samedi 30 juin 2018

Patrick Modiano, Dimanches d'août

Référence : Patrick Modiano, Dimanches d'août, éditions Gallimard, collection Blanche, 186 pages, 1986
 
   
« Il suffit souvent de quelques années pour venir à bout de bien des prétentions. » (page 29)

Lire Patrick Modiano, c'est avant tout pénétrer dans son univers, dans les ambiances singulières qu'il sait créer en véritable maître à travers des décors précis qui distillent peu à peu un climat particulier qui n'appartient qu'à lui. On y retrouve aussi ce qu'on a souvent appelé sa "fameuse petite musique" où tout est choisi avec un soin méticuleux, les mots, le rythme du récit, parfois ralenti, avec une certaine nonchalance, parfois plein de fulgurances.

Cette ambiance renvoie au contraste entre un présent "vide et désolé" et un passé nébuleux, insaisissable, une confrontation de deux époques génératrices d'inquiétude latente qui peut prendre une forme angoissante et où le futur ne semble pas avoir sa place.

              
Avec Françoise Hardy en 1968     Avec sa femme Dominique en 2014


« Le lendemain de l'arrivée de Sylvia était un dimanche... La fin d'un dimanche d'hiver. [...] Nice, ses rues désertes et ensoleillées du dimanche... » (pages 43 et 95)

Le décor, c'est surtout la ville de NiceJean et Villecourt se rencontrent de manière fortuite. Pas des inconnus car ils se sont côtoyés sept ans auparavant et ils ont aimé la même femme Sylvia, qui a disparu. Pour Jean, la ville aurait pu être un refuge mais elle n'est qu'un pis aller. Ils ne s'aiment pas beaucoup, sans doute parce qu'un secret les lie, celui de la mort du comédien Aimos, officiellement tué par une balle perdue pendant la Libération de Paris mais qui en réalité a été assassiné.

Retour en arrière : il y a des années, Jean et Sylvia qui vivait alors avec Villecourt, se sont réfugiés à Nice, une ville inconnue pour eux, pour passer inaperçus. Cette fuite, c'est pour « tout oublier et tout recommencer », mais tout n'est pas si simple et recommencer n'est souvent qu'un espoir insensé, une vue de l'esprit.
A travers plusieurs analepses (comme Modiano les aime), Jean raconte les événements qui vont le mener à Nice et aux bords de la Marne.


              
                                             La maison Modiano à Jouy-en-Josas


Qu'attendent-ils donc dans cette ville où ils ne se sentent pas à l'aise ? « Nous tissions, disent-ils, une gigantesque toile d'araignée et nous attendions que quelqu'un s'y prenne. » N'est-ce pas par exemple les Neal dont la rencontre va leur donner un nouvel élan. 

C'est un couple étrange, au passé difficile à percer (comme souvent chez Modiano), très intéressé par le seul bien véritable que possède Sylvia, un diamant magnifique baptisé "la croix du sud", qu'il faudra bien se résoudre à vendre. On ne sait qui va gagner entre ce jeune couple et les Neal. Modiano nous laisse sur notre faim, donnant seulement quelques pistes, laissant l'énigme se dérouler.

  Modiano et Philippe Delerm

« Nous étions comme tout le monde, rien ne nous distinguait des autres, ces dimanches d'août. » (page 161)

Jean apprend par le consul américain que le mari a changé de nom et fait de la prison tandis que sa femme a eu pendant l'Occupation des relations intimes avec collaborateur notoire. Ils ont la conviction que ce bijou porte malheur, entraînant même la mort de son propriétaire. Un sentiment contrebalancé par leur envie de vivre, de se mêler à la foule pour échapper à la mort qui guette, leur besoin de se fondre dans l'anonymat, car comme ils le disent« jamais nous n'avons été aussi heureux qu'à ces moments-là, perdus dans la foule au parfum d'ambre solaire... Nous étions comme tout le monde, rien ne nous distinguait des autres, ces dimanches d'août ».


Une disparition, des photographies retrouvées, rien de très probant, plutôt des questions sans vraies réponses qui permettent au lecteur de laisser errer son imagination au gré des indices. Car pour Modiano, résoudre cette énigme policière ne l'intéresse pas, il n'y a rien à expliquer, aucune certitude finale. Rien que des questions résolues un jour puis remises en cause dès le lendemain.

                  
Modiano en 1986


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