Le contexte
* Béatrice de Savoie (1198-1267) et son mari Raymond Béranger IV (1198-1245), mariage en 1219 [1]
* Leurs filles : Marguerite (1221-1295), Éléonore (1223-1291), Sancie (1228-1261), Béatrice (1229-1267)
* Rois : Philippe II Auguste (1180-1223), Louis IX (1226-1270), Philippe III (1270-1285), Henri III plantagenet (1216-1272)
* La guerre de Saintonge (1242) & traité de Paris (1259)
* La "1ère guerre de cent ans" (1154-1259) terminée par le traité de Paris.
Béatrice de Savoie et la Provence
Elle était disent ses contemporains « belle, douce et intelligente.» Elle est née en 1198 au château du Menuet (aujourd'hui disparu) sur la commune de Les Échelles en Savoie. Issue de la maison de Savoie [2], elle devint à 20 ans comtesse de Provence après son mariage avec Raymond Bérenger IV lui apportant en dot la jolie somme de 2000 marcs d'argent. [Voir Note 1] Son père Thomas Ier joue avec bonheur de la rivalité entre l'empereur Frédéric II et le pape Grégoire IX et ne cesse d'asseoir son autorité. Béatrice
reçoit l'excellente éducation d'une jeune fille de son rang, de ce
qu'elle doit savoir de la vie et de ses fonctions, l'esprit ouvert par
les nombreux voyages qu'elle effectue avec son père.
Le comté de Provence connaît une ère de stabilité après une période difficile et confuse. Sous la régence de sa mère Garsende de Sabran, le comté est en fait sous la tutelle du roi d'Aragon et le comte Raymond-Béranger "assigné à résidence." Mais un groupe de provençaux dirigé par Pierre Augier d'Eyguières décide de réagir. Il réussit à libérer leur jeune comte et à le ramener chez sa mère à Forcalquier fin 1216. Le comté peut alors recouvrer son indépendance. [Voir Note 4]
Sa cour à Aix-en-Provence
est l'une des plus brillantes de son époque, élégante et raffinée,
suscitant jalousie et admiration, elle y accueille de nombreux
troubadours qu'elle place sous sa protection comme cet Elias de Barjols qui lui dédie ses chansons comme dans cet exemple:
Comtesse Béatrice, grand bien
J'ai entendu à votre sujet
Car vous êtes bien la plus belle
des gentes dames connues au monde.
Béatrice fit d'Aix-en-Provence
la première cour d'Europe, y attirant nombre de belles dames de la
jeunesse, de sa loge, elle préside les jeux floraux, les tournois de
chevaliers et remet au vainqueur la rose symbolique. Elle aime et défend
les arts, reçoit les hommages de troubadours comme Guillaume de Saint-Grégoire qui loue sa beauté et son haut lignage.
Dans
ce milieu fermé et préservé, la femme est placée sur un piédestal se
livrant à des jeux intellectuels et ritualisés dans le style de
l'amour courtois. [3] Béatrice s'amuse des délicates mondanités et de la rivalité entre ses deux troubadours préférés Blancas et Sardello. De plus, elle possède une jolie plume qu'elle manie volontiers.
Les quatre filles de Béatrice de Savoie :
Marguerite, Éléonore, Sancie et Béatrice de Provence
Le couple comtal réside souvent au château de Saint-Maisme près de Forcalquier dans les Alpes provençales. Célébré à Aix, le mariage de sa troisième fille Sancie (ou Sanchie) avec Richard de Cornouailles, frère du roi d'Angleterre Henri III, sera l'occasion de grandes réjouissances après la guerre de Saintonge entre la France et l'Angleterre aidée par Richard de Cornouailles, frère du roi Henri III et fils de Jean sans terre, qui sera élu roi des Romains en 1257.
La cadette qui se prénomme aussi Béatrice, épousera à Lyon Charles 1er d'Anjou, le propre frère du roi Saint-Louis. C'est un signal fort pour renforcer les liens entre la France et la Savoie. Mais Charles 1er d'Anjou et sa belle-mère Béatrice de Savoie ne s'entendent pas du tout et Saint-Louis devra peser de tout son poids pour arbitrer leur différend. [Voir Note 2]
Romée de Villeneuve, principal collaborateur et homme de confiance du comte, jouera un rôle décisif dans la conclusion de ces deux mariages. [Voir Note 5]
Vues de la Commanderie des Échelles
Retour de Béatrice de Savoie aux Échelles
Amie du pape Innocent IV, elle se tournera peu à peu vers la piété, fait le bien autour d'elle au point qu'on l'appellera "la bonne dame des Échelles" où elle s'est retirée. La chapelle du château des Échelles où elle a été inhumée sera détruite pendant la Révolution mais son crane qu'on a réussi à sauver, se trouve aujourd'hui dans l'abbaye d'Hautecombe, qui borde le lac du Bourget, nécropole de la Maison de Savoie, [4] dans le mausolée de son frère Boniface, archevêque de Canterbury.
Après ses déboires avec son gendre Charles d'Anjou, Béatrice doit quitter la Provence, allant à plusieurs reprises visiter sa fille Éléonore à Londres et finit par s'installer en Savoie dans son pays natal, dans son château des Échelles qu'elle avait reçu en apanage. "La bonne dame des Échelles" comme on la nommait, y mourut en 1267.
En 1260, elle légua son domaine
aux hospitaliers qui y établirent une commanderie, ainsi que les moyens
nécessaires à l'édification d'un hôpital.
La statue érigée en son honneur en a été décapitée en sans qu'on en connaisse vraiment la raison.
Béatrice de Savoie, Un beau visage de Provence
La comtesse de Savoie eut quatre filles et elle connut le bonheur de les voir toutes les quatre devenir reines :
- Marguerite (1221-1295), reine de France (1234-1270) par mariage avec le roi Louis IX ;
- Éléonore (1223-1291), reine d'Angleterre (1236-1272) par mariage avec le roi d'Angleterre Henri III ;
- Sancie (1228-1261), comtesse de Cornouailles (1243-1261) par mariage avec Richard de Cornouailles (1209-1272) frère d'Henri III qui devint roi des Romains en 1257 ;
- Béatrice (1229-1267), comtesse de Provence et de Forcalquier par mariage avec Charles Ier d'Anjou (1227-1285), frère de Saint-Louis qui devint ensuite roi de Sicile puis roi de Naples (1266-1285).
Deux de ses enfants eurent un destin particulier : Béatrice (1252 † 1275), fut impératrice titulaire de Constantinople par son mariage avec Philippe Ier de Courtenay et Isabelle d'Anjou (1261 † 1303), reine de Hongrie par son mariage avec le roi Ladislas IV.
Note 1 : Sur la dot de son mariage en 1220 (extrait du contrat de mariage)
« Au nom du Seigneur, l'an 1219, nonnes [5] de juin, sachent que tous présents et à venir que nous, Thomas par
la grâce de Dieu, comte de Savoie et marquis en Italie, nous promettons
à vous Bertrand et Antelme, évêques d'Antibes et de Digne, recevant
cette promesse au nom de Raimond Béranger, comte de Provence et de Forcalquier,
de livrer de bonne foi, sans ruse et sans aucune diminution audit comte
ou au messager choisi par lui, 2000 marcs d'argent fin [6] aux
échéances indiquée ci-dessous, comme dot donnée au dit comte par son
mariage avec notre fille : soit 1000 marcs à la Circoncision prochaine
et les 1000 restants à la Noël prochaine. »
Note 2 : Un héritage difficile : Béatrice de Savoie et son gendre Charles d'Anjou
Fin 1245, son mari Raymond-Béranger meurt subitement et Charles d'Anjou devient comte de Provence. Mais Béatrice de Savoie revendique, à partir d'une donation viagère de 1244 et d'un douaire de 1232, une partie de l'héritage. (usufruit des comtés de Forcalquier et de Gap en particulier) Les choses s'enveniment, des propos atrabilaires sont échangés et malgré la médiation personnelle du roi Saint-Louis en novembre 125-, Béatrice n'est pas satisfaite.
Charles d'Anjou lui paiera 5000 livres tournois, transaction cautionnée par sceau du roi lui-même. Son autre gendre le roi d'Angleterre Henri III prend sa défense lui écrivant en janvier 1257 qu'il est « grandement las et ému des ennuis et embûches qui lui viennent de Charles d'Anjou. »
Note 3 : Une affaire de famille : La guerre de Saintonge, 1242
Elle commence par l'attribution du fief du Poitou à Alphonse, frère de Saint-Louis au grand mécontentement d'Hugues X de Lusignan et sa femme Isabelle Taillefer, comtesse d'Angoulême et mère du roi Henri III qui sera entraîné dans ce conflit.
C'est donc une guerre entre les rois-maris des deux sœurs Marguerite et Éléonore de Provence à laquelle va se mêler le duc de Cornouailles, frère d'Henri III et mari de Sancie la troisième sœur de Béatrice de Savoie. Une guerre qui va rapidement tourner à l'avantage du roi de France.
Note 4 : Thierry Pécout, L'invention de la Provence, Raymond Béranger V, éditions Perrin, 2004
En ce mois de novembre 1216, une galée appareille en pleine nuit du port catalan de Salou vers les rives du comté de Provence.
A son bord, un jeune adolescent, escorté par des chevaliers provençaux
venus l'arracher à son exil aragonais. Ainsi commence l'histoire de Raymond Bérenger V, héritier d'une Provence déchirée par des rivalités entre factions nobles et les villes comme Marseille, Avignon, Arles, Tarascon, Nice ou Grasse. Beaucoup voient en ce jeune prince le seul dépositaire d'un pouvoir légitime. Sa mère et tutrice, la comtesse Gersende de Forcalquier, ne peut plus désormais espérer gouverner sans lui.
Rien ne laisse alors présager que ce jeune homme sera l'artisan d'un rétablissement de l'État comtal. Pourtant, depuis sa capitale aixoise, il fait de sa principauté l'un des laboratoires de l'État moderne. Raymond Bérenger rompt avec le passé catalan de la Provence, mais aussi avec l'empire germanique de Frédéric II. Les temps lui sont favorables : de Nice à Marseille, le commerce des ports provençaux est prospère.
Cette richesse bénéficie aux églises, châteaux et villes qui arborent de neuves parures. Le comte fonde Martigues et Barcelonnette. Pour la première fois de son histoire, la Provence paraît une principauté cohérente, gouvernée par un prince soucieux de ses prérogatives. La mort prématurée de Raymond Bérenger en 1245, sans héritier mâle, laisse la Provence aux mains de son gendre Charles d'Anjou, frère du roi de France. Une page achève de se tourner. »
Note 5 : L'influence de Romée de Villeneuve
Principal ministre et homme de confiance du comte Raymond Bérenger, Romée de Villeneuve
aura été aussi un homme d’influence. Sa connaissance du monde complexe
de la féodalité sur son déclin et son réseau lui permettent de jouer un
rôle important dans l’union entre Marguerite, la fille aînée du comte et de Béatrice de Savoie et le roi de France Louis IX.
Raymond Bérenger le fera gouverneur de Nice et baron en 1229, ambassadeur à Rome en 1241 puis il fut par testament du comte tuteur de sa dernière fille Béatrice de Provence et régent du comté de Provence. Il maria Béatrice, la nouvelle comtesse de Provence, à Charles d’Anjou, frère du roi Saint-Louis, favorisant ainsi la réunion de la Provence à la France qui aura finalement lieu en 1481 sous Louis XI.
Statue de Béatrice aux Échelles
Notes et références
[1] Raymond Béranger IV ou Raymond Béranger V, selon que l'on compte son oncle Raymond Béranger IV comte de Barcelone comme régent du comté de Provence ou qu'on lui donne le titre de Raymond Béranger II, son neveu devenant alors Raymond Béranger III.
[2] Son père Thomas Ier († ) et sa mère Marguerite de Genève († ). C'est lui qui fit de Chambéry la capitale de la Savoie.
[3] On retrouvera
une forme d'amour courtois au XVIIème siècle avec des "romans fleuves"
comme Clélie de Madeleine de Scudéry ou L'Astrée d'Honoré d'Urfé
[4] Voir Emmanuel Davin, « Béatrice de Savoie, Comtesse de Provence, mère de quatre reines (1198-1267) », Bulletin de l'Association Guillaume Budé,
Voir aussi
* Bernard Demotz, Le comté de Savoie du XIe au XVe siècle : Pouvoir, château et État au Moyen Âge, Genève, Slatkine, , 496 pages
* Article Persée --
* Béatrice de Savoie, Un beau visage de Provence, éditions Bendor, 1960 -
* Béatrice
de Savoie, mère de 4 reines, in Pierre Hoffmann, Ces savoyards qui ont
fait l'histoire, éditions Le papillon rouge, 2018
* Alexandre Doglioni-Mithieux, Béatrice, princesse de Savoie et comtesse de Provence, éditions Néva, 335 pages, mai 2018
* Patrick de Carolis, Les demoiselles de Provence, éditions Pocket, 628
pages, juin 2006 : roman historique basé sur la vie des 4 filles de
Béatrice de Savoie
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<< Ch. Broussas, Béatrice de Savoie 11/02/2021 © • cjb • © >
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