Référence : Paul Auster, "4 3 2 1", traduit de l'anglais par Gérard Meudal, éditions Actes Sud, 1024 pages, 2018
Un nouveau roman de Paul Auster
ne peut laisser indifférent.Il s’agit cette fois de la vie d’un garçon
d’origine juive né en 1947. Jusqu’ici, rien d’original si ce n’est que
cette narration se décline en 4 scénarios possibles dans les aventures
de ce personnage avec l’histoire des États-Unis
en toile de fond, dont la somme doit en donner une vue synoptique, un
peu comme dans un tableau cubiste qui montre différentes facettes d’un
personnage.
D’où le titre sibyllin à-priori : 4 3 2 1.
C’est
un roman d’une grande densité, d’une grande épaisseur pas seulement due
à ses 1024 pages. Il est bâti sur une légende, celle du grand-père de Ferguson, le héros du roman, parti de Biélorussie avec cent roubles en poche, qui débarque à Ellis Island « le premier jour du XXe siècle » après une traversée à bord de "L'impératrice de Chine".
Peut-être qu’en trafiquant son nom, il aurait pu s’appeler Rockefeller mais, intimidé par le service d’immigration, il répondra simplement en yiddish quand on lui demande son nom : « j’ai oublié » ("Ikh hob fargessen"), ce que l’administration traduira par Ferguson.
Mélange de légende et de réalité vont ainsi marquer la naissance de Ferguson en 1947.
Paul Auster a conçu un dispositif narratif très personnel en initiant quatre scénarios possibles pour Ferguson, technique destinée à dessiner un portrait en profondeur d’un homme plongé dans l'histoire des États-Unis.
vie d’Archie Ferguson
n’a rien de très original. Il grandit entre des parents aimants ; un
père qui tient un magasin d'électro-ménager, une mère photographe. Même
s’il aurait aimé avoir des frères et sœurs, il restera fils unique.
Autour d’eux vivent aussi les grands-parents maternels, les Adler, de New-York, Milred, sa tante, la sœur de sa mère, une intellectuelle. Chez les Ferguson,
ce sont les frères de son père, avec femmes et enfants, des paresseux
qui travaillent avec son père. Ils finiront par monter une combine
foireuse à l'assurance qui va entraîner la famille dans leur chute.
À partir de cet événement si néfaste pour la famille, Paul Auster imagine différents scénarios, comme si Archie
arrivé à la croisée des chemins, allait emprunter chacun de ces chemins
pour voir ce qu'il adviendra de lui, ce que pourrait être le destin
scellé par chaque chemin. Dès lors, le roman prend quatre directions qui
vont donner au roman toute sa dimension.
Ensemble de variations s'articulant en sept parties.
« Si vous n'êtes pas prêt pour tout, vous ne serez prêt pour rien. »
Question centrale qui conditionne chaque fil narratif : que serait-il arrivé si les événements avaient été différents ? Paul Auster tire les ficelles des circonstances, d’Archie Ferguson, des personnages secondaires pour faire avancer ses différentes hypothèses.
Il multiplie ainsi les événements. Par exemple, tante Mildred divorce et se remarie, donnant ainsi à Archie un cousin par alliance, ou alors les parents font fortune ou au contraire ils continuent de mener une vie modeste. Archie
peut aussi avoir un accident… ou ne pas en avoir. Sa mère peut
également faire une belle carrière de photographe… ou ne plus avoir de
travail.
Chaque avancée permet d’affiner la vision qu’on peut avoir de l’homme et de sa vie. Mêmes personnages et rôles différents… comme si dans l’esprit de Paul Auster les personnages étaient les jouets des circonstances.
Rien
de linéaire dans sa narration, un mélange des possibilités offertes qui
brossent peu à peu un portrait qui se profile tout au long du récit
comme si, à chaque nouvelle possibilité, Archie lançait dans le creuset de la vie les dés du destin.
Au-delà des personnages, Paul Auster brosse aussi un portrait de l’Amérique,
rassemblant clichés et symboles marquants de cette société, comme la
voiture, le Baseball, la télévision… L’histoire et ses présupposés, ses
lourdes conséquences, est toujours là, porteuse d'aléas qui pèsent sur
son avenir, tout y passe la seconde guerre mondiale, l'élection de Kennedy puis son assassinat, la lutte des Noirs américains pour l'égalité, l'émancipation des femmes, les guerres de Corée et du Vietnam…
tout est bon pour influer sur le cours des événements, pour
reconsidérer l’histoire à l’aune de la vision et de l'interprétation des
protagonistes.
P. Auster Invisible Correspondance Auster-Coetzee
On
referme le livre en espérant répondre à l’interrogation (qui ne
concerne bien sûr pas seulement le héros de cette histoire) : qui est
vraiment Ferguson ? Celui qui sort des arcanes du
labyrinthe a parcouru beaucoup de chemins, a laissé sur les bas-côtés
ses autres doubles au gré des événements, même si c’est pour l’auteur
une déchirure de rejeter ceux qu’il avait « appris à aimer autant qu'il s'aimait lui-même ».
Comme a écrit la journaliste Laurence Houhot de Culturebox : « là où tout bouge, la fiction est le point d'ancrage, ce à quoi le lecteur peut s'arrimer sans jamais perdre pied. »
Voir aussi
* Nadine Gordimer, Beethoven avait un seizième de sang noir
et Feu le monde bourgeois --
<< Christian Broussas, Auster - Feyzin - 9/02/2018 © • cjb • © >>
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