Référence : Patrick Deville, "Amazonia", éditions Le Seuil, 215 pages, 2019
« Nous lisons pour sortir du brouillard de nos propres existences. » Patrick Deville
Grand voyageur depuis toujours, Patrick Deville [1] a en tête depuis très longtemps (plus de vingt ans maintenant) de mener à bien son projet qu’il a nommé Abracadabra, consistant à écrire un ensemble de douze romans sans fiction, à travers une progression géographique et une chronologie qui débute en 1860.
Kampuchéa Peste & Choléra Viva
Son projet littéraire compte maintenant sept titres en comptant son dernier roman Amazonia qui nous font voyager un peu partout dans le vaste monde, l’Afrique centrale avec Équatoria, l’Asie avec le Cambodge dans Kampuchéa et l’histoire de Yersin dans Peste et Choléra ou son goût pour l’Amérique latine avec Pura Vida pour l’Amérique centrale, Viva pour le Mexique et Amazonia pour le Brésil et les pays andins.
Amazonia Equatoria Pura vida
La liberté qu’il trouve dans sa manie de voyager, lui rappelle un livre offert par son père, dans lequel il était question d’un gosse qui se déplaçait en tapis volant grâce dit-il « à ce mot magique plein de "a" » qui lui a suggéré le titre de son projet d’écriture.
Et pourtant, paradoxalement, il s’est senti prisonnier de l’asile psychiatrique que dirigeait son père et d’une coquille de plâtre qui l’immobilisait pour guérir une malformation de la hanche.
Dans son nouveau livre "Amazonia", l'auteur nous fait découvrir, à travers le récit d’un voyage entrepris par un père et son fils, l’histoire et le territoire de l’Amazonie et du sous-continent latino-américain, grâce à de nombreuses références littéraires et historiques.
Frida Khalo et Léon Trotsky L'opéra de Manaus
Ils vivent tous les deux un voyage au long cours qui part de Belém sur l'Atlantique pour aboutir à Santa Elena sur le Pacifique, en ayant franchi la cordillère des Andes. On les suit dans leurs pérégrinations à Santarém au Brésil, le long du rio Negro, dans la mythique Manaus puis à Iquitos au Pérou, à Guayaquil en Équateur pour terminer aux Galápagos, loin d'une civilisation trop bruyante et trop imbue d'elle-même.
Deville interviewé par Laure Adler
On pense dans ce monde latino américain aux envahisseurs européens et leur soif d'or et de richesses, dans un environnement encore totalement vierge, un univers apte à engendrer plein de légendes et de surprises.
Puis ces sacrés européens qui ne comprennent rien aux populations locales, mettront en cartes l'exubérance amazonienne. Et bien sûr, après le glaive et le goupillon viendront les profiteurs pour exploiter le caoutchouc... les indiens, mettre en coupes réglées tout ce qui est exploitable, des savants comme Darwin ou Humboldt et des aventuriers déjantés type Aguirre ou Brian Fitzgerald devenu Fitzcarrald. [2]
Carlos firmin Fitzcarrald Aguirre "le vrai" et l'acteur Klaus Kinsky
« La grande affaire est de bouger » dit Patrick Deville. Pendant le voyage, les deux hommes prennent des habitude : « Nous retrouvions nos lectures et nos carnets, dans l’isolement, le respect de notre solitude, parlions peu. » Amazonia, c'est d'abord l'histoire d'un fleuve et sa vaste réserve naturelle, symbole de biodiversité, constamment menacée d'être pillée et défigurée.
En courtes séquences, il nous raconte la lutte inégale entre Atahualpa et Pizarro, le pillage de l'or et des richesses, l'hévéa qui fera la fortune de Manaus avant de partir en Asie, l'expansion du café et la folie des hommes finissant souvent en dictatures sanglantes. [3]
C'est sans doute dans le livre de Werner Herzog La conquête de l’inutile que Deville puise la substance de son engagement et qu'il considère comme « éloge de l’obstination, un manuel de survie qu’il convient d’ouvrir lorsque l’adversité trop forte vous amènerait à baisser les bras… »
Henri Mouhot Pierre Savorgnan de Brazza Alexandre Yersin
(Kamputchéa) (Équatoria) (Peste & choléra)
Patrick Deville, « Que pourrais-je savoir de l’exil ? »
Le Matricule des Anges, mai 2004, page. 23) Extrait
« Je serais bien incapable de dire, aujourd’hui, ce que c’est, au fond, qu’un écrivain. (…) Je sais qu’entreraient dans cette définition l’exil et la solitude volontaires ou subis, et aussi la volonté de n’adhérer à rien, ni à aucun lieu du monde (…) Je sais que les écrivains sont des migrants en quête de contrées lointaines où ne pas assouvir leurs rêves. Que (…) tous les écrivains sont des navigateurs ahuris dans la brume (…) Que les plus grands auront su faire de cet exil une étrange beauté, comme on compose un bouquet en agençant joliment ses faiblesses et ses terreurs. »
Notes et références
[1] Patrick Deville est aussi à Nantes directeur littéraire de la Maison des écrivains étrangers et traducteurs (MEET).
[2] Aguirre, le reître meurtrier et Fitzcarrald le fou de Manaus : ce sont surtout les films du cinéaste Werner Herzog qui ont fait connaître ces deux aventuriers au grand public.
[3] Dans ce domaine,Deville a aussi préfacé le texte " Le Grand Burundun-Burunda est mort" de Jorge Zalamea, paru aux éditions Macula en 2018, dont il dit que « c’est un poème culte, l’un de ces joyaux presque secrets, de ces curiosités qu’on se refile sous le manteau entre zélotes d’une "étrange confrérie" », résumant l'aura d'untexte qui se veut synthèse des "suppôts de la tyrannie".
Voir aussi
* Mathias Enard, Remonter l'Orénoque, Actes Sud, 2005 --
* Père et fils par Norbert Czarny -- Étonnants voyageurs --
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<< Christian Broussas, Deville, Amazonia 17/11/2019 © • cjb • © >> ---------------------------------------------------------------------------------
« Nous lisons pour sortir du brouillard de nos propres existences. » Patrick Deville
Grand voyageur depuis toujours, Patrick Deville [1] a en tête depuis très longtemps (plus de vingt ans maintenant) de mener à bien son projet qu’il a nommé Abracadabra, consistant à écrire un ensemble de douze romans sans fiction, à travers une progression géographique et une chronologie qui débute en 1860.
Kampuchéa Peste & Choléra Viva
Son projet littéraire compte maintenant sept titres en comptant son dernier roman Amazonia qui nous font voyager un peu partout dans le vaste monde, l’Afrique centrale avec Équatoria, l’Asie avec le Cambodge dans Kampuchéa et l’histoire de Yersin dans Peste et Choléra ou son goût pour l’Amérique latine avec Pura Vida pour l’Amérique centrale, Viva pour le Mexique et Amazonia pour le Brésil et les pays andins.
Amazonia Equatoria Pura vida
La liberté qu’il trouve dans sa manie de voyager, lui rappelle un livre offert par son père, dans lequel il était question d’un gosse qui se déplaçait en tapis volant grâce dit-il « à ce mot magique plein de "a" » qui lui a suggéré le titre de son projet d’écriture.
Et pourtant, paradoxalement, il s’est senti prisonnier de l’asile psychiatrique que dirigeait son père et d’une coquille de plâtre qui l’immobilisait pour guérir une malformation de la hanche.
Dans son nouveau livre "Amazonia", l'auteur nous fait découvrir, à travers le récit d’un voyage entrepris par un père et son fils, l’histoire et le territoire de l’Amazonie et du sous-continent latino-américain, grâce à de nombreuses références littéraires et historiques.
Frida Khalo et Léon Trotsky L'opéra de Manaus
Ils vivent tous les deux un voyage au long cours qui part de Belém sur l'Atlantique pour aboutir à Santa Elena sur le Pacifique, en ayant franchi la cordillère des Andes. On les suit dans leurs pérégrinations à Santarém au Brésil, le long du rio Negro, dans la mythique Manaus puis à Iquitos au Pérou, à Guayaquil en Équateur pour terminer aux Galápagos, loin d'une civilisation trop bruyante et trop imbue d'elle-même.
Deville interviewé par Laure Adler
On pense dans ce monde latino américain aux envahisseurs européens et leur soif d'or et de richesses, dans un environnement encore totalement vierge, un univers apte à engendrer plein de légendes et de surprises.
Puis ces sacrés européens qui ne comprennent rien aux populations locales, mettront en cartes l'exubérance amazonienne. Et bien sûr, après le glaive et le goupillon viendront les profiteurs pour exploiter le caoutchouc... les indiens, mettre en coupes réglées tout ce qui est exploitable, des savants comme Darwin ou Humboldt et des aventuriers déjantés type Aguirre ou Brian Fitzgerald devenu Fitzcarrald. [2]
Carlos firmin Fitzcarrald Aguirre "le vrai" et l'acteur Klaus Kinsky
« La grande affaire est de bouger » dit Patrick Deville. Pendant le voyage, les deux hommes prennent des habitude : « Nous retrouvions nos lectures et nos carnets, dans l’isolement, le respect de notre solitude, parlions peu. » Amazonia, c'est d'abord l'histoire d'un fleuve et sa vaste réserve naturelle, symbole de biodiversité, constamment menacée d'être pillée et défigurée.
En courtes séquences, il nous raconte la lutte inégale entre Atahualpa et Pizarro, le pillage de l'or et des richesses, l'hévéa qui fera la fortune de Manaus avant de partir en Asie, l'expansion du café et la folie des hommes finissant souvent en dictatures sanglantes. [3]
C'est sans doute dans le livre de Werner Herzog La conquête de l’inutile que Deville puise la substance de son engagement et qu'il considère comme « éloge de l’obstination, un manuel de survie qu’il convient d’ouvrir lorsque l’adversité trop forte vous amènerait à baisser les bras… »
Henri Mouhot Pierre Savorgnan de Brazza Alexandre Yersin
(Kamputchéa) (Équatoria) (Peste & choléra)
Patrick Deville, « Que pourrais-je savoir de l’exil ? »
Le Matricule des Anges, mai 2004, page. 23) Extrait
« Je serais bien incapable de dire, aujourd’hui, ce que c’est, au fond, qu’un écrivain. (…) Je sais qu’entreraient dans cette définition l’exil et la solitude volontaires ou subis, et aussi la volonté de n’adhérer à rien, ni à aucun lieu du monde (…) Je sais que les écrivains sont des migrants en quête de contrées lointaines où ne pas assouvir leurs rêves. Que (…) tous les écrivains sont des navigateurs ahuris dans la brume (…) Que les plus grands auront su faire de cet exil une étrange beauté, comme on compose un bouquet en agençant joliment ses faiblesses et ses terreurs. »
Notes et références
[1] Patrick Deville est aussi à Nantes directeur littéraire de la Maison des écrivains étrangers et traducteurs (MEET).
[2] Aguirre, le reître meurtrier et Fitzcarrald le fou de Manaus : ce sont surtout les films du cinéaste Werner Herzog qui ont fait connaître ces deux aventuriers au grand public.
[3] Dans ce domaine,Deville a aussi préfacé le texte " Le Grand Burundun-Burunda est mort" de Jorge Zalamea, paru aux éditions Macula en 2018, dont il dit que « c’est un poème culte, l’un de ces joyaux presque secrets, de ces curiosités qu’on se refile sous le manteau entre zélotes d’une "étrange confrérie" », résumant l'aura d'untexte qui se veut synthèse des "suppôts de la tyrannie".
Voir aussi
* Mathias Enard, Remonter l'Orénoque, Actes Sud, 2005 --
* Père et fils par Norbert Czarny -- Étonnants voyageurs --
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<< Christian Broussas, Deville, Amazonia 17/11/2019 © • cjb • © >> ---------------------------------------------------------------------------------
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