Cette ancienne citadine qui chante la nature, est devenue (aussi) éleveuse de brebis dans la campagne vosgienne à quelque 750 mètres d’altitude.
Cette alsacienne née en 1 940 a deux casquettes, étant à la fois plasticienne et écrivaine.

La plasticienne s'est fait un nom et a beaucoup exposé : de Grünewald en 2008, "Un héritage de couleurs", jusqu'au Centre d’Art contemporain du Luxembourg belge en 2018 ou la Galerie Chantal Bamberger, Strasbourg, "Icônes" en 2019.

        
      Devant sa maison de Bambois avec sa fille Chloé & la chienne Babou

En 1983, lors de l’exposition Images et création, elle présente des rouleaux d’écritures calcinées face à de grands tirages en noir et blanc et deux ans plus tard, elle débute la série consacrée aux Bibliothèques en cendre, et participe à plusieurs expositions (Paris, Lausanne, Londres). Cette série donne une vision assez pessimiste de l’Humanisme. Mais pourtant, écrit Anne Moeglin-Delcroix son approche « illustre en même temps que la violence faite aux livres, le souci de leur conservation, puisqu’ils témoignent autant de la destruction par le feu que du respect des fragments épargnés. »

            
« Je me suis demandé... à la fin de cette journée de mon retour qui avait coïncidé avec celui de Yes, ce que j'aimais plus que tout. J'ai compté.
La liberté. »

Après Les Grands cerfs, prix Décembre 2019, la romancière nous propose cette fois Un chien à ma table, histoire de l'irruption d'un animal blessé dans un vieux couple vivant à l'écart dans une forêt qui réalise une osmose entre la révolte féminine et le saccage de la Nature, dans un style très poétique.

Un livre sur la vieillesse, celle du corps, pas tant celle de l’esprit, d'un vieux couple Sophie et Grieg pris dans leur routine, vivant dans leur ferme retirée de Les bois-bannis. Un livre sur la nature et sa destruction prévisible, un livre sur les liens profonds avec le monde animal dont Yes, ce chien recueilli, représente le symbole.
Ils sont pourtant si différents, Sophie adore les longues marches dans la forêt, Grieg, étranger au monde, dort le jour et lit la nuit, s'adonnant à la littérature. L'arrivée de Yes servira de révélateur d'un amour qui avait succombé à la routine. Sophie est à la fois écologiste, défendant une Nature de plus en plus menacée, et féministe défendant la cause des femmes.
Comme l'a écrit un critique : « Je suis comme un chien à sa table, j'attends qu'elle me jette ses mots en pâture pour m'en délecter, m'en réconforter, m'alerter aussi, jamais rassasié. »


               

Joie et perte mêlées
« Il y a à la fois joie et chagrin dans ma façon d’être au monde. »

Dans une interview, elle précise qu'elle a voulu écrire un livre sur l’état du monde, « où il n’est pas uniquement question de la vieillesse d’un couple, mais également de la vieillesse du monde, et de la perte qui, de jour en jour, nous entoure plus profondément. » Ces pertes qu'elle évoque, c'est celles de la biodiversité, du vivant dans notre environnement, des mondes qui l'entourent et des langages autres que le mien. Mais d'un autre côté, ces pertes ne sont pas synonymes de tristesse, « car je suis inépuisablement émerveillée par le monde et par ce qu’il en reste, et en même temps extrêmement chagrinée de le voir disparaître. »
Rappelant la dernière phrase de son livre "Les larmes dans les yeux", elle ajoute qu'elle concerne « à la fois l’histoire de la petite chienne, mais aussi l’état du monde. »

       

Les relations humains et non-humains

« Une nouvelle équipée. Avec mon corps. Avec ce qui reste de mon corps. Avec ce qui reste de la forêt. Mon corps et la forêt. Nos corps usés, troués. Entre leurs accrocs, leurs ellipses, il reste de petits cosmos. »

Le titre choisi "Un chien à ma table" rappelle "Un ange à ma table", ange inspirateur de l'écrivaine. Si un mur séparant humains et non-humains existe vraiment, ce serait celui du langage, cette tour de Babel qui nous couperait des autres.

Quand l’autrice écrit, elle s’installe à la table, et tient beaucoup à ce qu’elle écrit. Beaucoup de personnes disent qu’il y a un mur, qui séparerait les humains des non-humains : ce mur est celui du langage, ce langage que nous avons acquis et qui nous placerait autrement dans le monde. Alors dit-elle, « j’ai voulu que cette petite chienne très humanisée soit la gardienne du langage et des humains, qu’elle brise le mur entre les humains et les non-humains, et que l’écrivaine et elle soit amie, tout simplement. »


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