Primo Levi Conversations et entretiens - 1963-1987 -
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À l’occasion du centenaire de sa naissanceRéférence : Primo Levi, Conversations et entretiens, 1963-1987, éditions Robert Laffont, Collection Pavillons poche, 508 pages, mai 2019
Annotations Marco Belpoliti, traduction Thierry Laget et Dominique Autrand
Pour célébrer le centenaire de sa naissance, les éditions Robert Laffont rééditent Les Conversations et entretiens de Primo Levi, auteur de Si c'est un homme, dans la collection "Pavillons Poche".
Comme dit Marco Belpoliti qui a dirigé cette réédition, « Au lecteur de recueillir, derrière les mots de ces transcriptions, la vérité qui vibre dans les paroles de Levi et qui se manifeste sous le double aspect d’un optimisme inattendu et d’un pessimisme lucide. »
Repères biographies
Primo Levi naît à Turin en 1919. Chimiste de formation, il s'engage en 1943 dans le mouvement de résistance antifasciste italien, avant d'être arrêté puis déporté à Auschwitz en février 1944. Cette épreuve se retrouve dans son premier livre Si c'est un homme et nourrira son œuvre. C’est sa réédition en 1958 qui le fera connaître au grand public, autant comme témoignage que comme œuvre littéraire.
Tout en travaillant comme salarié, il publiera des livres comme La Trêve en 1963, La Clé à molette en 1978 ou Les Rescapés 1986, dernier essai publié de son vivant. Dans un style à la fois simple et précise, il y soulignait Primo Levi y soutenait l'intérêt du témoignage et pour lui une façon de survivre par l'écriture.
Il consacra sa vie à la lutte contre l'oubli et le négationnisme et s’est donné la mort en 1987. Primo Levi, qui confesse devoir à Auschwitz sa vocation littéraire, revient constamment sur les thèmes abordés dans Si c'est un homme. Il se voulait gardien de la mémoire, vigie contre le nazisme et l'antisémitisme.
Dans ce recueil d'entretiens provenant d’émissions radio ou d’articles de presse, il analyse les thèmes qui sont au cœur de son œuvre. Dans une quête autobiographique, il parle de son enfance dans le Piémont, de musique, de chimie, son premier métier, de l'écriture, d’informatique, de poésie…
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Primo Levi (1919/1987) -- À partir d’un entretien (1986)
Dans une famille bourgeoise comme la sienne, on ne parlait guère de politique, de Mussolini ou d’un quelconque problème juif.Son père avait travaillé en Hongrie et en France et savait ce que l'antisémitisme signifiait. Il avait assisté à la révolution de Béla Kun à Budapest, assez épouvanté par cette expérience, aussi parce que Béla Kun était juif. Son père avait également peur du communisme, surtout de la réaction au communisme juif. Il témoigne ainsi : « Je suis né et j'ai grandi dans un climat fasciste, quoique mon père ne le fût pas, il était hostile au fascisme pour des raisons superficielles : la mascarade, le défilé, le manque de sérieux lui déplaisait... »
« Mon père est mort en 1942... par bonheur pour lui, et pour nous, car il n'aurait pas pu survivre à ce qui est arrivé après. »
Primo Lévy a vingt-trois ans quand Hitler lança la "solution finale". Un an plus tard, il est arrêté dans le Val d'Aoste non comme partisan mais comme juif, un choix qu’il assume. « C'est moi qui me suis fait connaître comme juif… Les miliciens qui m'avaient fait prisonnier m'ont dit : "Si tu es partisan, nous te collons au mur ; si tu es juif, nous t'expédions à Carpi." »
Il voulait montrer qu’on pouvait être à la fois juif et partisan : « J'étais un juif, donc, que les juifs aussi sont capables de se décider à se battre. »
Il était un de ces partisans de la première heure, très peu armés et disposant de très peu de moyens. Au début, à Carpi-Fossoli les fascistes ne traitaient pas trop mal les prisonniers, leur permettant d'écrire, de recevoir des colis, leur répétant qu'ils les garderaient là jusqu'à la fin de la guerre. Mais il a ensuite été remis aux Allemands et l’on peut se demander d’où leur venait cette haine absolue envers les juifs.
À cette question centrale, il pense qu’il faudrait au préalable savoir « pourquoi les Allemands ont accepté Hitler. » Les livres des spécialistes ne sont d’aucun secours pour répondre à ce problème, « celui du consentement massif de l'Allemagne… Ceux qui ont refusé Hitler, on peut simplement dire qu'ils ne l'ont pas accueilli avec enthousiasme. Or, accepter Hitler c'était accepter aussi le programme de son antisémitisme. Le problème est là. »
Si l’Allemagne n’a pas connu de résistance véritable, il y a eu quand même quelques îlots comme ce groupe d’officiers de droite (la Rose Blanche), ce qui restait du Parti communiste… « S’il n'y a pas eu une (vraie) résistance, c'est aussi que c'était un pays policier modèle. » [1]
Le comportement des Allemands, précise Primo Lévy, est assez récent : « Les Allemands du temps de Goethe n'étaient pas ainsi, » pas plus que du temps de l’occupation prussienne telle que la présente Maupassant dans ses nouvelles, pas davantage durant la Première Guerre mondiale où les armées allemandes et françaises n'étaient guère différentes dans leur comportement.
Freud pensait que les Allemands étaient des « mal baptisés, » autrement dit résistaient à toute forme d'assimilation à la civilisation chrétienne. Ils faisaient irruption dans l’Histoire comme un ouragan, un prélat définira même Hitler comme un « Attila motorisé ».
Primo Lévy s’est donné comme ligne de conduite, surtout dans Si c'est un homme, de rester objectif et d’éviter tout jugement explicites, passant par le truchement du jugement implicite pour apporter son point de vue. D’une façon plus générale, il pense que « tous les jugements généraux sur les qualités intrinsèques, innées, d'un peuple ont une odeur de racisme. » Il s’intéresse aussi à la culture allemande, n’éprouvant aucune aversion innée contre les Allemands, « il n'y a aucun réflexe conditionné en moi. »
Il ne croit pas que, même dans l'Allemagne d’Hitler, il n’y ait jamais eu un antisémitisme répandu. Les juifs allemands étaient bien intégrés, ils formaient une bourgeoisie largement assimilée dans la nation allemande et n’étaient pas comme en Pologne ou en Russie, les victimes désignées des pogroms.
Notes et Références
[1] Primo Lévy renvoie au livre de Fallada, Chacun meurt seul qui permet de mieux comprendre ce qu'était l'Allemagne l’époque, Fallada antinazi, avait alors déjà écrit Petit homme, grand homme.
Voir aussi mon site sur Jorge Semprun --
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