Référence : Wislawa Szymborska, "Je ne sais quelles gens", éditions Fayard, collection Poésie, 154 pages, 1997

« Je n’ai pas de porte, dit la pierre. »
Souriants, à moitié enlacés, nous essayons de trouver l'harmonie,
bien que nous soyons aussi différents que deux gouttes d'eau claire.


C'est le second recueil de poésie publié en Français de l’œuvre si personnelle du prix Nobel de littérature Wislawa Szymborska (1923-2012).Comme le précédent intitulé « De la mort sans exagérer », ce recuel réunit des textes écrits entre 1957 et 1996.
En préface de cet ouvrage, est présenté le Discours qu'elle a prononcé lors de la remise de son Prix Nobel à Stockholm.

      
                         Lors de la remise de son prix Nobel


Ce qui caractérise le style de Wislawa Szymborska, c'est la simplicité de son écriture, un langage direct et lyrique. On peut dire qu'il s'agit d'une poésie assez facile d'accès, même si tout est relatif, une approche sans artifices avec un grand sens de la nuance. Selon un critique, elle « ne néglige nullement les innovations poétiques, mais dans une simplicité qui les fait quasiment passer inaperçues ».
« J'aime mieux prendre en compte jusqu'à cette hypothèse que l'existence aurait une raison quelconque. » ("Options" p. 111)

C'est une poésie "libre" dit-on souvent, qui ne tient compte d'aucune contrainte, ce qui peut parfois surprendre. Mais la surprise n'est-elle pas un élément essentiel de son expression, changer de registre pour étonner, pour surprendre ?
Les thèmes abordés sont très variés, selon son inspiration semble-t-il, le titre étant la reprise de l'un des poèmes du recueil, allant de l’individu aux animaux, de l’humour à la réflexion philosophique, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, de la compassion à une ironie moqueuse ou grinçante, du réel concret à l’inconsistant, d’un tableau de Bruegel (Deux singes de Bruegel p.21) à un hommage à Thomas Mann (p. 58)

   

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Éloge des rêves (p.81)                         Moment à Troie (p. 23)
je peins comme Vermeer De DELFT.    Voilà les petites filles,   
                                        maigres, et sans certitude que
Je parle couramment le grec            leurs taches de rousseur disparaîtront
et pas seulement aux vivants.           un jour,
n’attirant l’attention de personne,
Je conduis des voitures                 
elles marchent sur les paupières du monde.                    
qui consentent à m’obéir.               
Ils n’étaient pas pareils, jadis,
Je suis douée,                          
l’eau et le feu, différends vifs,     
j’écris de grands poèmes.              
dépouillements et folles dépenses, J’entends des voix                      ivres désirs, charges de chimères.
Aussi bien que des saints très sérieux.  Enlacés, ils s’appropriaient et
Vous seriez étonnés                     s’expropriaient, si longtemps
de ma vélocité au piano.                 qu’un jour entre leurs bras l’air seul
Je vole comme il se doit,                a subsisté, transparent,
c’est-à-dire par moi-même.             comme après le départ des éclairs.

Tombant du toit,
je sais tomber mollement dans la verdure.
Je n’ai aucun mal
à respirer sous l’eau.
Je ne me plains pas :
je suis parvenue à découvrir l’Atlantide.
Je ne réjouis de savoir
me réveiller toujours avant la mort.
Sitôt la guerre éclatée
je change de côté.
Je suis, mais sans être obligée,
un enfant de mon époque.
Il y a quelques années
j’ai vu deux soleils.

Et, avant-hier, un pingouin.
Parfaitement, comme je vous vois.

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Enfants du siècle (p. 102)
Nous sommes des en­fants du siècle ;
Le siècle est po­li­tique.

Toutes les choses tiennes, miennes,
Nôtres, vôtres, diurnes, noc­turnes,
Sont des choses po­li­tiques.

Que cela te plaise ou non,
Tes gènes ont un passé po­li­tique,
Ta peau a une cou­leur po­li­tique,
Tes yeux un as­pect po­li­tique…

Même en pas­sant par la Lor­raine
Tu fais des pas po­li­tiques
Sur un ter­rain po­li­tique.
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La fin et le commencement (1993)
Certains,
pas tout le monde,
pas la majorité, mais une minorité.
Hormis les écoliers qui le doivent,
et les poètes eux-mêmes.

Ça doit faire dans les deux mille.
Certains aiment.
Mais on aime aussi le potage aux vermicelles.
On aime les compliments et la couleur bleu clair.
On aime un vieux foulard
On aime flatter un chien. La poésie, mais qu’est donc la poésie ?
Plus d’une réponse brûlante a déjà été donnée.
Et moi je n’en sais rien.
Je n’en sais rien et je m’y accroche
comme une rampe de salut.

Voir aussi
* Ma biographie de Wislawa Szymborska --

* Le matricule des anges --


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