jeudi 10 mars 2016

François Mitterrand 20 ans déjà

« Ma liberté ne vaut que si j'assume celle des autres.»
 
« François Mitterrand, une histoire française » titrait Serge July [1] pour célébrer le vingtième anniversaire de la mort de l’ancien président (et le centenaire de sa naissance le 26 octobre 1916). Il aimait à rappeler ce credo qu’il a suivi tout au long de sa vie : « Il n'est pas de force au monde (...) à l'égard de laquelle je ne sois tout à fait libre», comme s’il voulait se démarquer ainsi des aléas de l’existence, de ses temps faibles et donner une résonance à un parcours assez atypique. Un effet de cette volonté qui lui a fait lancer un défi à la terrible maladie qui a longtemps menacé sa vie et a fini par le terrasser.
En fait, une occasion exceptionnelle de mener un combat qui lui paraissait digne de rejoindre la mythologie herculéenne.

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                          François Mitterrand : Du jeune ministre au Président


Celui qui se rêvait écrivain, aura écrit chaque page de sa vie comme une autofiction digne d’une grande saga comme on savait en écrire quand la politique tenait aussi du rêve. Cette volonté est inscrite dans le marbre de ses actions qu’il aurait voulu symboliser au sommet du mont Beuvray[2] mais des hommes de rien ne l’ont pas voulu, eux… Il croyait en lui, il croyait en la politique dans un monde politique qui n’avait plus assez d’orgueil pour y croire. On lui en a assez voulu, on le lui a fait assez payer car comme l’a écrit André Malraux, « Appartenir à l'Histoire, c'est appartenir à la haine. »

Loin du PanthéonFrançois Mitterrand a voulu commencer son premier septennat, comme un symbole avant même de prendre possession de l'Elysée, il avait décidé finalement de se retirer sur l’Aventin, dans ce petit cimetière de province, dans ce caveau familial comme beaucoup de ces Français qui se retrouvaient en lui, rejoignant cette terre de Charente où, devenu adulte, il était très peu retourné.

 « Un destin » dit-on volontiers de ces hommes dont l’ambition se confond avec celle de leur pays –ce n’est pas pour rien qu’il s’est opposé à de Gaulle, seul légitime à ses yeux- qui sont comme disait Romain Rolland « au-dessus de la mêlée », toujours seuls d’une certaine façon, face aux rendez-vous qu’ils ont fixés à l’Histoire. Le reste n’est que soubresauts des aléas de la vie, ce qu’il faut laisser aux chiens pour sauver l’essentiel.

    Gilbert Mitterrand, fils cadet de François Mitterrand, François Hollande et Mazarine Pingeot, le 8 janvier à Jarnac.  
    Jarnac le 8 janvier 2016, le Président avec Gilbert et Mazarine


« On ne fait rien sans grands hommes et ceux-ci le sont pour l'avoir voulu », aurait confié à Malraux le général de Gaulle qui savait de quoi il parlait. Mitterrand a tant combattu cet adversaire à sa mesure, se servant après lui de cette Constitution taillée à la dimension de leurs ambitions. L’Histoire… sans doute pourrait-on écrire des pages entières de notre histoire qu’il a imprimée de sa marque, avec ses doutes et ses zones d’ombre, du jeune étudiant qui manifeste avec Les Croix de feu jusqu’au Président à la rose au poing qui portait le Programme commun comme l’espoir du peuple de France. Son parcours l’a mené de "l'après-Première Guerre mondiale" à "l'après-guerre froide" jusqu’à l'effondrement du communisme et sa disparition au seuil  du deuxième millénaire.

« Un homme complexe » entend-on souvent à son propos, plutôt multiforme, les pieds dans sa terre, dans ses terres d’élection, amoureux de ces « chênes qu’on abat » (encore Malraux), des forêts et des chemins creux qu’il aimait fouler dans sa jeunesse du côté de Jarnac, au domaine de Touvent ou beaucoup plus tard du côté de Latche dans les Landes. « Quand j’étais enfant, j’étais à Jarnac, en Charente. C’est le pays de ma famille. Mon pays » a-t-il dit dans une interview.

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 Son parcours, comme beaucoup d’hommes de sa génération, pris dans la tourmente des événements de ce siècle "de bruit et de fureur", a contribué à en faire un homme de contradictions, qui l’a conduit des tentations de la Révolution nationale à la Résistance, de l’anti communisme à l’Union de la gauche, de sentiments coloniaux aux premiers textes sur la décolonisation africaine, de la droite bourgeoise de sa jeunesse comme l’a décrit Pierre Péan, [3] au leader incontesté de la Gauche.

          

N’a-t-il pas écrit : « En politique, c'est l'événement qui commande. » Le programme n’a qu’un rôle directeur et doit s’adapter aux aléas du quotidien, à l’imprévu qui domine le monde et bouleverse les plans les mieux établis. Là encore, certains ont ont inféré qu'il aurait sans doute pu être d'accord avec Cocteau qui a écrit « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur. » [4] François Mitterrand faisait uniquement référence à cette dualité de la politique, cette complexité dans l'équilibre à réaliser dans l'atteinte d'objectifs soumis aux aléas des événements.  
 
Ce double positionnement entre volontarisme et conjoncture lui a en tout cas permis de prendre des décisions marquantes dont certaines comme l'abolition de la peine de mort ou la décentralisation, sont devenues emblématiques, même si d’autres comme les nationalisations ont sombré dans la mondialisation et le triomphe du libéralisme.
Dans le domaine extérieur, l’implantation des euromissiles,  le grand marché européen ou le traité de Maastricht et en France, la gestion des deux cohabitations, les accords de Nouvelle-Calédonie, le Grand Louvre ou la Bibliothèque nationale de France, ont largement marqué ses deux mandatures.

Si l’on peut dire en citant Lamartine (l'un de ses auteurs préférés) « qu’il fut le grand flaireur infaillible de toutes choses humaines… », il n’aurait sans doute pas spécialement goûté cette référence à Talleyrand dont Chateaubriand a dit qu’il était « le vice appuyé sur le bras du crime », Talleyrand marchant soutenu par Fouché. Il savait en tout cas relever la tête dans la tourmente et se ressourcer pour mieux surmonter les difficultés, la défaite, l’humiliation, "rebondir" après l’attentat de l’observatoire, après sa défaite aux législatives de 1958, sa "traversée du désert" jusqu'à l'élection présidentielle de 1965, après…

On le disait "homme de jouissance" qui savait se satisfaire de la respiration du temps, qui savait que l’ambition –qu’on lui a tant reprochée aussi- dicte une conduite mais pas la vie, qu’il y a le temps des combats, le temps des espoirs, le temps du pouvoir, le temps de l’écriture, de l’amour et de l’amitié… autant de respirations, autant de moments qui ont scandé son existence. Toujours avec le recul nécessaire et cette lucidité propre à ceux dont chaque étape est un engagement.


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Je me souviens... du choc de ma première lecture de La paille et le grain où, au-delà de la politique et des reprises du bloc-notes de l'Unité, l'hebdomadaire du PS, il évoque son émotion devant un camélia, une plage en hiver, les terrasses de Florence, un vol de grues à Latche... Même approche dans L'abeille et l'archiecte quand l'homme Mitterrand se détache de l'homme politique, sensible à la volte du vent « grande rumeur dans le ciel immobile », sensible au passage du temps, les odeurs du terroir, celle du blé, celle du chêne, à la douceur du rêve... D'un bon, je saute à cet autre livre "Mémoire à deux voix", ce travail de mémoire auquel il s'astreint à la fin de sa vie, écrit en écho avec son ami Elie Wiesel, quand se fait sentir le besoin « de confier à l’écriture le soin d’ordonner sa vie... de dire, en quelques mots trop longtemps contenus, ce qui m’importe. »

     
Entretiens Mitterand/Marguerite Duras


"Mémoire à deux voix" m'évoque ces dialogues avec son amie Marguerite Duras, une amitié qui vient de loin, d'un temps de cendres et de dangers, liens indissolubles nés du combat commun dans leur réseau de la Résistance où, là aussi, au-delà des événements politiques marquants des années quatre vingts qu'ils commentent, se tisse un échange entre les thèmes de responsabilité et de liberté, la lecture de l'histoire, la vie en société, les fondements du racisme, pour terminer par Jules Renard, « écrivain de la Nièvre » dont  Mitterrand aimait tout particulièrement le Journal et rappelle à Marguerite Duras la scène où la mère de l'écrivain se jette dans un puits,  « Drôle de façon de me faire orphelin » commente Jules Renard, réplique qui amusait beaucoup le Président.

Sa dernière réflexion sur les actions qu’il a menées s’est terminée avec ses "Mémoires interrompus", écrits avec la complicité du journaliste Georges-Marc Benamou, où il confie dans la préface : « L'histoire de la France me possédait, j'aimais ses héros, ses fastes, et les grandes idées venues d'elle qui avaient soulevé le monde. » Ce dialogue, il l’a poursuivi inlassablement avec la France, même quand son temps était compté, confiant comme ultime consolation que « quand on est dans l’action, il n’y a pas d’immense déception ! »


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Notes et références
[1]
Voir aussi Serge July, "Les années Mitterrand", 1981-86, éditions Grasset, 288 pages, 1986
[2] François Mitterrand,
alors président de la République, s'y était rendu pour célébrer l'oppidum de Bibracte et avait songé à se faire enterrer sous l'un des chênes qui poussent au sommet.
[3] Voir Pierre Péan, "Une jeunesse française", éditions Pluriel, 640 pages, 2011

[4] Jean Cocteau, "Les mariés de la tour Effel", éditions Gallimard/Folio, 1977

Références bibliographiques
*
François Mitterrand, Mémoires interrompus, éditions Odile Jacob, 1996
* "La décennie Mitterrand", Pierre Favier et Michel Martin-Rolland, éditions du Seuil, collection "L'épreuve des faits", 1990-1998, 4 tomes, Les ruptures (1981-1984), Les épreuves (1984-1988), Les défis (1988-1992), Les déchirements (1992-1995),  réédition Points, 1995-2001

< Christian Broussas • Mitterrand 2016 °° © CJB  °° 19 janvier 2016 >

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