégoût « Caveux n’est pas un écrivain… tout juste un journaliste »
On voit bien le parallèle avec la pièce de Tchekhov : Jean et Constantin, Dominique et Nina, Caveux et Trigorine, Elvire et Arkadina.

       Avec Annie Ernaux

Comme à son habitude, Modiano nous entraîne dans son quartier parisien préféré, parcourant la rue Blanche, la rue Henri-Monnier, la rue des Mathurins, le boulevard de Clichy, le boulevard des Batignolles où se situe le Théâtre Hébertot.

Situés côte à côte, deux théâtres au profil fort différent : dans l’un, Dominique répète La Mouette et dans l’autre Elvire joue Bon week-end Gonzales. Certains disent même qu’un tunnel les relie. Une différence qui cache quand même comme dit Jean, « c’est toujours les mêmes coulisses, les mêmes loges, le même velours rouge, et la même angoisse avant d’entrer en scène. »

Si on a parfois parlé de roman à clés, c’est qu’effectivement Elvire est la transposition de la mère du romancier, Louisa Colpeyn, actrice qu’on a surtout vue dans les casinos des villes où elles faisaient des tournées et où l’on expédiait le jeune Patrick en pension, où il fuguait régulièrement. Caveux, l’écrivain qui bride Jean, se moque de son travail d’écriture, cite Sartre à tout bout de champ est Jean Cau, le compagnon de Louisa Colpeyn.


Il est question de temps, de mémoire comme toujours chez Modiano, et la pièce trouve son sens dans les strates des scènes où s’estompent les notions de temps et de souvenir : réminiscences éparses, mémoire poreuse qui brouille le jeu et mélange les cartes : « Si tu savais comme Paris a changé… J’ai l’impression de n’y être plus à ma place ; jour après jour, c’est une lutte contre la solitude… et pourtant, dans certains quartiers, on se retrouve brusquement tel qu’on était… (p.91).

  Avec Catherine Deneuve                   
Notes et références
[1] Le fil conducteur repose sur la reprise d’éléments biographiques tirés de son ouvrage intitulé Un pedigree paru en 2005 


Mes articles sur Patrick Modiano :
* Patrick Modiano, biographie
--  Souvenirs dormants --

* L'horizon  -- Dora Bruder -- Remise de peine -- Quartier perdu

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier -- Un pedigree --
* L'herbe des nuits -- Nos débuts dans la vie --


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