Une réflexion théâtrale sur le libre arbitre : "To Be Hamlet Or Not" et "Le personnage désincarné
Hamlet et Charlotte Rondelez
Charlotte Rondelez
On pourrait considérer Hamlet comme la tragédie des tragédies. Dans cette pièce, beaucoup de morts, périssent ainsi successivement la reine Laërtes, Claudius, la belle Ophélie et bien sur Hamlet lui-même, héros vindicatif de cette terrible tragédie. Mais le jeune prince du Danemark
en a eu assez de mourir lors de chaque représentation de la pièce. Bien
résolu à mettre fin à son funeste destin, il a décidé de s’adresser
directement à son créateur et à revendiquer le droit de choisir son
avenir.
Charlotte Rondelez a pris le parti de mettre de côté la pièce de Shakespeare, en prenant le contrepied du texte d’origine, passant à la comédie et fait d’Hamlet un homme qui s’interroge sur les notions de choix et de libre-arbitre. To Be Hamlet Or Not ou le triomphe de la liberté contre tout fatalisme, contre la pensée rigide.
Le propos et la mise en scène sont carrément modernes. Fini le froid et la solitude du château d’Elseneur,
les grandes tirades et le drame latent traduisant les égoïsmes et les
tensions entre les personnages, la pièce devient foisonnante, folle par
instants, échevelée, renvoyée à une vision contemporaine du thème de la
liberté. Les personnages shakespeariens deviennent ainsi Godot, Pip le marin, Alice au Pays des Merveilles ou le chat du Cheschire. Ces grandes figures littéraires sortent des manuels, des bibliothèques luttent contre tout esprit de fatalisme et disent à Hamlet
qu’une autre voie était toujours possible. D’autres figures plus
baroques, tournés vers l’hystérie, l’égarement viennent conforter le fil
conducteur et nous emmène dans les rues du Bronx ou dans les coulisses du tournage d’un film contemporain.
La mise
en scène est à l’unisson, entre les déguisements, les changements de
rythme et les tirades pleines d’esprit, sautant d’une époque à une autre
comme autant d’interrogations sur la condition humaine. À chacun sa
fatalité, tant il est difficile d’influer sur une trajectoire qui a
tendance à continuer sur sa lancée.
To Be Hamlet Or Not
nous renvoie Un spectacle bourdonnant, ironique, parfois opaque mais
qui nous fait comprendre que la vie est une scène où chacun doit
vraiment jouer son rôle…
Le personnage désincarné d’Arnaud Denis
En
pleine représentation, un acteur s'arrête de jouer. Aurait-il oublié son
texte ? Pas du tout, il veut rebattre les cartes, gagner sa liberté par
rapport à un auteur qui l’oblige chaque soir à se suicider. Quand
l’acteur se rebelle, la réalité peut tout à coup dépasser la fiction,
reste malgré tout la part de la réalité sur la scène, confrontée à ce
qui reste la fiction.
Grégoire,
personnage théâtral, ne veut plus de ce destin dicté par l’auteur. Il a
conscience d’une réalité au-delà de la scène et décide de se remettre
en cause, de se confronter à cet auteur qui finalement le prive de sa
liberté d’acteur.
À la fois comédien et metteur en scène, Arnaud Denis (comme Charlotte Rondelez)
connaît les deux faces du miroir, la marge de manœuvre du metteur en
scène, la maigre latitude supposée de l’acteur. Il a été souvent dirigé
en particulier dans ses interprétations de Dorian Gray, de Dom Juan ou du Misanthrope.
Cette fois, il brouille les cartes en mêlant réalité et fiction pour
mettre en exergue le processus de création artistique, le marionnettiste
qui tire les ficelles de la condition humaine.
Les trois acteurs de la pièce
Pour donner plus de force au texte, Arnaud Denis a opté pour la sobriété de la mise en scène. Grégoire va devenir peu à peu cet "homme révolté" cher à Camus,
un homme qui passe par plusieurs états avant d’assumer sa révolte, tour
à tour vulnérable et paumé avant de trouver un certain équilibre. "L’auteur" est très est ambivalent, fermé et sans concessions puis laisse poindre son désarroi et sa solitude.
Cette confrontation de la réalité et de la fiction rappelle la célèbre pièce de Pirandello et de ses "Six personnages en quête d’auteur". Des personnages qui n’aiment pas l’interprétation des comédiens, qui n’y retrouvent pas "leur vécu",
qui veulent qu’on traduise leur réalité, et pas une quelconque fiction.
Les six personnages (amateurs) finissent par jouer eux-mêmes leurs
scènes devant la troupe, si bien que la fiction finit par s’estomper au
bénéfice d’une réalité troublante, en particulier pour les acteurs.
Audran Cattin Le "personnage désincarné"
Références
To Be Hamlet Or Not, de et mis en scène de Charlotte Rondelez
Théâtre
du Lucenaire, avec Pauline Devinat, Céline Espérin, Julien Le Provost,
Harold Savary et Cédric Villenave, musique Ben Brion, lumières François
Loiseau
Le personnage désincarné, une pièce écrite et mise en scène par Arnaud Denis, Avec Marcel Philippot, Audran Cattin et Grégoire Bourbier
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