Question récurrente en ce début d’année : faut-il inclure la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France dans le projet de loi constitutionnelle ?
Plus exactement, le projet de révision constitutionnelle, qui sera discuté à l’Assemblée nationale à partir du 3 février, prévoit d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français et « condamné [s] pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation ».
S’ajouteraient donc aux binationaux ayant acquis la nationalité française, les binationaux Français de naissance. Rappelons que pour "naître français", il faut avoir un parent français, que l’on naisse en France ou à l’étranger (autrement dit le droit du sang) OU être né en France et avoir un parent né en France, quelle que soit sa nationalité (autrement dit le double droit du sol). [1]
C’est en tout cas une décision de principe qui graverait dans le marbre (de la Constitution) une "discrimination" entre Français, créant de fait une inégalité devant la loi entre les citoyens. Uniquement pour les binationaux donc, parce que de part les conventions internationales (comme la convention de New York de 1961), il est impossible de rendre un citoyen français apatride.
D’autres plaident pour intégrer à la Constitution la peine d’indignité nationale, peine créée à la Libération pour condamner les collaborations en principe mineures. Elle n’est pas seulement morale mais permet de priver un Français de ses droits civils et civiques, perdant par exemple sa pension militaire, ne pouvant être ni fonctionnaire, ni syndicaliste. Et les textes, même s’ils ne sont plus en pratique utilisés, ne demandent qu'à être réactivés.
Sur la question des apatrides relevant aussi bien de la Convention de l’ONU de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie que de la Convention du Conseil de l’Europe de 1997, la France a bien signé ces textes mais ne les a jamais fait ratifier par son Parlement. Formellement, elle n’est donc pas tenue de les appliquer mais politiquement, face à ses partenaires européens, ce serait beaucoup plus délicat.
Reste que, comme a précisé un juriste, « au regard du droit international, la France n’est pas liée à ces textes ».
Autre difficulté juridique, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 prévoit que « tout individu a droit à une nationalité. » Même s’il s’agit d’une déclaration d’intention sans portée juridique véritable, elle contient une force morale telle qu’il est difficile pour un état d’y déroger.
Il reste aussi à réaliser l’articulation avec deux articles importants du code civil qui traitent de cette question :
- Selon l’article 25 du code civil, « l’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride ». [2]
- Selon l’article 23-7 du code civil qui permet d’ôter aux Français de naissance leur nationalité « Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’Etat, avoir perdu la qualité de Français. »
Dans ces conditions, on peut penser qu’il aurait suffi de modifier les articles 23-7 et 25 du code civil pour atteindre l’objectif que s’est fixé le gouvernement. Mais cette solution obligeait ce dernier à prendre le risque de soumettre son texte au contrôle du Conseil constitutionnel, risque qu’il a apparemment renoncé à prendre.
En tout état de cause, La France a aussi ratifié en 1954 une Convention de l’ONU sur le statut des apatrides qui donne des droits aux apatrides expulsés, en particulier l’article 31 édicte que les « États contractants accorderont à un tel apatride un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays ».
Toutes ces difficultés juridiques cumulées compliquent grandement la tâche de tous ceux qui voudraient modifier le dispositif juridique actuel.
De plus, inclure la déchéance de nationalité dans la Constitution comporte deux inconvénients. D’abord, comme on l’a beaucoup dit, officialiser la création de deux catégories de Français et aussi de pouvoir aggraver cette disposition par un texte de loi complétant la Constitution.
Complément : Être Français par acquisition
Les binationaux qui peuvent aujourd’hui être déchus sont ceux qui ont acquis la nationalité française en se mariant, en étant naturalisé ou ceux qui sont nés en France de parents étrangers.
Donc en l’occurrence, trois grandes manières de devenir français :
- Le mariage. Après quatre ans de mariage, si le demandeur réside légalement en France depuis au moins trois ans et parle français;
- La naturalisation. Après cinq ans de résidence en France — période réduite à deux ans notamment pour les étudiants, voire facultative pour certains cas particuliers (réfugiés, service militaire…) — si le demandeur est inséré professionnellement, parle français et n’a pas été condamné pour des faits empêchant l’acquisition de la nationalité française (atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, terrorisme ou peine égale ou supérieure à 6 mois de prison ferme);
- Naître en France de parents étrangers. Les parents peuvent faire la demande pour leur enfant entre 13 et 16 ans s’il est né en France et qu’il y réside depuis l’âge de 8 ans ; l’enfant peut la demander entre 16 et 18 ans s’il est né en France et qu’il y réside depuis au moins cinq ans ; à 18 ans, le jeune majeur acquiert automatiquement la nationalité française s’il est né en France et qu’il y réside depuis au moins 5 ans, et ce depuis ses 11 ans s’il prouve qu’il remplit les conditions mentionnées.
Situation actuelle
Notes et références
[1] Cas particulier : avoir un parent né en Algérie avant le 3 juillet 1962, date à laquelle La France a reconnu l’indépendance de ce pays.
[2] Quatre motifs de condamnation existent pour être déchu de sa nationalité :
1- Une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme ;
2- Un crime ou délit défini par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal (Des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique) ;
3- S’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
4- S’être livré au profit d’un Etat étranger à des actes « incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».
Le code civil précise en outre que les faits doivent s’être « produits antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition ». Un délai porté à quinze ans dans le cas d’une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour acte de terrorisme.
* Voir aussi ma fiche : La Constitution et l'état d'urgence --
<< Christian Broussas • D. P. 2 • °° © CJB °° • 9 janvier 2016 >>
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire