La face sombre de Charles Baudelaire

Jean Teulé aime nous présenter avec réalisme, crûment même, des personnages qui ne sont pas vraiment des modèles, des biographies décalées de François Villon, de Rimbaud et de Verlaine qui le conduisent naturellement à celle de Baudelaire.

     

Il admire autant l’œuvre qu’il déteste le personnage mais il faut dire que Baudelaire se détestait assez lui-même pour qu’on l’aime sans détours. Fidèle à sa technique, il essaie de brosser un portrait réaliste du poète, au plus près de la vérité, sans concessions bien sûr venant de lui et dans son style direct genre coup de poing qui est sa marque de fabrique.

Et il ne nous cache aucun des traits de Baudelaire, un pervers accro à la drogue… Témoin son petit déjeuner : « À son réveil, il prenait de la confiture verte, de l'extrait gras de haschisch mêlé à du miel et des aromates » quand la plupart des autres artistes en prenaient parfois une demi-cuillère à café dans l'après-midi…

         

Plus tard, il a aussi utilisé l'éther et du laudanum et même du vin d'opium à haute dose pour soigner sa syphilis. À ce rythme là, sa santé en a subi le contrecoup et ce n’est une surprise s’il est mort à 46 ans et qu’il ressemblait quasiment à un vieillard. Le dernier mot qu’il prononça fut ce « crénom » qu’il lâcha en ratant une marche de l'église Saint-Loup de Namur. Hémiplégique à la suite de cette chute, il restera muet jusqu’à sa mort un an plus tard.


Lettre de Victor Hugo à Charles Baudelaire

Il fut aussi très misogyne. On impute ce sentiment au remariage de sa mère avec un homme en vue, le commandant Aupick, futur général et sénateur d'empire. Sa mère n’est plus à lui et c’est une blessure intime qui l’a toujours laissé meurtri. Le soir du mariage, il ira jusqu'à jeter la clef de la chambre conjugale dans le puits de la maison ! De ce jour, la femme est à ses yeux dévalorisée…
« Depuis la première qui m'a trahi, j'ai dorénavant d'odieux stéréotypes à l'égard des femmes, disait-il. En un mot, je ne leur fais plus aucune confiance. »

    
Frontispice de la 1ère édition des Fleurs du mal annotée par Baudelaire

Il fréquentera assidûment les prostituées dont Jeanne Duval, sa muse dit-on et en tout cas sa maîtresse. C’était une métisse de Saint-Domingue, aussi grande qu’il était petit… Dans les rues de Paris, ils ne passaient pas inaperçus, surtout quand il l’emmenait dîner à la Tour d’argent. Leur relation a toujours été très tumultueuse au point qu’un jour il essaiera de l’étrangler mais elle ne se laisse pas faire.
Cette partie sombre en lui, il la cultivait à loisir, exacerbant son côté sado maso.  

   
                                                                                      Jean Teulé

Son rapport avec les autres est de même nature, « Mécontent de tous et mécontent de moi », disait-il. Surtout mécontent de lui, et le mot est faible. N’ajoutait-il pas : « Si j'avais un fils qui me ressemble, je le tuerais par horreur de moi-même. » Ainsi exprimait-il son désespoir et son rejet du monde et paradoxalement, ce fut également le levain de son œuvre, son besoin d’exalter ce dérisoire qui l’accablait, qui lui faisait « pétrir la boue pour en extraire de l'or ».

 

Voir aussi
* Jean Teulé, Fleur de tonnerre --
* Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire --
* Charles Baudelaire, Une jeunesse --

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