« Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti. » Albert Camus
« Inventer l’Europe » disaient les pionniers de la
construction européenne, mais encore eût-il fallu qu’ils aient la même
idée, la même définition de cette entité encore à dessiner. Sur cette
page encore blanche, chacun a inscrit sa propre vision, arrivant avec sa
propre Europe, son propre rêve conforme aux intérêts bien compris de leur pays respectif.
A chacun son Europe. Partir sur ces ambiguïtés ne favorisait pas la définition de convergences nécessaires à l’édification de politiques communes.
Sa dénomination contenait déjà dans ses termes de « Communauté Economique Européenne, »
les ambiguïtés d’origine qui limitaient apparemment son domaine
d’application à la simple dimension économique. Le challenge était quand
même considérable et impliquait de trouver des cadres de concertation
tout en conservant ce qui fait aussi la richesse de l’Europe : sa diversité anthropologique.
La chouette, symbole de l'Europe ?
Cette conception dominée par l’Europe de l’économie a produit une ouverture des frontières débridée des produits, des services et des hommes dans le Traité de Maastricht puis avec la volonté de mettre en place une monnaie unique dominée par l’Allemagne et la Banque européenne de Frankfort, une monnaie forte qui handicape la plupart des pays qui ont rejoint la zone euro.
Cette unification voulue essentiellement par les Etats (et non par les
citoyens) s’est imposée sans véritable conscience collective, produisant
comme l’écrivait l’historien Emmanuel Todd « une jungle plutôt qu'une société. »
Sur le plan politique, la situation n’est pas meilleure, l’Europe
cacophonique disperse ses voix sur tous les sujets importants
d’actualité, le référendum sur le Traité constitutionnel
en 2005 a donné lieu à plusieurs rébellions ouvertes (dont la France),
ce qui n’a pas empêché les responsables européens d'en refiler une
nouvelle mouture en sous-main aux peuples européens sous le nom de Traité de Lisbonne.
Tous les beaux discours sur « la fracture sociale, « le monde de la finance » ou « la puissance des forces capitalistes »
n’ont qu’une valeur symbolique le temps d’une élection et font l’effet
d’utopies face au réalisme de ceux que le quidam européen voit comme les technocrates de Bruxelles.
« Les technocrates » entend-on souvent, car les Français en particulier sentent bien, même s’ils connaissent mal les rouages complexes de Bruxelles, que derrière le Parlement européen, derrière le Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement se profile une nébuleuse qui détient vraiment le pouvoir et prend les décisions, en premier lieu la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne qui a obtenu le droit d'initiative des textes, au détriment d’un Parlement
élu démocratiquement mais qui ne possède guère de pouvoir. D’où le
découragement d’un nombre important de députés –même parmi les plus
motivés- qui constatent jour après jour l’inanité de leurs efforts.
Couverture de Marianne, 5/2014
L’Europe ne s'est jamais donnée les moyens de
s’opposer aux égoïsmes nationaux, surtout ceux des pays les plus
importants. Quand par exemple le britannique BAE et le franco-allemand EADS ont esquissé un rapprochement pour devenir un "Grand mondial" de l’aéronautique, l’Allemagne d’Angela Merkel s’y est opposée au nom des emplois allemands. La France se débrouille toute seule en Afrique, comme elle peut, pendant que l’Allemagne regarde vers l’Est et négocie avec la Russie.
Les enjeux pour les années à venir sont considérables. Pour ne prendre qu'un exemple, Google
envisage de numériser et de mettre à disposition des internautes une
quinzaine de millions de livres imprimés, soit quelque 4,5 milliards de
pages disponibles. Magnifique projet, aurait-on tendance à penser dans
un premier temps, mais qui cache en fait un risque majeur, une menace de
domination américaine dans ce nouveau domaine. Domination
intellectuelle plus insidieuse que la domination économique. Si la France avec sa Bibliothèque nationale a une responsabilité particulière, seule l'Europe peut à terme contrecarrer ce projet et proposer sa propre solution.
Le parlement de Strasbourg
L’Europe est depuis toujours en quête de sens, sans
véritable projet mobilisateur qui puisse intéresser les peuples
européens, sans débat public moteur porté par une politique attrayante
de communication. Aucune action qui suscite l’intérêt, qui séduise,
créatrice de symboles forts et d’images positives, qui soit soutenue par
une médiatisation bien ciblée. Pourtant, les hommes de valeurs et les
moyens ne manquent pas. Faire émerger une conscience européenne est
tâche de longue haleine qui demande d’abord une politique de conduite et
de suivi de projets à long terme, porteurs d’identité.
Les
dirigeants européens se contentent jusqu’à présent d’actions ciblées sur
tel ou tel sujet d’actualité au détriment d’un politique ambitieuse qui
puisse générer un mouvement citoyen seul capable de susciter une vision
d’avenir, de donner une âme à l’Union européenne.
Finalement, le seul lien indéfectible entre les citoyens reste la Nation,
lieu où voter signifie encore avoir une chance de peser sur les
conditions de vie et l’évolution de la société. La question fondamentale
est donc de redonner du sens à l’idée européenne qui s’est peu à peu
délitée dans les égoïsmes nationaux, noyée dans les différentes phases
d’élargissement, de faire en sorte que cette institution puisse encore
avoir une influence positive sur la vie quotidienne de chaque citoyen.
Croire à l’action du Parlement, c’est croire à
l’efficacité des institutions européennes, penser que malgré la
distance, les différences de culture et d'intérêts, l'institution
européenne se rapprochera peu à peu des préoccupations du citoyen
européen.
* Voir aussi : L'express, plaidoyer pour une Europe fiscale
<<<< Christian Broussas – Feyzin, 17 mai 2014 - <<<< © • cjb • © >>>>
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