« La matière autobiographique n'a d'intérêt que si elle est "vaporisée dans l'imaginaire", "aérée" par lui. » Patrick Modiano, Le Monde des Livres en 2013
« Presque rien » écrit Modiano dans l'incipit, clin d’œil au titre du livre de Vladimir Jankélévitch, précisant beaucoup plus loin « qu’au début, ce n'est presque rien, le crissement des pneus sur le gravier, un bruit de moteur qui s'éloigne… » [2]
Quand le téléphone sonne chez Jean Daragane, le suspens est lancé. Il s’était assoupi, étonné par cette sonnerie incongrue et insistante. Ce carnet d’adresses que l’inconnu au bout de fil dit avoir retrouvé, le ramène comme toujours chez Modiano à un épisode oublié de son enfance. Et cette voix aussi lui évoque quelque chose d’important qu’il ne peut nommer. Cet événement si anodin apparemment, « cette absence, cette perte vous ouvrent une brèche dans le temps ».
Son mystérieux correspondant qui dit s’appeler Gilles Ottolini rechercherait en fait un nommé Guy Torstel qui figure dans le carnet. Ces réminiscences ramènent Jean Daragane vers le Paris des années 50, vers Saint-Leu-la-Forêt puis vers Annie Astrand, une femme avec qui il a fui en Italie, muni d’un faux passeport au nom de Jean Astrand et qui lui laissera un billet avec ces mots : « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. »
Son enquête, ou plutôt sa quête d’enfance, semble opacifier les faits, ses souvenirs ne cadrent pas avec les témoignages qu’il recueille, brouillée dans cette recherche du temps perdu, par une forme d’oubli qui est comme l’effacement progressif d’un palimpseste et dont on se demande si tout ceci ne repose pas sur une bonne part d’irréel. Dans ces conditions, il semble bien présomptueux à Jean Daragane de pouvoir donner une cohérence à son passé, et encore plus d’établir son autobiographie car dit Modiano « je crois qu’il est difficile d’être son propre biographe ».
Parmi ses souvenirs traîne un roman de jeunesse, un « au secours » pour retrouver une femme, « il m’est souvent arrivé de semer dans mes livres des noms et des détails − comme des signaux de morse – à destination de certaines personnes dont les traces s’étaient perdues » commente Modiano à ce propos. Il croit « que les regards des enfants et des écrivains ont le pouvoir de donner du mystère aux êtres et aux choses qui, en apparence, n’en avaient pas ». Et un mystère se doit de conserver ses zones d’ombre.
Une œuvre littéraire a toujours un fondement onirique où se mélangent la mémoire et l’imagination. C’est ce qu’exprime Modiano dans cette référence : « Samuel Beckett disait de Proust, qui ne faisait pratiquement rien d’autre que d’expliquer ses personnages : "Les expliquant, il épaissit leur mystère". »
Modiano au temps du Goncourt
Notes et références
[1] Quelques mois après la parution de ce roman, Patrick Modiano a reçu le prix Nobel de littérature pour « l'art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation ».
[2] Voir son ouvrage "Le Je-ne-sais-quoi et le presque rien". Vladimir Jankélévitch a également écrit : « Le présent, c'est-à-dire la quotidienneté ambiante, nous assiège de toutes parts et ne cesse de nous convier à l'oubli des choses révolues ».
Le 18 rue Alfred Dehodencq
Sélection critique de la presse
* « Roman parfaitement accompli, grave et, par instants, déchirant – qui pourrait bien être, au fond, un pur roman d'amour. » Télérama, 1er octobre 2014
* « Ce
nouveau livre, bref et intense, surprend aussi par son ambiance funèbre, sa
mélancolie déchirante. Comme s'il se trouvait hanté par les échos lointains
d'une jeunesse tourmentée, que la fiction viendrait enfin sublimer. Sincère,
bouleversant, magnifique. » L’Express, 2 octobre 2014
Le 8 square du Graisivaudan Le 15 rue de l’ermitage à Saint-Leu-la-forêt
Mes autres articles sur Patrick Modiano :
* Patrick Modiano, biographie. -- Quartier perdu --
* L'horizon -- L'herbe de la nuit -- Dora Bruder --
Voir aussi ma catégorie Patrick Modiano --
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