Les vertus des lois de finances et de financement
En cette année 2023, on a beaucoup parlé de passer par une loi de financement de la Sécurité Sociale selon les modalités prévues à l'article 47-1 pour faire adopter des mesures très contestées comme la réforme de la Sécurité Sociale et ainsi éviter de recourir à l'impopulaire article 49-3.
Un
processus loin d'être évident cependant puisqu'il n'a été que rarement
utilisé [1] et assez retors car il permet de glisser en catimini dans une
loi de financement de la Sécurité Sociale, des dispositions pas vraiment de nature financière.
Reste à évaluer la légalité de cette démarche.
Le texte de l’article 47-1
Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique.
Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l'article 45.
Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.
L'Assemblée Nationale
Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de l'article 28.
La Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'application des lois de financement de la Sécurité sociale.
Le Conseil constitutionnel
Résumé du texte
L’intérêt de l'article 47-1 alinéa 2 est qu’il encadre le processus législatif,
prévoyant des délais impératifs, délai de 20 jours prévu, sinon saisine
du Sénat dans les 15 jours puis renvoi à l’article 45 qui va à son tour encadre la navette entre les deux assemblées et le processus d’amendement. [2]
L’encadrement des délais se poursuit avec l’alinéa 3 de l’article 47-1, qui prévoir la possibilité de recours aux ordonnances de l’article 38, après un délai de 50 jours.
Un article en quelque sorte garde fou empêchant de quitter le chemin tracé en évitant toute tentative de diversion ou d’obstruction… qui augmente grandement les délais d’application.
Le texte et le Conseil constitutionnel
Il
reste en effet à savoir si cet alinéa 2 de l’article 47-1 peut
s’appliquer aux projets de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, les PLFRSS. C’est toute la question de la décision 83-161 DC, en date du 19 juillet 1983 du Conseil constitutionnel. [3]
Ce qui semble assez problématique si l’on en croit cet attendu : « Bien
que les lois de règlement soient des lois de finances, l’ensemble des
règles relatives à l’élaboration des lois de finances ne les concerne
pas. En particulier, les délais et sanctions posés par les articles 47
de la Constitution et 39 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 ne leur sont
pas applicables. »
Mais nous avons aussi la décision n°85-190 du 24 juillet 1985 qui stipule que « dans sa décision n° 86-209 DC du 3 juil. 1986, le Conseil constitutionnel a explicitement affirmé que les délais de l’article 47 al. 2 et 3. s’appliquent au projet de loi de finances rectificative, et non seulement au PLF initiale.»
Reste à savoir si le recours à cette décision pourrait s’appliquer à un PLF rectificatif d’une ampleur jugée particulièrement importante, qui ait autrement dit une dimension politique dépassant les stricts mécanismes financiers.
Ce qui semble bien être la position de maître Marc Landot, avocat à la Cour : Si « les délais de l’article 47-1 de la Constitution s’appliquent aux PLFRSS », plus on ira vers « un texte à caractère qualitatif, et non seulement "paramétrique" » plus les risques seront importants de voir ce texte sanctionné par le Conseil Constitutionnel.
À noter que dans l’hypothèse d’un PLFRSS, le gouvernement devra faire réaliser une étude d’impact rendue publique et doit également demander l’avis du Conseil d’État.
D’où l’abandon de cette possibilité par le gouvernement dans le processus législatif de réforme de la Sécurité sociale, sans doute de peur d’être censuré par le Conseil Constitutionnel.
Ceci est d'autant plus vrai que le Président du Conseil constitutionnel lui-même aurait fait savoir en janvier 2023 qu’une application trop large des dispositions de l’article 47-1 aurait pour effet de nuire « à la sincérité des débats parlementaires » et constituerait « un détournement de procédure. »
Notes et références
[1] Deux fois en 2011 et 2014 et concernant des mesures mineures
[2] Voir 47-1 Vidéo --
[3] Voir Décision CC 1983 --
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