Référence : Gérard Mordillat, La Brigade du rire, éditions Albin Michel, août 2015
Mordillat, on aime ou on n’aime pas. Il ne s’embarrasse pas de périphrases et fait sienne cette citation d’Antonin Artaud :« J’ai deux ou trois dents contre la société actuelle. »
J’ai encore en tête le superbe roman qui l’a fait connaître au grand public, Les vivants et les morts, l’histoire de ces ouvriers qui vont lutter jusqu’au bout pour la survie de leur entreprise et donc pour leur propre survie. Je pense aussi à Xénia et sa copine Blandine, ces beaux portraits de femmes qui dans leur lointaine banlieue, font partie des laissés-pour-compte.
La Brigade du rire est de la même veine, il conjugue imagination débridée et combat social dans une farce enlevée qui contient quelques beaux moments de rigolade mêlés de spleen et de mélancolie.
S’il existe une littérature de résistance, à la mondialisation comme à la montée de l’extrémisme, et à la bêtise en particulier, ce sont bien ses romans. Et son roman, La Brigade du rire, représente bien à travers ses personnages et ses aspects ludiques, cette littérature d’engagement.
Une bande de vieux copains qui se remettent avec difficulté des rêves évanouis de leur jeunesse, se retrouve sous l’impulsion de l’un d’eux pour renouer avec le passé et vivre une cure de jouvence.
Dans la bande, Il y a Kowalski, dit Kol et Betty, licenciés de leur entreprise, Rousseau, le beau gosse toujours fringant et devenu prof d'économie, Dylan prof d’anglais et poète qui voudrait bien écrire leur épopée mais n’y parvient pas...
On trouve aussi les jumelles Dorith et Muriel qui voudraient bien faire de leur vie une fête permanente, celui qu’on surnomme L’Enfant-Loup, coureur et bagarreur, Suzana, infirmière en psychiatrie, Hurel, un industriel qui n’a pas abandonné ses idées anarchistes, Isaac le rouquin, distributeur de films, et Victoria que personne n’attendait, compagne du seul membre de la bande qui soit décédé…
Ils voudraient bien dépasser la critique du libéralisme évoluant vers la mondialisation mais il ne savant pas trop comment… et pendant leurs retrouvailles, leur vient une idée qu’ils vont rapidement mettre en application. Cette idée naît de la lecture d’un édito de Pierre Ramut, dans le magazine ultralibéral Valeurs françaises.
Ce type, selon leurs critères, est le symbole même de ce qu’ils veulent dénoncer, un type qui défend la semaine de 48 heures, un salaire de 20% inférieur au smic, le travail du dimanche. Leur idée : se constituer en "Brigade du rire", enlever Pierre Ramut et le faire travailler selon ses préceptes, dans les conditions qu’il destine aux ouvriers. Pour cela, ils l'enferment dans un ancien bunker transformé en atelier et l'installent devant une perceuse à colonne où il doit produire six cents pièces à l'heure...
Au moins, Ramut, l’éditorialiste vedette de Valeurs françaises, saura désormais de quoi il parle…
Gérard Mordillat et Jérôme Prieur
Pendant toute l’opération, on patauge dans le tragi-comique, tragique de ces vies déchirées où chacun a eu son lot de difficultés et de malheur, comique d’une situation improbable. Ce qu’ils veulent dénoncer, à travers le cas Ramut qui n’est qu’un symbole de la dérive d’une société qu’ils supportent de moins en moins, une presse au service des puissants, un monde ouvrier sans illusions coincé entre le chômage et le silence, jusqu’à la scène finale qui se situe bien dans la logique de l’évolution que montre du doigt Gérard Mordillat.
Dans cette fresque où le drame affleure à chaque éclat de rire, Gérard Mordillat nous donne sa vision du monde actuel, ceux qui s’en servent ou les initient, ceux qui luttent avec leurs moyens qui sont souvent dérisoires, les plus motivés qui refusent la soumission et renvoient au rire formidable qui est représente leur ultime bras d’honneur.
Mes fiches sur Gérard Mordillat :
* Les vivants et les morts - Xénia - Ces femmes-là - La brigade du rire -
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<< Christian Broussas, Mordillat Rire 09/01/2020 © • cjb • © >>
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