Oh, il y a bien des temps et des temps…
comment dire, il y a si longtemps
Les ennuis m’avaient alors assailli
Constamment, me harcelant sans répit,
C’est vrai, je n’avais jamais eu de pot,
Et j’étais si mal, au bout du rouleau,
L’espoir peu à peu m’avait déserté,
Mes amis peinaient à me dérider,
S’occupant de moi, sans se départir
De leur légendaire bonne humeur,
De leur tendre chaleur et leur grand cœur.
Trouvant des idées pour me divertir,
Ils blaguaient en me tirant par la manche,
Et venaient me voir même le dimanche :
« Viens avec nous, allons nous amuser,
Viens donc, il faut savoir oublier ! »
On s’est bien amusé, on a dansé,
Dansé, chanté et encore chanté
Jusqu’au matin, jusqu’au bout de la nuit,
Dans des aurores froides aux teints blafards
Me renvoyant parfois à mon cafard,
Quand l’aube pointe et le spleen nous suit,
Sur des musiques qui nous plongeaient dans
Une illusion, un ailleurs hors du temps.
Mais tous mes amis se sont dispersés
Et ma vie de chien a continué ;
Nous nous sommes alors perdus de vue,
les problèmes en vagues sont revenus.
La fête passée, tout fut comme avant,
Gommé, comme après un grand coup de vent,
De nouveau, les cauchemars m’ont hanté,
Mes vieux démons m’ont vite rattrapé,
Tout s’est défait dans les matins grisailles,
Les dédales de la ville muraille.
Que vous dire de plus, tant de tracas…
C’est souvent ainsi quand ça ne va pas.
Et puis un jour loin de ces matins gris,
Loin du fracas des fêtes, j’ai compris :
Il faut bien savoir quitter la place
Et regarder la vérité en face,
Savoir s’en aller et changer de monde
Avant que les regrets ne vous inondent.
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Alors, je suis parti, loin, le plus loin possible,
Le cœur si gros mais qui se voulait impassible,
Sans personne pour me guider sur le chemin,
Sans personne pour partager un bout de pain,
Peut-être ce destin l’ai-je voulu ainsi,
Peut-être bien que c’est lui qui m’a choisi.
Maintenant, le temps a passé sur mes folies,
Même si j’ai cru accepter, prendre le pli
Sans vraiment choisir, sans que je l’eusse voulu,
Mais aucune raison, rien n’a jamais pu
Me rassurer, me mettre assez de baume au cœur
Pour une fois seulement me rendre plus fort.
Aussi, un jour, je suis revenu au village
Bien longtemps après, au mitan de mon âge,
Oh, Sans pour autant être devenu plus sage
Après ce long détour retrouver mes rivages
Comme l’enfant prodigue, le fils repenti,
Voir ailleurs si c’est mieux, chercher mon paradis
Sans me retourner, après que je sois parti
Tout en ressentant un jour le mal du pays,
Avec dans mon for intérieur le pressentiment
Que ce n’est pas vraiment la fin de mes tourments,
Que tous ceux qui m’avaient connus, un peu aimés
J’espère, comme les meilleurs de mes amis,
M’avaient rayé de leur vie puis vite oublié,
Définitivement sorti de leur esprit,
S’apprêtaient à me tourner le dos désormais,
Et sans aucun remords, me renier à jamais.
Depuis mon départ, rien n’avait vraiment changé
Dans toutes les rues qui structurent mon quartier
Quels que fussent alors mes lointains souvenirs,
Quelque chose de difficile à définir,
Une nouvelle boutique en haut de la place,
Mais de mon immeuble, ne restait nulle trace.
Beaucoup de gens, plutôt indifférents, vaquaient
À leurs occupations, allaient et venaient…
Je n’y avais plus maintenant aucun parent,
J’étais vraiment devenu comme transparent.
Le fichu quartier ouvrier de mon enfance
Me revenait dans ses couleurs et ses fragrances
Et à le parcourir, me venait une gène
Tellement l’idée de retour me semblait vaine,
Les souvenirs, le présent, tout se mélangeait
Alors allègrement dans mon esprit, brouillait
Les quelques convictions que je m’étais forgées
Petit à petit tout au long de ces années.
Hésitant, je me sentais si peu sûr de moi
Et vraiment convaincu d’avoir raté ma voie,
Comme traversé sans transition par le doute
D’avoir parcouru en vain toute cette route.
En moi s’instillait cette idée de l’inutile
À sillonner en tous sens les rues de la ville,
Avec l’arrière goût d’un "déjà vécu",
De cette existence dont je m’étais exclu
Où se superposaient en moi des tas d’images
qui me rendaient étranger à ce paysage.
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« Bah, me disais-je parfois, la vie continue,
Allons marcher sans complexe vers l’inconnu,
L’avenir n’est qu’une espèce de jeu en somme,
Une partie de hasard qu’il faut vivre comme
Si un miracle pouvait alors se produire
Et redonner l’espoir en évitant le pire.
Je baignais dans ces sentiments contradictoires
Naviguant ainsi entre espoirs et idées noires,
Certains jours où simplement tout allait bien
Ou parfois le lendemain, sombre et sans entrain,
Incertain et balançant entre ces extrêmes,
Devenu pour un temps étranger à moi-même.
Un jour, face au bistrot de la place du Pont,
Je me promenais sans but, en tournant en rond,
Lorsque j’ai croisé un type plutôt sympa
Mais qui de moi ne faisait vraiment aucun cas,
Dont le visage anguleux ne me disait rien,
Un journal sous le bras, sortant d’un magasin.
Fronçant les sourcils, il s’est soudain retourné,
A un peu hésité, semblant se raviser,
Me fixant comme s’il voyait un revenant,
Comme s’il semblait vouloir remonter le temps
Puis très rapidement ses lèvres ont esquissé
Un sourire et son visage s’est éclairé.
« Oh, quel heureux hasard, que fais-tu par ici,
Tu es parti sans plus donner signe de vie
Ça fait maintenant si longtemps qu’on ne t’a vu,
Rien, plus de nouvelles, on te croyait disparu
Personne ne savait où tu étais passé,
Où tu étais parti par un beau soir d’été.
Même tes voisins et tes copains de la bande
Ne savaient plus que répondre à nos demandes. »
Je ne savais que dire après cette tirade,
Que de soucis causés à tous mes camarades…
« Hum, bafouillais-je, un peu gêné, oui, bien sûr, »
Tu sais, ma vie n’était pas une sinécure,
Oh, à cette époque, j’en avais vraiment marre
Et je n’avais qu’un désir : larguer les amarres. »
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« Sur le moment bien sûr, on n’a pas compris,
Répondit-il, me parlant comme un ami,
On s’était dit alors que tu allais bientôt
Revenir, que, pour s’inquiéter, c’était trop tôt,
Qu’en fait, pour dire vrai, c’était ta volonté
Qu’on ne pouvait aller contre ta liberté. »
J’étais gêné, sans vraiment d’explication
Acceptable sur mon soudain départ, sinon
Que des personnes disparaissent un beau matin
Allez savoir pourquoi, du jour au lendemain,
« Et te revoilà après toutes ces années,
Pour me rappeler ma jeunesse et le passé !
Oh lui dis-je, notre jeunesse, elle est si loin,
Elle s’est peu à peu échappée de nos mains,
On enjolive, on bricole des souvenirs,
On se fait souvent des idées pour embellir,
On joue même les fils prodigues à l’occasion
Quand un jour la vie ressemble à une prison. »
« Tu as dû être surpris, tout a bien changé
Par ici depuis ton départ, dans le quartier.
L’immeuble que tu habitais est démoli,
La vie telle qu’on l’a connue, c’est bien finie. »
Oh oui, il avait bien raison mon ami Jean,
Tout avait changé, rien n’était plus comme avant.
D’ailleurs, moi aussi sans doute j’avais changé,
Je le voyais clairement dans les yeux des autres,
j’avais connu bien d’autres choses, voyagé
Dans des autos puantes et dans d’infâmes cotres,
Finalement, pourquoi tout serait-il figé
Pour toute une vie dans un horizon bouché ?
« Ouais… Y’a pas vraiment de quoi faire les fiers.
« Allez, viens donc avec moi boire un verre, »
Proposa-t-il, avec beaucoup d’aménité,
En me voyant ainsi perdu dans mes pensées. »
Je ne savais quoi lui dire et il me sourit
Comme pour me dire qu’il était mon ami.
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« Aujourd’hui, je ne suis pas tellement pressé
Tu dois avoir bien des choses à me raconter,
Tu ne peux savoir mon plaisir de te revoir
Car c’est bien toi, je n’arrive pas à le croire.
C’est sûr, tous les autres vont en faire une tête
Quand ils sauront, ils vont vraiment se trouver bêtes ! »
J’étais à la fois un peu gêné, si heureux
Et sans voix devant son accueil si chaleureux,
Ça m’a fait tellement de bien de constater
Cette bienveillance qu’il m’avait témoignée,
Qu’il me considérât et qu’il me reconnût
Simplement comme celui que jadis je fus,
Me traitant sans façon et en toute amitié
Comme si j’étais resté un gars du quartier.
Puis un autre est arrivé qu’il m’a présenté,
Et qui lui aussi sans façon m’a salué
Comme si entre nous c’était toujours pareil,
Comme si on s’était tous deux quitté la veille,
Qui m’a serré la main sans être en rien gêné,
M’a demandé des nouvelles de ma santé,
Disant « Quelle surprise, j’en suis tout ému,
Vraiment, te revoir chez nous, on n'y comptait plus. »
Tout ému, sur le coup de midi, en rentrant
Je me suis arrêté un moment sur un banc,
Je me suis dit simplement, la main sur le cœur
Que c’était vraiment super, qu'il restait encore
Par ici du monde et du beau monde sur terre,
Revoyant nettement l’image de mon père
Et j'ai pleuré, comme saisi par le remords,
Sans retenue toutes les larmes de mon corps.
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<< Ch. Broussas, Repenti 12/02/2020 (204) © • cjb • © >>-----------------------------------------------------------------------
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