Référence : JMG Le Clézio, Révolutions, éditions Gallimard, 555 pages, 2003


« Vent, vents, tout est vent. »

« Ce n’est pas le temps qui est perdu, écrit JMC Le Clézio dans sa présentation, c’est le temps avec ses révolutions. » Comme si le temps désormais échappait aux hommes. Le temps des aiguilles qui s’est peu à peu substitué au temps immuable qui rythmait la vie. Le temps des esclaves, le temps des guerres, en Europe, en Algérie, tout ce qui va bouleverser la vie de cette famille comme de milliers d’autres.

Il revient à ses années d’enfance dans le Nice des années cinquante et soixante, pour mieux se couler dans les pas de ses aïeux. « Nice, précise-t-il, était alors l’endroit rêvé où rendre un culte intérieur et un peu désespéré à l’île Maurice de mes ancêtres. »

        

Il est fasciné par le brassage des populations que connaît la ville à cette époque, une population plutôt joyeuse et bigarrée qui lui rappelle ce qu’ont pu être à la même époque, différemment certes mais dans un même registre, des villes aussi cosmopolites qu’Alger ou Beyrouth.   

Ce sont ces contrastes, cette richesse dans les différences qui lui plaisent, quand tout ne cessait de se transformer sous ses yeux d’enfant et d’adolescent, dans cet univers où le spectacle était permanent. Belle initiation pour un futur écrivain. Il s’imprégnait des effluves, des ambiances, il y côtoyait des populations très pauvres venues de tous les coins d’Europe et d’Asie, des russes, des italiens, des grecs, des émigrés africains, et les premiers rapatriés d’Algérie, ce qui lui suggère cette réflexion : « Quelque chose de la fabrication de la pensée classique, c’est-à-dire de la philosophie, y était encore perceptible. » 

Il y ressent aussi un manque, ce qu’il vit comme un exil et la recherche d’une terre depuis que ses ascendants ont dû quitter l’île Maurice après leur périple à l’île Rodrigues, épopée qu’il raconte dans une trilogie [1].



Années d’apprentissage, années qu’il considère comme essentielles,  concluant sa présentation par  "une référence à Flannery O’Connor qui disait « qu’un romancier doit être porté à écrire sur les premières années de sa vie, où le principal lui a été donné. »
À travers le personnage de Jean Marro, il raconte L’enfance rêvée, selon les souvenirs de la tante Catherine, retour sur une enfance somme toute heureuse, rattrapée par les événements qui se déroulent en France, dans la métropole,  au mois de Juillet 1792, période de "bruit et de fureur", entre la prise des Tuileries (paris, 10 août, page69) et la proclamation de la République, période où les choses se précipitent , qu’il traite dans de courts chapitres (25 août, 26 août au soir, le 6 septembre, le 10 septembre… ) qui traduisent l’accélération du temps. 

L’Histoire, immuable, suit son cours à travers Les rumeurs de guerre. La guerre change bien des choses, et même les gens, mais la tante Catherine « était la survivante,… toujours comme une reine dans son palais, droite, maigre, un peu titubante et affaiblie par l’âge… » toujours attentive à "son" Jean.

La journée du 20 septembre 1792 revêt une importance toute particulière, d’abord pour Jean Marro et tous ceux qui participent à la guerre et à la bataille de Valmy. D’autres beaucoup plus tard, seront jetés dans le bourbier algérien. Retour à l’été 1794, où cette fois il faut mater l’insurrection bretonne, ce qui n’empêche pas le sous-officier Jean Marro d’épouser Marie-Anne Naour le 10 vendémiaire de l’an V (septembre 1797).

               

C’est dans son Journal que Jean raconte son voyage de Lorient à l’Isle de France (L’île Maurice). (page 186) À son arrivée en 1798, le couple s’installe chez le sieur Dubois rue de Moka, Jean devient commerçant et peut constater les injustices et la fracture avec la population locale.

Dans le chapitre intitulé Le bout du monde, la tante Catherine est toujours là mais bien diminuée.  Jean mène une vie simple entre sa femme et sa fille Jeanne, consignant dans son "carnet noir" les péripéties de la guerre d’Algérie. (p 264 à 270)

À Maurice, la vie s’écoule sans grands joie, la tante Catherine ne peut plus rester seule, son père est très malade, Jean est amoureux de Marie Odile qui est enceinte de Santos qui est mort, et obtient un mariage posthume, ce qu’on appelle "un mariage des âmes". Alors, Jean décide de partir pour Londres qu’il trouve « froid, noir, pluvieux. » (page 299)

       

La vie à Londres est difficile,  même avec Alison l’infirmière. Jean travaillait à l’hôpital quand il apprit la fin de la guerre d’Algérie, assez indifférent dans le fond. N’empêche, la guerre est toujours présente, Le Clézio y consigne les événements de la guerre maritime franco-anglaise sous Napoléon, ce qu’il appelle "Nauscopie" : 1798-99 (p 271-73), 1802-1804 (p 328-31), 1805-1808 (p 363-65), 1809-1810 (p 421-22). 

Il conte également, à partir de Kilwa, le terrible voyage des esclaves en route pour Maurice et leur calamiteuse arrivée puis poursuit son récit sur leur vie d’esclaves à Maurice, (p 449-459) complété par la relation de la capture du rebelle Ratsitatane (p 459-62). Suivent d’autres témoignages de la vie d’esclaves, l’exécution de Ratsitatane et le déchaînement des éléments quelques années plus tard, vite imputé à la vengeance du leader créole. (p 499-511) Le récit s’achève presqu’à la fin du livre par un ultime témoignage. (p 545-550)

Avec sa femme Jémia

Jean quitte Londres pour trouver la tante Catherine très affaiblie. Sa vie est un peu comme à Londres, effilochée, sans vraie perspective, malgré son aventure avec Mariam, une jeune algérienne qui étudie la philo. Il part ensuite au Mexique où il vit chichement de petits boulots, fréquentant surtout la bibliothèque de la rue Argentina.  

   

Puis, grâce au père Andrés, il part à la rencontre des migrants au bidonville de Naucalpan mais à Mexico  l’ambiance devient électrique entre les étudiants et la police. Tante Catherine est morte et les forces de l’ordre ont nettoyé Mexico à la manière forte pour que les Jeux olympiques puissent s’y dérouler dans une bonne ambiance.

Son moral est au plus bas, il écrit à Mariam qui est à Chamonix pour lui annoncer son retour en France.  Mais il revint à Maurice où l’esclavage restait la règle malgré son interdiction exigée par la loi. Écœuré,  il décida en 1825 d’aller s’établir à l’intérieur, à Ébène, dans une grande propriété qu’il baptisa La Rozilis où l’esclavage était prohibé.



À Paris, Mai 68 était déjà loin, où tout avait promptement été normalisé, Jean retrouve Mariam à la Cité universitaire.  On lui a remis le journal chronologique de sa tante Catherine où elle relate, le cœur serré,  le déménagement de La Rozilis à Rose Hill.

Jean revient  en juillet 1968 à Saint-Aubin du Cormier en Bretagne, sur les traces des derniers combats qui en 1488 on consacré le rattachement breton au royaume de France, où ses aïeux se sont exilés.  Avant de rejoindre Mariam à Paris. Ils se sont mariés et le voyage à Maurice sonne comme un voyage de noces, avec pour lui un retour aux sources, sur les pas de ses aïeux mais tout a changé, de La Rozilis il ne reste rien mais il continue, marche après la rivière Terre Rouge jusqu’au Bout du Monde.

Ultime retour en arrière quand ils descendent jusqu’à Port-Louis en faisant un crochet par le vieux cimetière de Cassis pour rendre un hommage à leurs ancêtres Jean-Eudes Marro et Marie-Anne Naour. Et tout va recommencer puisque Mariam est enceinte.    

    

Notes et références
[1] La "trilogie mauricienne" comprend Le Chercheur d’or, Voyage à Rodrigues et La Quarantaine.

Voir aussi
* Mes fiches sur JMG Le Clézio --

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