Avec "Mohican", Eric Fottorino ausculte les mutations agricoles
J'ai connu Éric Fottorino lors de sa venue à Divonne-les-Bains pour présenter son ouvrage "Dix-Sept ans"
le 29 juin 2019. J'ai eu ainsi l'occasion d'approcher les différentes
facettes de cet hyper actif tour à tour journaliste, romancier et patron
de presse.
À la faveur de la sortie de ce livre, j’avais fait une présentation d’Éric Fottorino à travers trois de ses romans les plus connus, Baisers de cinéma, Le marcheur de Fès et Dix-Sept ans.
Éric Fottorino et sa fille Elsa
Il publie cette fois un roman sur le thème de l’enracinement et
l’identité paysanne. Un thème qui lui tient à cœur puisqu’il avait déjà
écrit en 2015 un livre intitulé J’ai vu la fin des paysans, disparition du paysan classique comme le définissait le sociologue Henri Mendras, regroupant un ensemble de textes datant pour certains d’une trentaine d’années qui gardent cependant une grande actualité. [1]
« J'interroge le silence de nos vies. » Le marcheur de Fès
Brun Danthôme et son fils Mo. Deux générations qui ont une vision totalement opposée de leur façon d’envisager leur vie. Ils sont bien représentatifs de leur époque : Mo voyait d’abord le beau là ou Brun voyait le rendement et l’argent pour rembourser les crédits et on peut se demander si l’évolution des modes de production ne sonne pas le retour des paysans.
Ils viennent tous les deux d’une longue lignée de paysans francs-comtois, dans leur domaine des Soulaillans qui s’étend sur une cinquantaine d’hectares en champs, prairies et vignes, dans les paysages vallonnés du Jura. À 76 ans, le père apprend qu’il souffre d’une leucémie qui lui vient probablement de l’utilisation intensive d’intrants chimiques qu’il a longtemps maniés sans grande précaution. Son fils désapprouve ce type d’agriculture qu’il trouve dangereuse et obsolète.
Fottorino, le fan de vélo, deux de ses livres sur le vélo, avec Raymond Poulidor
Exit l’agriculture intensive, c’est désormais Brun contre Mo. Brun colle à son époque, optimiste et ayant foi dans la technologie, persuadé que « la chimie tuerait les ennemis des cultures, comme les Alliés avaient eu raison des Nazis. »
L'homme qui m'aimait tout bas Questions à mon père
« Je voulais que l’imaginaire vienne au secours des mots qui n’avaient pas été prononcés. » Dix-Sept ans
Mais au fil du temps, il allait déchanter, comme beaucoup d’autres,
tomber dans les problèmes de surendettement, du recours à une
mécanisation à outrance et une dépendance à l’égard de l’industrie
chimique et agro-alimentaire. Plus que la peur de mourir, « il vit sa maladie comme une sanction envers tout ce à quoi il a cru jusque-là » écrit l’auteur qui ajoute « par ce roman, je voulais témoigner de ce piège dans lequel sont tombés de nombreux paysans. »
Fottorino à La Rochelle Korsakov
Peu de temps avant sa mort et sans avertir son fils, Brun
autorise un promoteur à construire plusieurs éoliennes sur une parcelle
du domaine. Décision capitale qui sera lourde de conséquences pour le domaine des Soulaillans.
Malgré l’aura écologique des éoliennes, elles se marient mal avec le
travail et le mode de vie des paysans qui leur reprochent de bétonner
les terres et d’être de véritables machines industrielles implantées au
beau milieu des terres agricoles.
Mo se réfugie alors aux confins de son domaine, le plus loin possible des éoliennes, défendant jusqu’au bout cette terre transmise par les générations précédentes.
Notes et références
[1] Voilà ce qu’il écrivait alors en introduction de son livre : « L'agriculture
fut la première grande rubrique qu'on me confia au Monde au milieu des
années 1980. J'y ai appris la France vue du sol, avec ses traditions et
ses élans de modernité, ses gestes ancestraux et ses révolutions
silencieuses, ses bouleversements profonds alliant L'exode rural à une
productivité si performante qu'elle fit craindre pour l'environnement.
[…] De crise du lait en crise du porc, c'est un certain visage de la
France qui s'évanouit, tandis qu'une agriculture industrielle et
financière supplante un ordre éternel des champs désormais révolu. »
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<< Christian Broussas, Mohican 27/08/2021 © • cjb • © >>
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