On le croise parfois en balade avec sa femme Véra à Paris dans le 6e arrondissement. "Discret" est le moins qu’on puisse dire puisqu’il refuse toute interview depuis une trentaine d’années. « Je suis né un 1er avril, rappelait-il avec un brin d’ironie, ce n'est pas sans impact sur le plan métaphysique ».

Tchèque, Français depuis 1981,  celui qui vient d’avoir 90 ans a peint d’une façon très sarcastique la condition humaine, n’a jamais obtenu le prix Nobel, malgré qu’on la présentât à plusieurs reprises comme l’un des favoris. Mais il est aussi un des rares auteurs à avoir été publié de son vivant dans La Pléiade en 2011. 90 ans, lui qui faisait dire à l’un des ses personnages dans La fête de l’insignifiance qu’il fallait se méfier des chiffres qui renvoient à « la honte de vieillir. »

       

Il dut aussi faire face à une campagne l’accusant d’avoir dénoncé un homme à l’poque stalinienne, ce qui l’avait beaucoup affecté. Il eut aussi à faire face à des critiques qui pensaient que les œuvres de sa "période française" étaient moins bonnes que celles de sa "période tchèque". 

Sa critique du bilan des illusions politiques de la génération du "coup de Prague" qui, en 1948, facilita la prise de pouvoir par les communistes et le choc de l’invasion soviétique de 1968, provoquèrent une rupture et son exil en France.


 
Milan Kundera avec son épouse en 1973. (AFP)


Le français comme langue d'écriture 
Mis à l'index dans son pays après le Printemps de Prague, Kundera s'exile en France avec sa femme Vera en 1975. Naturalisé français en 1981, il choisira dès lors le français comme langue d'écriture pour marquer sa rupture avec la Tchéquie qui l’a déchu de sa nationalité en 1978.

En France, il publie "La valse aux adieux", "Le livre du rire et de l'oubli" et en 1984 son roman le plus connu, "L'insoutenable légèreté de l'être", à la fois roman d'amour et ode à la liberté, tout aussi grave que désinvolte, sur les aléas de la condition humaine. Il sera adapté au cinéma en 1988 par Philip Kaufman, avec Juliette Binoche et Daniel Day Lewis.

    

Le roman comme objet d’étude

Kundera a publié plusieurs essais dont en 1986 "L'art du roman" où il avançait cette idée : « En entrant dans le corps du roman, la méditation change d'essence. En dehors du roman, on se trouve dans le domaine des affirmations, tout le monde est sûr de sa parole: un politicien, un philosophe, un concierge... Dans le territoire du roman, on n'affirme pas : c'est le territoire du jeu et des hypothèses ».

Dans son dernier récit "La fête de l'insignifiance", à travers l'un de ses personnages, il continue sa réflexion sur cette humour qu’il définit d’abord comme le refus du sérieux : « Nous avons compris depuis longtemps qu'il n'était plus possible de renverser ce monde, ni de le remodeler, ni d'arrêter sa malheureuse course en avant. Il n'y avait qu'une seule résistance possible : ne pas le prendre au sérieux. »

            

Continuité et rupture
Avec La Lenteur et L’identité, L’ignorance clôt ce qu’on a appelé « la trilogie française. » Outre le fait que Kundera les a écrites directement en français, elles ont surtout une structure différente de ses œuvres précédentes. Délaissant la construction longue et charpentées, il passe à des romans plus courts, plus denses divisés en chapitres courts et nombreux. Paradoxalement, son style reste identique, le changement de langue ne changeant pas sa façon d’écrire, directe, cursive, sans fioritures avec une grande économie dans ses descriptions, aussi bien ses personnages que leur environnement, « la même rythmique, la même fluidité du débit narratif » précise dans la postface à L’ignorance, François Ricard.

On peut constater aussi la permanence de ses grands thèmes qui reviennent d’un roman à l’autre, marquant la cohésion er la continuité de son œuvre. Par exemple, L’ignorance fait écho à La valse aux adieux ou Le livre du rire et de l’oubli centrés déjà sur l’émigration, le Ludvik de La plaisanterie revenait lui aussi dans sa ville natale après un long "exil".

La nouveauté dans l’œuvre de Kundera réside surtout dans sa volonté de densifier son récit tout en recherchant une grande économie de mots, « la mise au point d’une forme romanesque capable de contenir dans un minimum d’espace textuel une variété et une densités dramatiques et sémantiques maximales. » [1]

Le foisonnement des situations s’exprime à travers un parcours parfaitement cohérent entre le destin croisé des différents personnages qui compose une espèce de symphonie, un grande fresque sur le substrat de la condition humaine.
Tout ceci éclairé par des réflexions sur l’histoire de la Tchécoslovaquie, l’exil d’Ulysse et la nostalgie, Schönberg et la fin de la musique ou sur la langue maternelle.
Innovation essentielle qui « réduit le temps de lecture sans réduire en rien l’abondance et la diversité de la matière romanesque. » [1]

Milan Kundera, les grandes dates :
1er avril 1929 : naissance à Brno (actuelle République tchèque) 
1948 : entre au Parti communiste dont il est exclu deux ans plus tard. Réintégré en 1958.
1953 : premier recueil de poèmes "L'homme, un vaste jardin"
1967 : parution de "La Plaisanterie"
1970 : perd son poste d'enseignant après l'écrasement du Printemps de Prague. Ses livres sont interdits dans les librairies et les bibliothèques, lui est interdit de publication.
1975 : exil en France. Naturalisé français en 1981, avec le soutien du président Mitterrand.
1979: "Le livre du rire et de l'oubli". Déchu de sa nationalité.
1984: "L'insoutenable légèreté de l'être", son roman le plus connu.
1995: "La Lenteur" (premier de plusieurs romans écrits directement en français).
2011: publication de son œuvre en deux volumes dans la collection de la Pléiade.

Notes et références
[1] Voir François Ricard dans la postface à L’ignorance

Voir aussi
* Jean-Dominique Brierre, Milan Kundera, une vie d'écrivain, éditions de L'archipel --
* Mes fiches sur Milan Kundera --
* Autres oeuvres : L'Immortalité -- Sa trilogie "tchèque" :  La plaisanterie -- La vie est ailleurs -- La valse aux adieux --


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