Référence : Patrick Deville, Fenua, éditions du Seuil, 368 pages, 2021
« Patrick Deville : écrire pour célébrer l'étonnement d'être vivant. » Le Temps
L’écrivain voyageur Patrick Deville persiste et signe. Il nous propose cette fois-ci un grand voyage en Polynésie sur les traces de Paul Gauguin bien sûr mais aussi d'autres artistes qui ont été séduits par ces îles assez isolées du Pacifique sud. [1] Le romancier s'est cette fois installé dans une cabane non loin de Papeete, d'où il explore "le pays" des Polynésiens.
Dans la grande fresque qu'il a décidé de peindre et qu'il a appelé Abracadabra [2],
il nous guide sur tous les continents. J'avais déjà rendu compte de
trois de ses romans précédents qui font partie de cette série d'Abracadabra, Viva sur le Mexique, Amazonia sur le Brésil et les pays andins et Taba-taba sur... la France, en Loire Atlantique dont il est originaire.
« Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger. »
Pourquoi Abracadabra lui demande-t-on souvent ? Sa réponse explique aussi bien la genèse de ce mot que son appétence pour les voyages : « Dans mon enfance, j’ai été doublement prisonnier, d’un asile psychiatrique que dirigeait mon père et d’une coquille de plâtre qui devait réparer une malformation de la hanche en m’immobilisant. Curieusement, mon père m’a offert l’histoire d’un petit garçon qui se déplaçait en tapis volant grâce à ce mot magique plein de «a». Pour moi, l’image même de la liberté et du mouvement ! »
Patrick Deville avec Jean Echenoz à St-Nazaire
Tahiti le 15 août 1860. Le début emprunte à Gustave Viaud, médecin de marine, qui suit un chemin identique à celui de Bougainville, son journal représentant une mine d’informations incomparable sur ces contrées assez méconnues. Son voyage retour se fera avec un autochtone nommé Ahutoru qui sera présenté au roi Louis XV tout comme Cook qui fera la même démarche, ramenant de son voyage un nommé Omaï qu’il présentera à son roi George II.
On revit les conflits impérialistes et coloniaux qui opposèrent Français et Anglais qui renvoient à un Gauguin peignant la violence des couleurs tahitiennes. Ces deux hommes sont bien le symbole de la rivalité franco-anglaise pour découvrir de nouveaux territoires et augmenter leur aire d’influence. Bougainville en sortira finalement vainqueur avec l’idée d’étendre les connaissances dans des domaines aussi variés que la botanique, l’astronomie, la cartographie ou la géologie.
En sa compagnie, on voyage au fil des romans aussi bien en Afrique centrale avec Équatoria, au Cambodge avec Kampuchéa qu'en Extrème-Orient avec Peste & Choléra... Patrick Deville ne voyage pas seul, outre Paul Gauguin, il rencontre aussi d'éminents écrivains et peintres qui s'y établir à un moment ou un autre de leur vie. Des Anglo-Saxons Stevenson, Herman Melville, Jack London ou Sumerset Maugham, infatigable voyageur comme l'auteur, qui sillonnera l'Asie, les Antilles et l'Amérique du Sud.
Des Français bien sûr, Pierre Loti sur les traces de son frère Gustave, Bougainville, Victor Segalen [1] ou Alain Gerbault qui réalisa un tour du monde en solitaire à la voile et fut un grand défenseur de la culture polynésienne. [3]
Le Fenua dont il est question désigne l’ensemble des îles, atolls, archipels qui se déploient sur plusieurs milliers de kilomètres, formant ce qu'on appelle la Polynésie.
L'atmosphère qu'il dépeint tient aussi bien à une certaine "sauvagerie" telle que la définit Gauguin qu'à un rejet du monde qu'on dit civilisé et il parvient fort bien à brosser le portrait de tous ces grands esprits, aussi bien que des grandioses paysages polynésiens auxquels on peut trouver un air de Finistère.
Cette beauté "sauvage" du Fenua fut mise à mal par la création du CEP, le Centre d'Expérimentation du Pacifique, et les essais nucléaires qui suivirent, avec toutes les conséquences funestes qu'elles impliquaient, même si cette orientation était à l'époque synonyme d'essor économique et pourvoyeuse d'emplois.
Notes et références
[1] Depuis un an, dit-il dans une interview, « j’avale
de la documentation sur la Polynésie pour le prochain livre. En ce
moment, je lis la correspondance de Segalen, qui est passionnante. Et
aussi Claude Farrère, sur Tahiti. »
[2] La série Abracadabra compte aujourd'hui huit titres et devrait
en compter douze au total.
[3] Voir Alain Gerbault, L'Évangile du soleil : en marge des traversées
Voir aussi mes fichiers
► Haruki Murakami, Profession écrivain --
► Patrick Deville, globe-trotteur braudélien --
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<< Christian Broussas, Deville Fenua 25/08/2021 © cjb • © >>
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