Référence : Clara Dupond-Monod,S'adapter, éditions Stock, collection La Bleue, 200 pages, août 2021, Livre de poche, 144 pages, août 2022
Prix Goncourt des lycéens 2021, Prix Femina 2021, Prix Landerneau 2021
« L'autrice parvient à faire ressentir avec délicatesse et justesse ce que les trajectoires de chacun doivent à la naissance de ce frère mort à 10 ans. » Le Monde
C’est la naissance et la vie d'un enfant handicapé, "anormal" [1] racontées par sa fratrie. L'auteur revient d'ailleurs plusieurs fois sur le fait qu'il soit considéré comme "anormal". [2] C’est un beau garçon, les joues roses, les yeux dans le vague, les pieds recourbés, qui vit toujours allongé.
Dès sa naissance, cet enfant est reçu différemment par les membres de
sa famille. Son arrivée va perturber les relations entre eux. Il pose
le problème de sa place dans cette famille cévenole bouleversée par son
infirmité.
Les
parents, tout en attentions, l’aîné qui s’y attache, se veut
protecteur, une espèce de mère pour lui, la cadette qui au contraire a
tendance à le rejeter et le benjamin qui peine à trouver sa place dans
ce milieu particulier. Chaque membre en est pour toujours impacté.
L'aîné recherchait la bonté et la pudeur de son frère, symbole de
pureté.
« J’aime la colère parce qu’elle a toujours quelque chose à révéler. »
Dans
ce roman qui ressemble à un conte, les enfants jouent un rôle central,
l’amour de l’aîné, la révolte de la cadette qui voudrait sauver la
famille, du benjamin qui voudrait réconcilier tout le monde.
Un conte
puisqu’ici, les murs non seulement ont des oreilles mais peuvent aussi
parler, par l’intermédiaire de la voix poétique des pierres de la
vieille maison cévenole qui narrent l'histoire de la famille, cet enfant
si grandement handicapé, entièrement dépendant des autres et voué à une
courte vie.
Dans une interview, elle donne quelques indications sur la naissance d’un livre qui lui tient particulièrement à cœur : « L'histoire de ce livre a une base autobiographique. J'ai eu un petit frère qui est né handicapé et qui est mort à l'âge de 10 ans. La joie de l'avoir connu a enfin supplanté le chagrin de l'avoir perdu […] Je ne suis pas du tout dans le côté événement tragique qui a marqué ma vie, qui fait que je suis en mille morceaux. Simplement, comme toutes les épreuves d’une vie, ça m’a construite et l’épreuve n’est pas une maladie honteuse. Lorsque l’on doit s’adapter à une personne inadaptée, lequel des deux est en fait le plus inadapté ? »
« Le monde déçoit ceux qui le voudraient meilleur. »
L'aîné comprit rapidement que l'ouïe était le seul sens en état de fonctionner. Pour éveiller l'enfant à la vie et à son environnement, il se força à moduler sa voix, à utiliser toutes les opportunités sensorielles pour intéresser son petit frère au monde qui l'entourait. « L'aîné racontait ce pays où les arbres poussent sur la pierre, ce pays qui se cabre et reprend ses droits chaque fois qu'un muret, un potager... étaient construits [...], exigeant par-dessus tout une humilité de l'homme. "C'est ton pays, disait-il, il faut que tu l'écoutes." »
Il se sentait inadapté, hypersensible aux bruits, réceptif à l'infra langage et se réfugie dans le concret des maths. (p 43-44) « Face à l'épreuve, il s'adaptait. » (p 46) Il avait peur de perdre un proche, « devenu pierre. » (p 53) Il se disait que « le temps ne répare rien, au contraire. Il creuse et ranime la douleur... » Depuis, il a grandi sans se lier... « Trop dangereux, pense-t-il. Les gens qu’on aime peuvent disparaître si facilement. »
Clara Dupont-Monot et Mathias Deguelle
« On
ne peut pas être aussi poreux vis-à-vis du monde sans y laisser un peu
de soi. Le chaos et la raison ne font pas bon ménage. À un moment, il
faut choisir. »
La Cadette s'insurgea contre les changements que provoqua l'arrivée du petit frère. Elle admirait sa mère qui, dit-elle, « ressemble aux pierres d'ici... et sait s'adapter. » (p 72) Mais c'est sa grand-mère qui était son modèle « un mélange de douceur et d'acceptation. » (p 89)
La rupture : dans la scène de l'orange, elle fustige l'hypocrisie, « l'enfant régnait » dit-elle, suscitant sa jalousie. Pour elle, ses 2 frères sont « l'original superbe et la copie ratée. » (p 62)
Elle
voulait réunifier la famille en s'adaptant (elle change de vie, p 95)
et en s'organisant (bilan de ses actions, p 97) La mort de la
grand-mère, qui servait à la Cadette de "normalité" (p 79) fut pour elle un électrochoc. Cette grand-mère qui la comparait à " un cèdre en aplomb de la route". (p 77-78)
Plus tard, devenue adulte, la Cadette dira : « Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. » (p 79)
Qu'y-a-t-il derrière le chagrin des parents, l'attachement de l'aîné, la colère de la cadette prise entre culpabilité et dégoût et la neutralité apparente du dernier ? Il y a la surface des choses (les travaux du père et du fils) et les cicatrices indélébiles du passé (p 110)
La question devient : Comment vivre APRÈS ? Besoin d'être "RÉPARÉS". (ex p 124) mais « avoir vécu le pire éloigne la peur. » (p 130)
Entre les parents et le dernier, les rapports étaient naturels, « une tendresse qui suture les vides. » (p 111) Mais à l'école, la présence de son frère sourdait dans son comportement. (p 117) Il vivait avec son fantôme. (p 118)
La grande réconciliation entre frères se fera sous l'égide d'un brebis malade. (dernière page)
Ce roman est centré sur la famille, très peu sur l'extérieur, que ce soit l'entourage ou les services sociaux. La relation à l'enfant fonctionne comme un révélateur de la personnalité de chacun.
L'Ainé s'est occupé de L'Enfant puis Le Dernier s'est occupé des Parents... entre culpabilité et injustice.
Sur
la forme, les personnages sont anonymes (l'aîné, la sœur...) L'auteur
passe parfois de l'imparfait au présent (p 25, p 46-47) découpant le
récit en phrases courtes ("Il aime cet endroit"... p 26)
« L'écriture console, mais je ne suis pas sûre qu'elle guérisse. »
Ce
livre dégage une puissance émotionnelle particulière sans tirer
vraiment sur la ficelle de l'émotion, sans pathos. Malgré la difficulté
du sujet abordé, il s'en dégage une grande sérénité et, sans donner de
leçons, nous donne un bel exemple d'humanité. Tout est bien senti dans
la relation entre L'Aîné et La Cadette dans leur attitude face à L'Enfant, dégageant une grande puissance émotionnelle..
Malgré
la difficulté d'aborder un tel sujet, il en ressort toutefois la
formidable capacité des humains à S'ADAPTER à toutes les situations, y
compris les plus sensibles.
Notes et références