Patrick Modiano, 70 bis, entrée des artistes

 Référence : Patrick Modiano, Christian Mazzalai, 70 bis, entrée des artistes, éditions Gallimard, collection Blanche, 206 pages, 2025

      
Christian Mazzalai et Patrick Modiano chez lui à Paris 

Patrick Modiano aurait-il fait cette fois-ci les poubelles de l'Histoire ? Surprise : cette fois-ci, il s'est associé au guitariste du groupe Phoenix, Christian Mazzalai, pour concevoir cet opus intitulé "70 bis entrée des artistes", récit hybride imbriquant texte et archives, enquête et écrits de Patrick Modiano. 

« Aujourd'hui, il semble que l'une des portes du 70 bis où il est écrit sur une petite plaque d'émail 'Entrée des artistes' n'a pas été ouverte depuis longtemps. Où sont les artistes ? », s'interroge Patrick Modiano. 

Le départ de l'aventure, c'est une caisse de documents que Christian Mazzalai qu'on nomme parfois "l'archiviste", a découverte dans une cave, contenant lettres, photographies et coupures de presse, supports de l'époque dont l'inspecteur Modiano s'est ensuite emparé pour enquêter et  composer un album de mémoire qui nous transporte dans l’atmosphère du Montparnasse d’autrefois. 

           

Un haut lieu du Montparnasse d’antan et ses personnages

C'est là un duo inattendu basé sur quelque 900 documents dont une centaine retenue finalement, transformés en récit par Modiano, qui signe un livre tenant de l'album, du roman et de l'essai.

Dans « 70 bis entrée des artistes », cosigné avec Christian Mazzalai, le Prix Nobel rouvre la porte du 70 bis, rue Notre-Dame-des-Champs, une adresse parisienne qui vit défiler un nombre impressionnant d'artistes dans ce quartier cosmopolite. [1]

On y trouve aussi bien des personnages hauts en couleur comme Samuel Granowsky, dit « le cow-boy de Montparnasse, » un Ukrainien fauché, peintre, modèle, figurant pour films muets, à cheval dans les rues du quartier, coiffé d’un chapeau texan. « La concierge du 70 bis, M^me Davaze, se rappelait encore dans les années 1960 les visites qu'il faisait à son ami le peintre Yasushi Tanaka. » Arrêté pendant la rafle du Vél’d’Hiv en juillet 1942 puis déporté à Auschwitz où il est mort.

    

Bien d’autres encore, des inconnus aux vies bohèmes, hauts en couleurs, comme son amie Aïcha, « moitié Martiniquaise, moitié Flamande, » Claude Cahun… Auguste Toulmouche ou encore Nils von Dardel, « dont on disait qu’il était “le plus bel homme de Montparnasse” avec Modigliani et le peintre Abdul Wahab ».

Autant de personnages pour peupler un Montparnasse à la sauce modianesque. Autant de d'informations, d'indices « qui nous parvenaient, écrit Modiano, du 70bis comme des signaux de morses, des faits divers qui ont eu lieu à cette adresse. [...]  Il faut rêver à ce que pouvait être à la même époque la rue Notre-Dame-des-Champs, qui s’était appelée jadis le "chemin Herbu". »

On y retrouve les obsessions d’un homme qui pour une fois mène l’enquête, dans son Paris, le demi-monde interlope et les années sombres.

 
Christian Mazzalai et Patrick Modiano

Patrick Modiano, Montmartre et le 70bis (extraits d’une interview)

- Le 70bis de la rue Notre-Dame-des-Champs est une rue au cœur de Montparnasse. Déjà, dans le Bottin de 1894, on y mentionnait une centaine de peintres et de sculpteurs. 
- On peut dire qu’il s’agit bien d’un « carnet de fouilles » où sont répertoriées des photos, des petites annonces de journaux qui nous parvenaient du 70bis comme des signaux de morse, des faits divers qui ont eu lieu à cette adresse. Je me souviens d’une visite avec Christian dans les caves encombrées du 70bis, où nous avancions comme des spéléologues. 
- À côté de personnages connus, on en trouve d’autres assez surprenants comme le singe Jacques, le jeune étudiant anglais Robert Short, sœur Emmanuelle, le Cavalier Bleu, Rita Renoir…
- Dans ces personnages, ce qui nous intéressait, c’était leur diversité, de savoir s’ils avaient quelque chose à se dire quand ils se croisaient dans les couloirs. 
- Dans cet immeuble, se sont croisés pendant deux siècles, dans les ateliers et le jardin, une centaine de personnes que nous avons pu identifier. Le choix d’une unité de lieu et d’un espace bien défini et limité nous permettait de ressusciter plus facilement le temps perdu.
Il reste des indices derrière les murs et les pierres effritées, des personnages étranges, un long cortège qui résonne encore jusqu’à nous…

            

Notes de renvoi
[1]  Modiano aime bien les titres en forme d'adresse comme La Place de l'étoile en 1968, Villa Triste, Rue des boutiques obscures ou Memory Lane.

Points de repère.
* « Modiano a la capacité de transformer les fragments du passé en matière littéraire. » (Le Monde) 
* « Une nouvelle façon pour Modiano d’approcher l’énigme des visages tout juste croisés, des vies surgissant brièvement de l’obscurité avant d’y retourner ». (Télérama)

Voir également
* Mon site Patrick Modiano --
* Les soirées de la Boîte à Thé --

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