Référence : Maryse Condé, "Histoire de la femme cannibale", édition Mercure de France, 316 pages, collection Folio, 350 pages, 2003
Avec l’écrivain haïtien Dany Lafferrière Avec Jack Lang
Stephen, un professeur de littérature spécialiste de Yeats est retrouvé assassiné dans une impasse du Cap en Afrique du sud. Sa compagne Rosélie Thibaudin, une antillaise peintre et un peu médium ("Rosélie Thibaudin, guérison de maladies réputées incurables") l’avait toujours suivi dans ses différentes affectations, doit apprendre à vivre sans lui dans ce pays qu’elle connaît mal et où plane les relents délétères de l’apartheid.
Son pays à Rosélie, ses racines, son havre, c'était lui Stephen, sa famille ne voulait pas d'elle.
« Le hasard m’a fait naître à la Guadeloupe, dit-elle... J’ai vécu en France. Un homme m’a emmenée puis larguée dans un pays d’Afrique. De là, un autre m’a emmenée aux États-Unis, puis ramenée en Afrique pour m’y larguer à présent, lui aussi, au Cap. Ah, j’oubliais, j’ai aussi vécu au Japon... » C'est pour lui qu'elle reste en Afrique du sud.
Sans doute aussi pour continuer cette recherche d'identité qui l'obsédera toujours.
La construction du roman est complexe, multipliant les flashbacks pour relater son enfance, ses relations familiales, la Guadeloupe, son parcours sinueux avec Stephen et son étrange rapport avec Fiéla. Cette sud-africaine est très mystérieuse, à l'origine d'une histoire de meurtre et de cannibalisme qui va passionner tout le pays. Autre histoire qui va nous dévoiler une autre facette de Stephen dont on ne sait s’il était un Stephen penseur libre et séducteur, provocateur et manipulateur.
Maryse Condé & ses enfants
Par le biais de ces histoires, Maryse Condé développe de nouveau l’un de ses thèmes favoris, la question des relations interraciales et des couples mixtes. Elle aborde aussi sans concession le problème de la violence à travers le tragique de l’apartheid qui traumatise encore l’Afrique du sud, à travers des personnages hauts en couleur, des patients, des amies, des connaissances de Stephen, qui vivent dans un pays de multi cultures et de migration.
"Portrait d’une solitude" par Emmanuelle Tremblay (extrait)
Depuis la parution en 1976 du premier roman de Maryse Condé (née à Pointe-à-Pitre en 1937), la réception critique n'a pas manqué de mettre en valeur le parcours idéologique dont témoigne son œuvre, résolument arrimée aux vicissitudes de l'Histoire, laquelle apparaît forgée d'espoirs, mais et aussi d'un profond désarroi que l'on peut attribuer à la difficulté, pour la majorité des personnages féminins de l'auteure, de retrouver une identité, à jamais perdue dans le labyrinthe de l'exil.
Plus spécifiquement, les tentatives de "re-construction" identitaire « noires » imprègnent une narration qui en explore les contradictions et les pièges pour rendre compte, toujours subtilement, de leurs incidences sur le destin des individus : que l'on pense à l'utopie raciale du Jamaïcain Marcus Garvey — toile de fond de son roman La vie scélérate (1987) — ou à l'Afrique mythique des poètes de la Négritude, objet de réappropriation symbolique dans son roman Ségou (1984).
C'est enfin dans le contexte postcolonial de la restructuration politico-culturelle de l'Afrique du Sud que se déroule l'histoire de la « femme cannibale », portrait d'une solitude qui "dé-construit" les illusions porteuses idéologiquement d'un possible « vivre ensemble ».
Maryse Condé et le "cannibalisme littéraire"
Le concept de cannibalisme littéraire est né d’un manifeste écrit par le poète brésilien José Andrade en 1928, le cannibale devenant alors une figure postcoloniale.
Avec Histoire de la femme cannibale publié en 2003, Maryse Condé met en scène "son double" dans le personnage de Rosélie Thibaudin, originaire de Guadeloupe, qui se retrouve paumée en Afrique du sud avec son mari Stephen, blanc et anglais comme son propre mari Richard Philcox qui fut son traducteur avant de l’épouser. Rosélie s’intéresse beaucoup à une nommée à Fiéla.
Acte symbolique : Fiéla a tué son mari, l'a dépecé et mangé, réaction maladive d’une femme qui se laisse "bouffer" par son mari, dilemme où il faut manger l’autre ou être mangé, Cette femme-cannibale est en quelque sorte l’expression de la femme noire mariée à un homme blanc, le couple mixte étant l’un de ses thèmes majeurs.
La prise de conscience de cette relation peut être équilibrée au sein du couple par un mélange assez improbable de racisme et de patriarcat. De plus, Rosélie en tant que médium cannibalise les histoires de ses clients qu'elle prend en charge. Elle devient la porte parole de la position de Maryse Condé sur la littérature francophone, son approche critique de cet apport post colonial dont elle dit par exemple : « Je parle de ce que je suis. [...] Le français m'appartient. Mes ancêtres l'ont volé aux Blancs comme Prométhée le feu. Malheureusement, ils n'ont pas su allumer d'incendies d'un bout à l'autre de la francophonie. »
Voir aussi
* Mariana Ionescu, "Histoire de la femme cannibale : du collage à l'autofiction", Nouvelles études francophones, volume 22, pages 155-169, 2007
** Le cœur à rire et à pleurer, autobiographie, 1999
*** Les belles ténébreuses --
**** Bibliographie de Maryse Condé --
<< Christian Broussas • °° M. Condé °° • -- 06/12/2018 >>
Avec l’écrivain haïtien Dany Lafferrière Avec Jack Lang
Stephen, un professeur de littérature spécialiste de Yeats est retrouvé assassiné dans une impasse du Cap en Afrique du sud. Sa compagne Rosélie Thibaudin, une antillaise peintre et un peu médium ("Rosélie Thibaudin, guérison de maladies réputées incurables") l’avait toujours suivi dans ses différentes affectations, doit apprendre à vivre sans lui dans ce pays qu’elle connaît mal et où plane les relents délétères de l’apartheid.
Son pays à Rosélie, ses racines, son havre, c'était lui Stephen, sa famille ne voulait pas d'elle.
« Le hasard m’a fait naître à la Guadeloupe, dit-elle... J’ai vécu en France. Un homme m’a emmenée puis larguée dans un pays d’Afrique. De là, un autre m’a emmenée aux États-Unis, puis ramenée en Afrique pour m’y larguer à présent, lui aussi, au Cap. Ah, j’oubliais, j’ai aussi vécu au Japon... » C'est pour lui qu'elle reste en Afrique du sud.
Sans doute aussi pour continuer cette recherche d'identité qui l'obsédera toujours.
La construction du roman est complexe, multipliant les flashbacks pour relater son enfance, ses relations familiales, la Guadeloupe, son parcours sinueux avec Stephen et son étrange rapport avec Fiéla. Cette sud-africaine est très mystérieuse, à l'origine d'une histoire de meurtre et de cannibalisme qui va passionner tout le pays. Autre histoire qui va nous dévoiler une autre facette de Stephen dont on ne sait s’il était un Stephen penseur libre et séducteur, provocateur et manipulateur.
Maryse Condé & ses enfants
Par le biais de ces histoires, Maryse Condé développe de nouveau l’un de ses thèmes favoris, la question des relations interraciales et des couples mixtes. Elle aborde aussi sans concession le problème de la violence à travers le tragique de l’apartheid qui traumatise encore l’Afrique du sud, à travers des personnages hauts en couleur, des patients, des amies, des connaissances de Stephen, qui vivent dans un pays de multi cultures et de migration.
"Portrait d’une solitude" par Emmanuelle Tremblay (extrait)
Depuis la parution en 1976 du premier roman de Maryse Condé (née à Pointe-à-Pitre en 1937), la réception critique n'a pas manqué de mettre en valeur le parcours idéologique dont témoigne son œuvre, résolument arrimée aux vicissitudes de l'Histoire, laquelle apparaît forgée d'espoirs, mais et aussi d'un profond désarroi que l'on peut attribuer à la difficulté, pour la majorité des personnages féminins de l'auteure, de retrouver une identité, à jamais perdue dans le labyrinthe de l'exil.
Plus spécifiquement, les tentatives de "re-construction" identitaire « noires » imprègnent une narration qui en explore les contradictions et les pièges pour rendre compte, toujours subtilement, de leurs incidences sur le destin des individus : que l'on pense à l'utopie raciale du Jamaïcain Marcus Garvey — toile de fond de son roman La vie scélérate (1987) — ou à l'Afrique mythique des poètes de la Négritude, objet de réappropriation symbolique dans son roman Ségou (1984).
C'est enfin dans le contexte postcolonial de la restructuration politico-culturelle de l'Afrique du Sud que se déroule l'histoire de la « femme cannibale », portrait d'une solitude qui "dé-construit" les illusions porteuses idéologiquement d'un possible « vivre ensemble ».
Maryse Condé et le "cannibalisme littéraire"
Le concept de cannibalisme littéraire est né d’un manifeste écrit par le poète brésilien José Andrade en 1928, le cannibale devenant alors une figure postcoloniale.
Avec Histoire de la femme cannibale publié en 2003, Maryse Condé met en scène "son double" dans le personnage de Rosélie Thibaudin, originaire de Guadeloupe, qui se retrouve paumée en Afrique du sud avec son mari Stephen, blanc et anglais comme son propre mari Richard Philcox qui fut son traducteur avant de l’épouser. Rosélie s’intéresse beaucoup à une nommée à Fiéla.
Acte symbolique : Fiéla a tué son mari, l'a dépecé et mangé, réaction maladive d’une femme qui se laisse "bouffer" par son mari, dilemme où il faut manger l’autre ou être mangé, Cette femme-cannibale est en quelque sorte l’expression de la femme noire mariée à un homme blanc, le couple mixte étant l’un de ses thèmes majeurs.
La prise de conscience de cette relation peut être équilibrée au sein du couple par un mélange assez improbable de racisme et de patriarcat. De plus, Rosélie en tant que médium cannibalise les histoires de ses clients qu'elle prend en charge. Elle devient la porte parole de la position de Maryse Condé sur la littérature francophone, son approche critique de cet apport post colonial dont elle dit par exemple : « Je parle de ce que je suis. [...] Le français m'appartient. Mes ancêtres l'ont volé aux Blancs comme Prométhée le feu. Malheureusement, ils n'ont pas su allumer d'incendies d'un bout à l'autre de la francophonie. »
Voir aussi
* Mariana Ionescu, "Histoire de la femme cannibale : du collage à l'autofiction", Nouvelles études francophones, volume 22, pages 155-169, 2007
** Le cœur à rire et à pleurer, autobiographie, 1999
*** Les belles ténébreuses --
**** Bibliographie de Maryse Condé --
<< Christian Broussas • °° M. Condé °° • -- 06/12/2018 >>
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire