Référence : Pascal Quignard, "Terrasse à Rome", éditions Gallimard, 168 pages, 2000
« Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le cœur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d’un bout à l’autre du monde et pour ne pas y tomber. » (p 139)
Geoffroy Meaume le graveur, buriniste ou "eaufortiste" comme on disait alors a pour maître Jean Heemkers, son art est influencé par le sculpteur Jacob Callot qui n’utilisait jamais les couleurs, et surtout Claude Gelée dit le Lorrain dont il sera très proche à Rome. Comme beaucoup d’artistes à cette époque, il voyage un peu partout en Europe, Bruges en particulier pour la peinture des maîtres flamands et surtout l’Italie, Ravello et Rome, où « il gravait des images du paradis sur sa terrasse à Rome … » (p42)
Il apprend le métier avec Rhuys à Toulouse, la taille douce et l’eau-forte avec Johann Heemkers à Bruges, le gravage des paysages avec Claude Gelée à Rome et possédait le sang-froid, la patience nécessaires à l’exercice de son art.
- Pourquoi peindre si tout se consume ?
- Chacun apporte sa petite bûche au bûcher qui éclaire le monde. (p 49)
Meaume dessinait d’abord ses motifs sur du papier bleu, avec un peu de craie ou avec une pointe sèche presque complètement blanche. Dans l’un des ses dessins, « on perçoit une forme derrière des balustres rongés pat la lumière. Homme âgé, les yeux fermés… sur une terrasse à Rome au crépuscule… » (p 87)
Meaume disait volontiers qu’il comptait huit "extases", comme autant de points d’ancrage dans sa vie, comme un rêve, un souvenir, un dessin, un tableau du Lorrain [1], une jeune fille devant des bateaux à Bruges, une tapisserie exécutée par des flamands des Gobelins… mais son rêve prend l’aspect de la jeune Nanni de Bruges dans l’ombre… « C’est Nanni Veet Jakobsz. Elle penche la tête. Elle s’assied sur lui. Elle le plonge en elle d’un coup. Il jouit. »
C’est bien son amour pour Nanni, la fille de Jacob Veet Jakobsz, qui va faire basculer sa vie. Vanlacre, son promis et commis de son père, va défigurer Meaume dans une crise de jalousie, en lui lançant de l’eau-forte sur la figure. C’est ainsi, comme une "gueule cassée" de la Grande guerre, qu’il devra vivre désormais.
Meaune le Graveur mourut à Utrecht en 1667 chez le peintre Gérard Von Honthorst, veillé par son amie Marie Aidelle qui était finalement venue le rejoindre en Hollande. Il avait quitté Rome en 1666, victime d’une agression qui aurait pu devenir fatale sans l’irruption d’un tiers. Apparemment, il y a eu méprise mais il s’avère que son agresseur est le jeune Vanlacre, en fait le fils qu’il a eu avec Nanni. Situation critique qui rappelle le thème du Malentendu, la pièce d’Albert Camus.
Son travail était tout pour lui. Peu avant d’entrer en agonie, il dessine encore avec de la craie sur papier bleu : « Au bas de la falaise, sur le chemin, un paysan revient des champs, la bêche sur l’épaule… »
De son travail, il disait : « On doit regarder les graveurs comme des traducteurs qui font passer les beautés d’une langue riche et magnifique dans une autre qui l’est moins en vérité mais qui a plus de violence. Cette violence impose aussitôt son silence à celui qui y est confronté. »
Notes et références
[1] Une toile de Claude Gelée que le maître lui a offert en 1651, représentant sainte Paule dans le port d’Ostie
Voir aussi mes fiches :
* Pascal Quignard, Tous les matins du monde --
* Quignard, Une jeunesse -- Quignard à Sens --
< Christian Broussas – Quignard Rome – 17/08/2018 - © • cjb • © >
« Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le cœur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d’un bout à l’autre du monde et pour ne pas y tomber. » (p 139)
Geoffroy Meaume le graveur, buriniste ou "eaufortiste" comme on disait alors a pour maître Jean Heemkers, son art est influencé par le sculpteur Jacob Callot qui n’utilisait jamais les couleurs, et surtout Claude Gelée dit le Lorrain dont il sera très proche à Rome. Comme beaucoup d’artistes à cette époque, il voyage un peu partout en Europe, Bruges en particulier pour la peinture des maîtres flamands et surtout l’Italie, Ravello et Rome, où « il gravait des images du paradis sur sa terrasse à Rome … » (p42)
Il apprend le métier avec Rhuys à Toulouse, la taille douce et l’eau-forte avec Johann Heemkers à Bruges, le gravage des paysages avec Claude Gelée à Rome et possédait le sang-froid, la patience nécessaires à l’exercice de son art.
- Pourquoi peindre si tout se consume ?
- Chacun apporte sa petite bûche au bûcher qui éclaire le monde. (p 49)
Meaume dessinait d’abord ses motifs sur du papier bleu, avec un peu de craie ou avec une pointe sèche presque complètement blanche. Dans l’un des ses dessins, « on perçoit une forme derrière des balustres rongés pat la lumière. Homme âgé, les yeux fermés… sur une terrasse à Rome au crépuscule… » (p 87)
Meaume disait volontiers qu’il comptait huit "extases", comme autant de points d’ancrage dans sa vie, comme un rêve, un souvenir, un dessin, un tableau du Lorrain [1], une jeune fille devant des bateaux à Bruges, une tapisserie exécutée par des flamands des Gobelins… mais son rêve prend l’aspect de la jeune Nanni de Bruges dans l’ombre… « C’est Nanni Veet Jakobsz. Elle penche la tête. Elle s’assied sur lui. Elle le plonge en elle d’un coup. Il jouit. »
C’est bien son amour pour Nanni, la fille de Jacob Veet Jakobsz, qui va faire basculer sa vie. Vanlacre, son promis et commis de son père, va défigurer Meaume dans une crise de jalousie, en lui lançant de l’eau-forte sur la figure. C’est ainsi, comme une "gueule cassée" de la Grande guerre, qu’il devra vivre désormais.
Meaune le Graveur mourut à Utrecht en 1667 chez le peintre Gérard Von Honthorst, veillé par son amie Marie Aidelle qui était finalement venue le rejoindre en Hollande. Il avait quitté Rome en 1666, victime d’une agression qui aurait pu devenir fatale sans l’irruption d’un tiers. Apparemment, il y a eu méprise mais il s’avère que son agresseur est le jeune Vanlacre, en fait le fils qu’il a eu avec Nanni. Situation critique qui rappelle le thème du Malentendu, la pièce d’Albert Camus.
Son travail était tout pour lui. Peu avant d’entrer en agonie, il dessine encore avec de la craie sur papier bleu : « Au bas de la falaise, sur le chemin, un paysan revient des champs, la bêche sur l’épaule… »
De son travail, il disait : « On doit regarder les graveurs comme des traducteurs qui font passer les beautés d’une langue riche et magnifique dans une autre qui l’est moins en vérité mais qui a plus de violence. Cette violence impose aussitôt son silence à celui qui y est confronté. »
Notes et références
[1] Une toile de Claude Gelée que le maître lui a offert en 1651, représentant sainte Paule dans le port d’Ostie
Voir aussi mes fiches :
* Pascal Quignard, Tous les matins du monde --
* Quignard, Une jeunesse -- Quignard à Sens --
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