Relations Genève-Rousseau : Le paradoxe
Leurs relations n’ont effectivement jamais été simples, façon long fleuve tranquille. Jean-Jacques Rousseau, qu’on nommera souvent Jean-Jacques, naît en juin 1712 au 40 Grande-Rue dans le cœur de la cité genevoise. (aujourd’hui, la MRL, Maison de Rousseau et de la Littérature)
Dès ses 16 ans, il quitte la ville pour n’y revenir que rarement par la
suite, malgré le lien fort qu’il aura toujours avec sa ville natale. [1] Dans "Les Confessions", il écrira : « Je sentais que retourner à Genève était mettre entre elle et moi une barrière insurmontable. »
D’abord un rappel : De la proclamation de Calvin en 1541 à 1815, Genève est une République indépendante, avant de faire partie de la Confédération Helvétique. Le XVIIIe siècle voit un affrontement entre l’oligarchie qui gouverne la ville et la majorité du peuple qui répond à coups de pamphlets bien sûr interdits par le pouvoir. En 1712, le climat dans la ville est plutôt tendu.
Musée Rath
Le jeune Jean-Jacques,
vivant chez son oncle puis en pension, est alors assez près des
factions populaires mais penche vers un romantisme naturel, en
témoignent des œuvres comme « Julie et la Nouvelle Héloïse », roman épistolaire qui fut un gros succès de librairie ou « Les Rêveries du Promeneur Solitaire »,
ouvrage posthume, entre autobiographie et réflexion. Pour lui, il faut
que l’homme soit libre et souverain, sans pour autant rejeter totalement
la société.
Les bourgeoisies européennes et l’Église voient d’un mauvais œil le développement de la philosophie des Lumières. La République de Genève très conservatrice est aussi dans cette mouvante et n’aime pas trop son enfant prodigue. De son côté, Rousseau commence à être connu avec son opéra-ballet « Les Muses Galantes » présenté en 1744, puis avec son texte « Discours sur les sciences et les arts », un pamphlet contre la foi dans le progrès et part ensuite pour l’Italie.
Genève : statue de Rousseau et sa maison natale ou MRL
Ayant justifié les révoltes populaires et traité la République de Genève « d’État utopique », il est alors rejeté par les élites bourgeoises qui vont brûler ses livres en place publique (Du contrat social en particulier), ce qui l’incite à renoncer à sa citoyenneté genevoise. Le Petit Conseil va également condamner son ouvrage L'Émile en 1762.
Pour Rousseau, le contrat social doit être basé sur la laïcité, la communauté, émanation de la volonté générale. La liberté individuelle est ainsi limitée par les intérêts collectifs. Le peuple devient l’élément moteur du processus législatif. De nombreuses querelles vont marquer la vie politique genevoise, surtout en 1707, 1718 et 1734, entre la bourgeoisie et le patriarcat qui veut lever un nouvel impôt sans l’accord du Conseil général, émanation de la souveraineté du peuple. La bourgeoisie met en avant le droit naturel pour démocratiser les institutions alors que le patriarcat s'appuie sur le contrat social de Rousseau.
Genève : La Grande-Rue et l'île Rousseau
Pendant les années 1754-56 Rousseau fait un bref voyage à Genève, écrit la Dédicace, le Premier discours, évènements importants qui peuvent permettre de comprendre que Rousseau puisse être devenu un défenseur des vertus de la République. Il est partagé entre l’image qu’il avait conservée de la cité et son rejet de la corruption genevoise qui s’amplifie avec la montée en puissance du Patriarcat.
Derrière les questions morales et religieuses, l'enjeu est surtout politique. Le problème est que Rousseau fut prisé aussi bien des libéraux, des radicaux que des socialistes, et de ce fait, il échappe à tout dogmatisme et à toute récupération. [2]
Lettre à D'Alembert Médaillon Grande-Rue Lettre à l'archevêque de Paris
Pour Helena Rosenblatt « certaines
de ses idées les plus originales lui sont venues alors qu’il cherchait à
résoudre les problèmes qu’il avait identifiés dans le fonctionnement de
sa ville natale. » [3]
Rousseau a acquis une solide réputation parmi les militants de la bourgeoisie à partir de 1750 dont des hommes comme Isaac-Ami Marcet de Mézières et Jean André Deluc devenu son ami.
En réponse aux lois fiscales taxant les biens de première nécessité tout en épargnant les produits de luxe, Rousseau répond en 1755 avec son Discours sur l’économie politique en disant qu'une telle politique fiscale « n’avait pas de but de réduction des inégalités et n’était pas décidées par le peuple » (p. 264)
A cette occasion, il distingue souveraineté et gouvernement, insistant sur la volonté générale. Il a un tel succès que des fêtes sont données en son honneur et qu’un pasteur protestant, Paul-Claude Moultou, l'appelle à écrire contre la corruption qui sévit à Genève, ce que fera Rousseau un peu plus tard dans le Contrat social.
Genève, Centre et Grande-Rue
Notes et références
[1] Pour plus de détails, voir Terre des écrivains.
[2] Voir le livre de François Jacob paru en 2009 aux éditions Slatkine et intitulé "La cité interdite (Rousseau à Genève)"
[3]
Dans son ouvrage "Rousseau et Genève, du premier discours au contrat
social (1749-62) paru en 2019, Helena Rosenblatt montre comment Rousseau
a élaboré ses idées en réaction aux événements et aux idées politiques
des Genevois durant la première moitié du XVIIIe siècle.
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<< Christian Broussas • Genève-Rousseau © CJB ° 12/12/2022 >>
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