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La guerre religieuse au Mexique
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Il aura fallu la diffusion en France du film For Greater Glory interdit par la censure depuis deux ans, pour qu’on parle de la révolte des Cristeros [1] au Mexique, qu’on a parfois comparée à la révolte vendéenne, mouvement qui rejoint la grande révolte de la Chouannerie pendant la Révolution française. Même fond de révolte pour la liberté de culte face à un pouvoir qui, malgré ses qualités, est foncièrement anticlérical et décidé à tout pour éradiquer une foi séculaire. Pourtant, le film ne heurte aucun canon de la sensibilité humaine, servi de plus par des acteurs renommés comme Andy Garcia dans le rôle du général Prudencio Mendoza, Peter O’Tool et Eva Longoria.
Le général Enrique Gorostieta "embauché" comme chef des rebelles Cristeros, n’est pourtant pas spécialement croyant mais c’est un meneur d’hommes et il se rendra vite indispensable. Il finira par faire corps avec les révoltés et par se convertir. Le soulèvement débuta dans l'État du Jalisco, au bord de l'océan Pacifique vers Guadalajara et il s'étendit rapidement à la moitié des 30 États de la fédération mexicaine. La résistance populaire s'organisa autour du renseignement, de l'approvisionnement des combattants et au transport des munitions. Des brigades féminines virent même le jour, les Brigadas Bonitas (Jolies brigades), sous la bannière de Jeanne d'Arc.
Exécution du père Francesco Vera en 1927 au Jalisco
Cette révolte des Cristeros se déroula entre 1926 et 1929. [2] Après la guerre civile qui ravagea le pays entre 1910 et 1917, le parti socialiste arrive légalement au pouvoir en 1924 et il le restera jusqu’en 2000. Le président élu, Plutarque Calles, appliqua strictement les lois anticléricales votées par la majorité pour éradiquer le christianisme dans son pays. La loi fut appliquée manu militari, des églises fermées et les biens de l’Église nationalisés. Les Mexicains, surtout les classes les plus pauvres, tentèrent de faire face, multipliant pétitions et manifestations.
La non-violence ne donnant aucun résultat, en désespoir de cause elles finirent par se soulever : ce fut en 1926 le début de la révolte du Christ Roi, les Cristeros. Ils poussaient leur cri de ralliement : « ¡ Viva Cristo Rey ! ¡ Viva la Virgen de Guadalupe ! » (Vive le Christ-Roi ! Vive la Vierge de Guadalupe), faisant référence à la Vierge apparue à un Indien en 1531 et au pape Pie XI, qui le 11 décembre 1925, parlait du Christ « Roi des nations ».
Ce fut le début de trois ans d’une guerre civile terrible, avec des atrocités dans chaque camp, où l’État pratiqua la torture, brûla des villages, une guerre qui fera quelque 90.000 morts d'après l'historien Jean Meyer [3], dont un grand nombre dans l'armée gouvernementale.
Groupe de Cristeros
Initialement, cet épisode bien oublié des révoltes populaires avait été révélé par le roman La Puissance et la Gloire de l’écrivain Graham Greene, largement inspiré de ces événements et par son séjour au Mexique en 1938, qui lors de sa sortie en 1940, connut un beau succès. Graham Greene est parti de l’histoire dans les années 1930, d’un prêtre alcoolique, traqué par un officier fanatique, ce qui ne l’empêcha nullement de continuer à servir ses fidèles.
Le général Plutarco Calles
Président de la République de 1924 à 1928, le général Plutarco Calles désirait prolonger les acquis de la Révolution de 1910, se voulant le successeur des chefs illustres de cette Révolution que furent Emilio Zapata et Pancho Villa. Il mena une vigoureuse action pour consolider la nationalisation de l'industrie pétrolière, améliorer l'instruction publique et continuer la réforme agraire, distribuant des terres aux petits paysans des coopératives (les ejidatarios). Mais cet homme intransigeant professait un anticléricalisme viscéral qui se concrétisa par une politique répressive à l'égard de l'Église catholique. [4]
Le président-général Plutarco Calles (à gauche)
Les mesures vexatoires et répressives se succédèrent : fin 1924,les catholiques sont privés de leurs droits civiques, le nonce, l'ambassadeur du Vatican, les ecclésiastiques étrangers sont expulsés. Il interdit les congrégations enseignantes et décide la fermeture de plusieurs milliers d'églises. La réaction de l'épiscopat mexicain est tout aussi drastique : en juillet 1926, il suspend l'administration des sacrements pour trois ans, ce qui déstabilise un peuple particulièrement croyant, surtout d'origine indienne et métisse, très attaché à l'exercice de sa foi.
Photo du film de Dean Wright
Vers une paix précaire
Après trois ans d’une guerre sans merci, les différentes parties, sous la houlette de l'ambassadeur américain Dwight Whitney Morrow vont trouver un accord concrétisé par l’accord (ou arreglos) le 21 juin 1929 dans lequel l’État mexicain s’engage à mettre entre parenthèses les lois répressives si les Cristeros déposent les armes. Dans cet arrangement, le Vatican intervient également, intimant même aux Cristeros de déposer les armes sous peine d'excommunication. Malgré tout, ces derniers vont encore être persécutés par l'armée pendant plusieurs années.
Photo du film de Dean Wright
Le 1er juillet 1928, à l'occasion des élections présidentielles, le général Álvaro Obregón est de retour au pouvoir [5] mais il est assassiné le 17 juillet suivant par un étudiant qui lui reproche son anticléricalisme. Émilio Portes Gil assure l'intérim mais Plutarco Élías Calles continue en fait de diriger le pays avec le titre de « jefe maximo » (chef suprême).
Plutarco Calles, qui veut se faire réélire, décide de "terminer" cette guerre" avec le concours du haut clergé catholique des États-Unis qui n'aime guère ces va-nu-pieds de mexicains et font pression sur le Vatican. Il lâche du lest en autorisant le retour du culte catholique en mars 1929 et la réouverture de la cathédrale de Mexico.
La fin de la révolte
Les Cristeros baissent les bras et veulent croire en l’armistice, lassés de la guerre d’autant que leur cher général Gorostieta est mort dans une embuscade le 2 juin 1929. Mais le général Plutarco Calles ne tiendra pas parole et la répression va s’accentuer, ce que reconnaîtra en 1993 le général Luis Garfias : « L'armée fédérale a mené une guerre sans pitié. Elle ne faisait pas de prisonniers, les civils étaient pris comme otages et beaucoup d'entre eux fusillés. La torture fut systématique, on détruisit d'innombrables villages et hameaux ». Commence alors la seconde guerre des Cristeros, guerre perdue d’avance mais qu’ils conduiront encore pendant deux ans, de 1934 à 1936.
L'élection d’un nouveau président en 1934, Lázaro Cárdenas met un terme à l’action guerrière proprement dite (période du Maximato) mais il faudra compter encore deux années supplémentaires pour que la paix religieuse règne à nouveau sur le Mexique en 1938.
Notes et références
[1] Le nom de Cristeros est d'abord un sobriquet donné aux insurgés par les soldats fédéraux mais les combattants vont vite se l'approprier, le transformer en cri de ralliement : "Viva Cristo Rey! ".
[2] A son apogée, au printemps 1929, le mouvement compte 50 000 combattants, dont 25 000 sont placées sous le commandement du général Gorostieta
[3] Voir dans la bibliographie "Œuvres de Jean Meyer"
[4] Il interdit aussi aux prêtres de critiquer le gouvernement selon l'article 130 de la Constitution de 1917, resté inappliqué
[5] Álvaro Obregón avait déjà présidé le pays de 1920 à 1924
Œuvres de Jean Meyer
* La Christiade; l'État et le peuple dans la révolution mexicaine. Paris 1975, Payot.
* La Rébellion des Cristeros, CLD Editions, 348 pages, 2014 (réédition enrichie du livre paru chez Payot)
* La Cristiada, la guerre du peuple mexicain pour la liberté religieuse, version illustrée, CLD Editions, 2014
Autres références bibliographiques
* Cristeros, film du réalisateur Dean Wright, 2012
* Revue Histoire du christianisme, hors-série de mai 2014 consacré aux Cristeros, avec entretien et articles de Jean Meyer ainsi qu’une analyse du film.
* Hugues Kéraly, La véritable histoire des cristeros, éditions de L'Homme nouveau
<<<< Christian Broussas – RC - Feyzin, 20 avril 2014 - <<< © • cjb • © >>>>
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