Guillaume Apollinaire à Nice

Bel exemple de multiculture : né en 1880 à Rome, Italie, en tant que sujet Polonais de l'Empire Russe, Guillaume Apollinaire (Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzski) arrive à Monaco en 1887, passe l'été 1899 en Belgique et, naturalisé en 1916, meurt pour la France en 1918 ... de la grippe Espagnole !
Un condensé d’européen bien avant la lettre.

       
Nice et les écrivains : Guillaume Apollinaire et son frère

S’il vivait en fait à Monaco il fréquentait le lycée à Nice. Cet adepte d’ésotérisme poétique qui créa un genre nouveau qu’il baptisa Calligrammes, écrivit aussi quelques textes sur la ville de Nice, sur la mer dans un style qui se rattache à la tradition classique. Ce qui l’intéresse, bien plus que le vieux Nice ou le bleu de la mer,  c’est le bleu profond des yeux de Lou, rencontrée à la Villa Baratier de Saint-Jean Cap-Ferrat, qui fera naître en lui les vers les plus fougueux. [1]

            
Apollinaire à la Santé                Apollinaire bd Saint-Germain

Au printemps 1915, Guillaume Apollinaire fait son apprentissage d’artilleur à la caserne de Nîmes. De là, il se rend à Nice où il avait vécu, enfant. Il y rejoint Louise de Coligny-Châtillon avec qui il a noué une relation amoureuse tourmentée. Dans les tout premiers jours du mois de janvier 1915, alors qu’il rentre de Nice où il vient de passer le Nouvel An avec Lou, il fait la connaissance, dans le train, de Madeleine Pagès qui deviendra sa muse. Début avril, Lou s’éloigne du poète...

Parti au front en 1914, il écrit à Lou de nombreuses lettres, au dos desquels il lui déclare en vers son amour avec beaucoup de tendresse. L’ensemble compilé ensuite dans un livre intitulé "Poèmes à Lou", comme cet extrait écrit à Nîmes le 30 janvier 1915 :

 « Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur.
 (...)

Souvenir oublié vivant dans toute chose
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses. »


            
Guillaume et Lou (Louise de Coligny-Châtillon)

S’ils se séparent en 1915, restent ces quelques vers prophétiques : le 17 mars 1916, ce n'est pas sur le front de l'armée mais seulement sur le sien qu'un obus vient planter ses éclats, le blessant gravement à la tempe. Pour lui, la guerre est finie, commence une longue convalescence pendant laquelle il continue bien sûr d’écrire, publiant ses fameux "Calligrammes", curieux poèmes dont la disposition des vers forme une silhouette. 

Exemples de Calligrammes :

                                  
    La femme au chapeau  [2]                                 Le zèbre  [3]                               


Certainement très affaibli par sa blessure, Apollinaire succombe (« sous les drapeaux » comme précise la plaque commémorative au Panthéon) le 9 novembre 1918, si peu de temps avant l'armistice. Lors de son enterrement, c'est dans une ambiance de fin de guerre que son cercueil est porté au Père-Lachaise, sous les cris de la foule qui hue l’empereur d’Allemagne au cri de « À mort Guillaume ! »

Lettre d’Apollinaire à André Rouveyre, 1916 [4]
Mon cher André,
Ta lettre m’a fait bien plaisir. Soigne-toi bien. Ecris-moi un mot de temps en temps […] Salue bien Nice de ma part.

Va manger des pâtes chez Guys aux Ponchettes, dans le Vieux Nice, des sanguins à la cave de Falicon, de la daube chez Boutteau, rue Colonna d’Istria, les raviolis à la blette chez la Bicon, au fin fond de la Promenade des Anglais. Dessine et même, si tu as le temps, peins un peu selon ton sentiment une figure entrouverte ou une voile sur la mer.



                  
La tour Eiffel                                    Apollinaire et André Rouveyre


Apollinaire… au fil de ses amours
- 1899, séjour en Belgique à Stavelot près de Spa où il vit son premier amour avec une jeune fille du cru nommée Maria Dubois. Mais les temps sont durs et il devra s’éclipser rapidement "à la cloche de bois". [5]
- 1901
, rencontre en Allemagne avec Annie Playden, gouvernante anglaise de Gabrielle, une jeune fille dont il est le professeur de Français. Une idylle s’ébauche entre eux mais leur contrat venant à échéance, ils se séparent et Annie mettra ensuite un terme à leur relation.

- 1913 Fin de sa liaison avec Marie Laurencin :
« …sous le pont Mirabeau coule la Seine… les jours s’en vont je demeure… »
- 1914, Au début de la guerre, après un refus d’engagement, Apollinaire rencontre Louise de Collignon Chatillon, celle qui sera Lou dans Calligrammes. Ulcéré par sa froideur à son égard, il renouvelle sa demande d’engagement et cette fois est affecté dans l'artillerie à Nîmes. Lou l'y rejoint et devient sa maîtresse, ce qui lui inspirera de nombreux poèmes dont certains devinrent célèbres.

Mais il rencontre alors Madeleine et ils se fiancent… ce qui lui inspire plutôt quelques poèmes érotiques. Ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas de les envoyer aussi à Lou !
Ses amours (suite et fin) : Nouvelle rencontre avec Jacqueline, "la jolie rousse"… qu’il épouse. Malheureusement, déjà gravement blessé à la tête, Apollinaire meurt le 9 Novembre 1918, de la grippe espagnole.

En littérature, il a aussi été un précurseur, inventeur du mot "surréalisme", qu'il utilise dans sa pièce Les mamelles de Tirésias et aussi à l'origine de la suppression de la ponctuation dans la poésie moderne.

        
     Maria Dubois              Annie Pleyden       "La jolie rousse" Jacqueline Kolb


Apollinaire, poète et soldat
En 1913 paraît son recueil Alcools qui s’ouvre avec le fameux poème Zone. Une nouvelle façon d’aborder la poésie comme l'avaient fait avant lui Rimbaud et Mallarmé.  C’est la première fois qu’on ose supprimer toute ponctuation, le rythme du vers devant se suffire à lui-même, une technique qui se libère du carcan des règles poétiques. 

Mais Alcools renoue aussi avec les rythmes classiques de la poésie française. Reliant tradition et modernisme, Apollinaire plonge dans la poésie de Villon en la réactualisant à l’aune de son expérience.

Pour lui, la guerre est d’abord la volonté de participer à une action collective, même s’il va vite déchanter. Et puis, il veut être fier de son pays d’accueil dont il parle et écrit la langue depuis l’âge de 6 ans. Contrairement à d’autres comme Pierre Jean Jouve qui s’exile en Suisse pour mieux dénoncer la guerre, Apollinaire ne se positionnera pas pour ou contre la guerre, il en fait un thème poétique,avec cet objectif de créer pour mieux résister à la destruction.

L'amour niçois de Guillaume Apollinaire : Madeleine, tendre comme le souvenir
                       
Madeleine Pagès                       À Oran en janvier 1916

Au front, Guillaume écrit à la jeune fille rencontrée dans le train en revenant de Nice : « … vous souvenez-vous de moi entre Nice et Marseille au premier janvier. Mes hommages très respectueux. » (avril 1915)
Elle se souvient bien de ce militaire très courtois qui lui avait parlé avec tant de chaleur du vieux Nice... avec ses maisons italiennes, ses cordes lancées d’une fenêtre à l’autre, son paillon, son marché… Elle-même revenait de Nice où elle était allée visiter sa belle sœur, au 17 rue de l’Escarène, son frère aîné Jean-Michel étant parti pour le front.
Elle répond en lui envoyant une boîte de cigares.

  Avec Jacqueline en 1918

Puis leur correspondance se fait plus personnelle, devient de plus en plus tendre. Il l’appelle « petite fée, »  lui envoie un calligramme… lui baise la main. Elle lui envoie sa photo... On avance peu à peu dans la relation : « Vous qui voudriez que je dise Madeleine à votre oreille, ne voulez-vous pas m’appeler Gui à volonté » puis sans ambages « je vous aime profondément, je pense à vous terriblement. »

Il lui parle de Marie Laurencin et de Lou, avec qui il poursuit alors sa correspondance, lui jurant qu’il n’a pour elle qu’un attachement dont elle ne devrait pas être jalouse… En août 1915, il demande officiellement sa main à sa mère, lui vante Nice où son frère réside, « quelle magie que le vieux Nice, ses maisons génoises et le marché au bord du Paillon... tenez cela me donne la nostalgie... » De son côté, elle lui parle de cette odeur du mimosa, trop entêtante. Il se confie volontiers sur son passé, ses goûts, ses pensées, évoque ses années passées à Nice.

       

À cette occasion, les souvenirs d’enfance lui reviennent, ceux du Cap d’Ail, « ô  jardin sous-marin d’algues de coraux et d’oursins...», ceux de Monaco, « J’étais en 5ème et je commençais le grec, nous avions un professeur qui s’appelait Becker... On lui fit tant de farces qu’il dut partir. C’est lui cependant qui me poussa à faire de la littérature. » Il en profite pour aller faire connaissance avec sa famille à Oran pour officialiser leurs fiançailles. [6]

 Son régiment se trouve désormais en première ligne. Comme volontaire, il est affecté comme sous-lieutenant d’infanterie le 20 novembre et connaît les tranchées, le froid, les combats. À la veille de Noël, une permission lui permet de retrouver Madeleine dans sa famille à Lamur, près d’Oran. À son retour, il fait halte à Paris pour revoir sa mère. Le 9 mars, il est enfin naturalisé. Retour au front et écrit le 14 mars à Madeleine : « je te lègue tout ce que je possède, et que ceci soit considéré comme mon testament s’il y avait lieu. » Trois jours plus tard, il est gravement blessé à la tête au bois des buttes.

Transfert au Val de grâce à Paris puis à l’hôpital italien de Paris. Son état s’aggrave et le 16 septembre, il écrit un dernier courrier à Madeleine... « Je suis devenu très irritable... mes compagnons de guerre sont presque tous morts... » Fin de sa relation avec Madeleine. À l’issue d’une vie niçoise consacrée à l’enseignement, elle meurt à Nice en 1963, la même année que Lou.
      
                                                             Après sa trépanation en 1916

Quelques citations
- « Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire. »
- « Les feuilles qu'on foule, un train qui roule, la vie s'écoule. »
- « Faut-il qu'il m'en souvienne, la joie venait toujours après la peine. »
- « Passent les jours et passent les semaines, ni temps passé ni les amours reviennent. »
- « Vienne la nuit sonne l'heure, les jours s'en vont je demeure. »
- « Comme la vie est lente, et comme l'espérance est violente. »

                            
Rousseau : La muse inspirant le poète      Marie Laurencin Le groupe d’amis
Apollinaire & Marie Laurencin                          (Apollinaire au centre)


Notes et références
[1] Pour Apollinaire, follement amoureux, elle était élégante et intrigante, « mutine et langoureuse à la fois » avec ses « grands et beaux yeux de biche ».
[2] La femme au chapeau :
« Reconnais-toi / Cette adorable personne c'est toi.
Sous le grand chapeau canotier / Voici l'ovale de ta figure / Oeil, nez, bouche /
Ton cou exquis / Voici enfin l'imparfaite image de ton buste /
Adoré vu comme à travers un nuage / Un peu plus bas / C'est ton cœur qui bat. »
[3] Le zèbre :
« Mon jouet préféré rayé de noir ou rayé de blanc
va savoir c'est selon mais jamais il ne broie du noir
Zèbre mon ami j'aime quand tu souris tu guéris ma tristesse ma détresse j'aime la caresse de ton poil doux et soyeux tu fais des cabrioles qui me consolent. »

[4] Guillaume Apollinaire et André Rouveyre ont coécrit La Très plaisante histoire [...] de Perceval le Gallois (1918) d'après des anciens textes.
[5] Dans le château de Stavelot, au premier étage, a été aménagé le seul musée qui soit actuellement consacré à Guillaume Apollinaire.
[6] Toutes ces lettres, publiées sous le titre de « Tendre comme le Souvenir » avec une préface de Madeleine sur leur rencontre dans le train, sont aussi document-témoignage sur la vie dans les tranchées et ses souvenirs d’enfance


Christian Broussas – Apollinaire, Nice - 6/02/2017 • © cjb © • >