Référence : Nicolas Mathieu, "Leurs enfants après eux", éditions Actes Sud, Prix Goncourt, 2018, Prix Blue Jean Marc Roberts. [1]
« Là où est l’enfance est l’âge d’or », disait Novalis. En tout cas, pas toujours vrai…
C’est une histoire exemplaire mais malheureusement assez banale d’une région en déshérence où la récession économique, les fermetures d’usines à répétition ont dissout le lien social et distendu les relations familiales. Les adules tentent de s’en sortir comme ils peuvent –plutôt mal dans l’ensemble- occultant toute image parentale positive et valorisante qu’ils pourraient donner à leurs enfants.
Ces adolescents cherchent leur voie dans une vallée déshéritée de l’est de la France, celle de la Fensch, dont les hauts-fourneaux se sont éteints. Parmi eux, Anthony, un ado de 14 ans au curieux regard qui grandit entre un père violent et une mère assez lasse dont les beaux rêves de jeunesse se sont évanouis avec les années et les contraintes de la vie. Il les voit ainsi : « Les siens, il les trouvait finalement bien petits, par leur taille, leur situation, leurs espoirs, leurs malheurs même, répandus et conjoncturels. Chez eux, on était licencié, divorcé, cocu ou cancéreux ».
Adeline Dieudonné et Nicolas Mathieu
Leur ville, c’est Heillange (ça sonne étrangement comme Hayange), qu’on connaît bien. Il y a aussi un autre adolescent, Hacine, 17 ans, un petit voyou juste par ennui (« pas grand-chose pour s’éclater par là-bas »), un fils d’immigrés qui, comme beaucoup d’autres, ne parvient pas à trouver sa voie, coincé entre deux cultures dont ils ne maîtrisent aucune des deux et qui, après un purgatoire au "bled", vire dealer. Il y a les filles, Steph, qui vient des beaux quartiers celle-là, qui suggère à Anthony quand il la regarde : « Il souffrait ; c’était bon » ou son amie Clémence dite "Clem".
On se promène ainsi pendant quatre étés, les jeunes grandissent, vont bientôt devenir des adultes dans ces lieux sinistrés, où la vie s’accroche cependant tant bien que mal. On navigue souvent entre enfance et adolescence, quand le corps change et la pensée des ados se forme à cette mutation qui les fait chavirer tout en les inquiétant.
Il y a quelque chose qui procède de la fatalité, ceux qui refusent le destin qui leur était offert mais qui n’en sont pas moins coincés dans des routines, une vie comme celle de leurs parents, dont ils ne veulent pas. Même s’ils ne savent pas trop ce qu’ils veulent, ils sentent quand même qu’il leur faut se battre pour acquérir leur propre espace de liberté.
« Quand on écrit un roman, dit Nicolas Mathieu, on fait vivre des personnages. À partir de ce moment, il se passe des choses qui nous échappent. »
Nicolas Mathieu fait référence au film Mud de Jeff Nichols dont il dit : « Je me souviens d'une image où l'on voit les enfants, sur une embarcation, sur le Mississippi. Le soleil se lève sur leur visage, et je me suis dit, c'est cela que je veux raconter. Ce soleil qui se lève, et cette enfance qui finit. L'un des projets du livre était de parler de ce que c'est que le désir, à l'adolescence. C'est un moment particulièrement intense. C'est pour cela que l'histoire se déroule en été. Le climat devient un personnage. »
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Entre famille et sexualité
* Il voit la sexualité à la fois comme un élément libérateur et de conflit :
« Je ne sais pas si c'est la sexualité qui est émancipatrice, c'est plutôt le mélange de l'amour et de la sexualité. [...] La morale de ce roman, c'est la restitution, rendre le réel. Donc, pour la description du sexe aussi, j'ai essayé d'appeler un chat, un chat, et de susciter chez le lecteur, des choses qui pouvaient se passer dans le corps des personnages. »
* Il voit la famille comme un système qui enferme ses personnages :
« C'est vrai que ce sont des familles déglinguées, mais il me semble que la famille saine, équilibré et heureuse est un mythe. Ce qu'il y a ce sont les secrets de famille. Et derrière la vitrine, on essaye toujours de faire bonne figure. La famille est une formidable usine à névroses avant tout ! Mais cette famille est une famille comme les autres. »
Notes et références
[1] Leurs enfants après eux vient du Siracide, l’un des livres composant l’Ancien Testament.
<< Christian Broussas – N. Mathieu - 26/03/2019 < • © cjb © • >>
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