Référence : Alice Munro, Fugitives, traduction Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, éditions de l’Olivier, 2008, éditions Points, 2009

      

Alice Munro, qui reçut le prix Nobel de littérature en 2003, est également lauréate du plus prestigieux prix canadien, du Man Booker international prize en 2009. Sarah Polley a adapté au cinéma l’une de ses nouvelles intitulée Loin d’elle. [1]
Elle a très vite trouvé sa voie en écrivant des nouvelles et a notamment publié La danse des ombres heureuses, Du côté de Castle Rock en 2009, Fugitives ou Trop de bonheur en 2013.   

Alice Munro a ses inconditionnels comme l’écrivain Jonathan Franzen [2] qui titrait dans le New York Times en 2004. « Lisez Munro ! Lisez Munro ! » Depuis son premier recueil La Danse des ombres heureuses qui lui vaut un le Governor's Literary Award, elle est devenue un écrivain reconnu, maître incontesté de la nouvelle. 

Et pourtant… s’imposer comme nouvelliste n’est pas évident, d’autant plus qu’elle considère que son travail est « entièrement lié au plaisir de raconter » et qu’ellea toujours refusé de se mettre en avant. Mais comme l’affirme toujours Jonathan Franzen, quel style ! « Quelle fascinante acrobate des mots et des images ! »

         

Thème commun de Fugitives [3] : La rupture, comme écrit l’éditeur dans la présentation, « elles fuguent, s’échappent, vont voir ailleurs. » Départ définitif, elles quittent le domicile que ce soit prémédité ou non, « M’en aller ? Je le ferais si je le pouvais » s’exclame Carla dans la nouvelle Fugitives. ( page 32) Réaction d’un couple en crise où Carla a l’impression qu’elle ne peut plus vivre avec Clark mais ne peut pas non plus vivre sans lui.

Chacune de ces huit histoires rappelle quelque part la chanson des Beatles She's Leaving Home (elle est partie de la maison). Quelle que soit les motivations, la façon de partir. On peut par exemple comme dans Fugitives, prendre l’autobus pour Toronto ou également monter dans un train qui file à travers « les rochers, les arbres, la neige et l'eau ». On peut se réfugier dans la maladie ou encore se retrancher du monde.
Mais alors que deviendront-elles ces femmes qui partent « par usure ou par hasard » ? Sauront-elles « prendre en charge leur propre vie » ?

        

Il ne suffit pas de partir pour réussir sa vie. Alice Munro nous entraine dans les arcanes de la pensée de ces femmes, leurs espoirs, leurs doutes, leurs atermoiements, des femmes anonymes, comme on peut en rencontrer dans la vie de tous les jours, décrites dans des décors sans grand relief, ni beaux ni moche Elle a cette approche subtile qui lui permet de doser ses effets, de nous impliquer dans le cheminement chaotique de ces femmes qui ménage toujours des surprises.

Elle met en scène ces vies défaites dans un style très personnel, avec verve et légèreté, analysant les aléas et les fractures du temps, « il y a du Tchekhov sous la plume de la Canadienne, et sa petite musique enchante » est-il écrit dans le magazine Lire.


Le film d’Almodovar



« Dès que j’ai lu Fugitives, confie Almodovar, j’ai eu envie d’adapter pour le cinéma trois des nouvelles du recueil. Les trois ont Juliette pour héroïne, mais ne se suivent pas. Ce sont trois histoires distinctes et j’ai inventé ce qui manquait pour qu’elles n’en fassent qu’une. »
C'est ainsi que de "Hasard", "Bientôt" et "Silence" du recueil Fugitives est née "Julieta", un superbe portrait de femme dressé par Pedro Almódovar.




Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía l’incite à modifier ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía récemment et Julieta se met alors à rêver de retrouver sa fille qu’elle n’a pas vue depuis des années. Elle décide de se confier et de lui écrire ce qu’elle avait jusqu’à présent gardé secret.

À travers l’histoire de Julieta, le film aborde des thèmes forts comme  le destin, la culpabilité, le combat d’une mère contre l’incertitude, et ce qui peut mystérieusement pousser certains à abandonner ceux qu’ils aiment, les considérant comme quantité négligeable au prix parfois de douloureux remords.

   

Notes et références
[1] Voir ma fiche Alice Munro la nouvelliste --
[2] Jonathan Franzen est un écrivain et essayiste américain auteur du best seller Les Correstions, l'histoire d'une famille traditionnelle du middle-ouest des États-Unis qui va sombrer dans les illusions et les mensonges.
[3] Fugitives est composé de huit nouvelles (Fugitives, Hasard, Bientôt, Silence, Passion, Offenses, subterfuges, Pouvoirs), écrites en 2004 sous le titre original Runaway et publiées en 2008 en français aux éditions de l’Olivier.


<< Christian Broussas – Munro, Fugitives - 28/05/2019 © • cjb • © >>