L’actualité de Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu et Michel Foucault
Pierre Bourdieu et Édouard Louis : Entre individu et collectif
Dans ses cours au Collège de France, Bourdieu dit ceci :« L’une des ruses de la raison sociale, c’est que le monde social vous envoie de gaieté là où il veut que vous alliez, et vous ne voudriez aller pour rien au monde ailleurs qu’à l’endroit où on veut vous envoyer. C’est "l’amor fati" que j’ai décrit plusieurs fois. […] Mais il suffit qu’il y en ait une seule exception pour que cela change tout – c’est la liberté. »
« Effectivement, dit Édouard Louis,je crois, comme Deleuze, qu’une exception individuelle, une fuite même à l’échelle d’un individu, peut faire fuir le système. J’ai souvent cité cet exemple : quand, au XXème siècle, des millions et des millions de Noirs ont fui les états du Sud des États Unis pour échapper à la ségrégation raciale, ces départs étaient des départs individuels, des départs d’individus ou de familles isolées, qui, agrégés, ont produit une transformation radicale des États Unis.
Il n’y a pas d’acte, même le plus singulier, même le plus isolé, qui n’ait une portée collective. »
Pierre Bourdieu et Édouard Louis : violence et domination
« La première fois que j’ai ouvert un livre de Pierre Bourdieu, ce qui m’a le plus ému a été de voir et de ressentir la colère sous chaque phrase. »
Édouard Louis, Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage
Ce qui donne toute son actualité à cette phrase, c’est qu’il pense que «depuis la mort de Bourdieu, Duras, Sartre… on a l’impression que le champ intellectuel est dévasté. Et oui, c’est une chose si belle chez Bourdieu : on comprend qu’il n’y a pas de vérité sans colère, que la colère est la condition de la vérité. Qu’il faut au moins un sentiment aussi fort pour nous arracher à l’évidence de l’ordre social, de la violence, de la domination. »
Bourdieu lui a donné envie « d’écrire de la littérature », comprenant à travers ses écrits que la littérature lui permettrait d’exprimer des émotions plus sûrement que la sociologie. Il prend pour exemple son roman Histoire de la violence : « Quand Reda a mis son revolver sur mon crâne pour me tuer, il criait, il faisait du bruit, et que les jours d’après cette tentative de meurtre, rien ne me faisait plus peur que le bruit […], le bruit était la pire des choses. »
Dans l’œuvre de Bourdieu, il préfère les Méditations pascaliennes et La domination masculine. Tout simplement parce que la lutte pour les femmes doit être une priorité, « les femmes des classes populaires par exemple, souffrent souvent de deux dominations : celle des classes et celle du genre. »
Il revient à Bourdieu en disant qu’il « développe une analyse très subtile de la domination, où il montre que les femmes participent elles aussi à la domination masculine, ou que les hommes souffrent aussi de la domination masculine, des rôles qui leurs sont imposés, des contraintes qu’impose la masculinité. » Il n’empêche que les dominés peuvent aussi reproduire la domination. Toujours dans Histoire de la violence, quand Reda sort son arme, il est en position dominante par rapport à lui mais en même temps, « socialement, en tant que fils d’émigré au chômage, victime du racisme, il est dominé. »
« Les livres de Bourdieu permettent de penser cette complexité immense de la domination. »
Notes et références
[1] Voir ma fiche Gilles Deleuze et Alain Badiou --
[2] Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage, (sous la direction d’) Édouard Louis, PUF (Presses universitaires de France), 168 pages, 2016
Mes fiches sur Pierre Bourdieu
* Pierre Bourdieu, Le retour -- Bourdieu, L'insoumission en héritage --
* Pierre Bourdieu : Sur l'État -- Bourdieu et la sociologie –
Voir aussi
* Annie Ernaux, Hommage à Bourdieu, article du Monde, février 2002
* Mes articles : Annie Ernaux, Le vrai lieu --Mémoire de fille – La place --
<< Ch. Broussas – Bourdieu/Louis - 06/06/2018 <> © • cjb • © >>
Il est bon –et même très sain- de revenir de temps en temps sur la
pensée des philosophes, surtout sur celle de ce qu’on a appelé la « French theory », à une époque (pas si lointaine) des formidables empoignades entre par exemple Alain Badiou et Gilles Deleuze qu’il appelait avec une grande tendresse « mon meilleur ennemi. » [1]
En
plusieurs occasions, j’ai écrit ces dernières années quelques articles
sur ces grands devanciers qui ont marqué leur époque comme peu de
courants philosophiques avant eux et notamment :
- Sur la disparition de Foucault : Michel Foucault, 30 ans déjà --
- Sur Roland Barthes : Roland Barthes refait signe –
- Un inédit de Michel Foucault : Les aveux de la chair --
Pierre Bourdieu Édouard Louis
- Sur la disparition de Foucault : Michel Foucault, 30 ans déjà --
- Sur Roland Barthes : Roland Barthes refait signe –
- Un inédit de Michel Foucault : Les aveux de la chair --
Pierre Bourdieu Édouard Louis
Pour ce qui concerne plus particulièrement Bourdieu, le recueil, intitulé Bourdieu, L'insoumission en héritage et établi sous la direction d'Édouard Louis, que j’ai eu l’occasion de présenter, en est un bel exemple. [2]
Faire vivre Bourdieu n’est donc pas seulement écrire des livres savants sur sa pensée, c’est avant tout réactualiser son attitude fondamentale : l’insoumission.
Pour
appréhender une actualité pléthorique, il faut un corps théorique qui
permet de décoder le flot des événements et de pourfendre les évidences.
Ce sont des hommes comme Bourdieu qui nous
permettent d’éclairer la gangue des événements qui s’accumulent et
nous aident à avoir une vision plus claire de la signification profonde
des choses et du présent.
Bourdieu et Jacques Derrida
C’est pour cette raison qu’inventorier son héritage et évaluer son apport permet d'aider à renouveler théories et politiques. À travers des œuvres comme La distinction, sa pensée doit servir de référence pour concevoir des instruments de réflexion et de critique de la réalité du quotidien.
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Bourdieu et Jacques Derrida
C’est pour cette raison qu’inventorier son héritage et évaluer son apport permet d'aider à renouveler théories et politiques. À travers des œuvres comme La distinction, sa pensée doit servir de référence pour concevoir des instruments de réflexion et de critique de la réalité du quotidien.
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Pierre Bourdieu et Michel Foucault
Périodiquement, Pierre Bourdieu
est l’objet d’une étude ou d’un ouvrage, ce qui est bien le signe qu’il
représente une source essentielle pour aborder les grands sujets de
société : la domination et la reproduction sociale, les rapports de
classe, les théories de la reconnaissance et de la justice, l’amour et
l’amitié, les luttes et les mouvements sociaux, la politique et la
démocratie…
Pas de réponse toute faite bien sûr mais bien souvent des éclairages édifiants, bien au-delà de la sphère sociologique proprement dite, sur les mouvements de fond qui secouent nos sociétés. Toute confrontation de textes n’est-elle pas féconde et nécessaire à l’élaboration d’espaces de création.
Édouard Louis Pierre Bourdieu
Pas de réponse toute faite bien sûr mais bien souvent des éclairages édifiants, bien au-delà de la sphère sociologique proprement dite, sur les mouvements de fond qui secouent nos sociétés. Toute confrontation de textes n’est-elle pas féconde et nécessaire à l’élaboration d’espaces de création.
Édouard Louis Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu et Édouard Louis : Entre individu et collectif
Dans ses cours au Collège de France, Bourdieu dit ceci :« L’une des ruses de la raison sociale, c’est que le monde social vous envoie de gaieté là où il veut que vous alliez, et vous ne voudriez aller pour rien au monde ailleurs qu’à l’endroit où on veut vous envoyer. C’est "l’amor fati" que j’ai décrit plusieurs fois. […] Mais il suffit qu’il y en ait une seule exception pour que cela change tout – c’est la liberté. »
« Effectivement, dit Édouard Louis,je crois, comme Deleuze, qu’une exception individuelle, une fuite même à l’échelle d’un individu, peut faire fuir le système. J’ai souvent cité cet exemple : quand, au XXème siècle, des millions et des millions de Noirs ont fui les états du Sud des États Unis pour échapper à la ségrégation raciale, ces départs étaient des départs individuels, des départs d’individus ou de familles isolées, qui, agrégés, ont produit une transformation radicale des États Unis.
Il n’y a pas d’acte, même le plus singulier, même le plus isolé, qui n’ait une portée collective. »
Pierre Bourdieu et Édouard Louis : violence et domination
« La première fois que j’ai ouvert un livre de Pierre Bourdieu, ce qui m’a le plus ému a été de voir et de ressentir la colère sous chaque phrase. »
Édouard Louis, Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage
Ce qui donne toute son actualité à cette phrase, c’est qu’il pense que «depuis la mort de Bourdieu, Duras, Sartre… on a l’impression que le champ intellectuel est dévasté. Et oui, c’est une chose si belle chez Bourdieu : on comprend qu’il n’y a pas de vérité sans colère, que la colère est la condition de la vérité. Qu’il faut au moins un sentiment aussi fort pour nous arracher à l’évidence de l’ordre social, de la violence, de la domination. »
Bourdieu lui a donné envie « d’écrire de la littérature », comprenant à travers ses écrits que la littérature lui permettrait d’exprimer des émotions plus sûrement que la sociologie. Il prend pour exemple son roman Histoire de la violence : « Quand Reda a mis son revolver sur mon crâne pour me tuer, il criait, il faisait du bruit, et que les jours d’après cette tentative de meurtre, rien ne me faisait plus peur que le bruit […], le bruit était la pire des choses. »
Dans l’œuvre de Bourdieu, il préfère les Méditations pascaliennes et La domination masculine. Tout simplement parce que la lutte pour les femmes doit être une priorité, « les femmes des classes populaires par exemple, souffrent souvent de deux dominations : celle des classes et celle du genre. »
Il revient à Bourdieu en disant qu’il « développe une analyse très subtile de la domination, où il montre que les femmes participent elles aussi à la domination masculine, ou que les hommes souffrent aussi de la domination masculine, des rôles qui leurs sont imposés, des contraintes qu’impose la masculinité. » Il n’empêche que les dominés peuvent aussi reproduire la domination. Toujours dans Histoire de la violence, quand Reda sort son arme, il est en position dominante par rapport à lui mais en même temps, « socialement, en tant que fils d’émigré au chômage, victime du racisme, il est dominé. »
« Les livres de Bourdieu permettent de penser cette complexité immense de la domination. »
Notes et références
[1] Voir ma fiche Gilles Deleuze et Alain Badiou --
[2] Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage, (sous la direction d’) Édouard Louis, PUF (Presses universitaires de France), 168 pages, 2016
Mes fiches sur Pierre Bourdieu
* Pierre Bourdieu, Le retour -- Bourdieu, L'insoumission en héritage --
* Pierre Bourdieu : Sur l'État -- Bourdieu et la sociologie –
Voir aussi
* Annie Ernaux, Hommage à Bourdieu, article du Monde, février 2002
* Mes articles : Annie Ernaux, Le vrai lieu --Mémoire de fille – La place --
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