Paul Éluard (1895 - 1952)
« Et par le pouvoir d'un mot... »


« Le pain est plus utile que la poésie ». Ces mots, c'est le poète Paul Éluard qui les a prononcés dans une conférence en 1936.Bien sûr, il ignorait encore que ses vers allaient participer quelques années plus tard, à leur manière, à la victoire contre l’Allemagne nazie.
Celui qui fut si proche des surréalistes est d’abord connu pour une œuvre qui célèbre avant tout l'amour et la liberté, un poème qui représente la preuve qu’il existe « des mots qui font vivre ».


« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur »


Les Grindel –c’est son vrai nom- ont tout pour être heureux : Jeanne, couturière et Clément, comptable, forment un couple charmant, surtout depuis qu’ils ont un petit Eugène, né en 1895 à Saint-Denis. Comme un autre enfant, il poursuit ses études jusqu'à sa première attaque de tuberculose qui l’envoie en 1912 dans un sanatorium près de Davos, en Suisse.

Eugène est ainsi confronté à une longue inactivité qu’il comble en écrivant des vers et en tombant amoureux. Héléna est russe mais il n’aime pas son prénom et la rebaptise Gala. Les poèmes d’amour s’enchaînent à un rythme tel que sa mère est mandé en 1913 de trouver un éditeur pour un recueil qu’il intitule simplement Premiers poèmes.

 

Puis l’année suivante vint la guerre qui le voit servir comme infirmier dans la Somme. Mais, vue sa constitution, il est éloigné du Front et pour éviter de penser qu’il est un privilégié, il écrit un deuxième recueil intitulé Poèmes pour la paix, publié en 1918 qu'il signe Éluard, du nom de sa grand-mère.


André Breton, Paul Éluard, Benjamin Perret et Tristan Tzara


« La Terre est bleue comme une orange »

Après la guerre er son mariage avec Gala, il fréquente un groupe d’écrivains d’avant-garde réunis autour de Tristan Tzara nommés les dadaïstes, embryon de ce qui va rapidement devenir le surréalisme dirigé de main de maître par un André Breton féru d'inconscient et d’onirisme. 

    Maria Benz alias Nusch

Éluard connaît une période de doute et en 1924, il part pour une grande balade qui dura sept mois, qu’il qualifiera lui-même de « voyage idiot » dont il parlera peu. C’est à son retour qu’il rejoint tout à la fois le mouvement surréaliste et autour du monde, voyage de 7 mois qui restera d'ailleurs une énigme. À son retour, il se lance de tout son talent dans l'aventure surréaliste, rejoignant par la même occasion le Parti communiste
Sa rupture d’avec Gala qui le quitte pour devenir la muse de Salvador Dali, ne l’empêche pas de poursuivre ses créations, publiant alors les recueils Capitale de la douleur en 1926 et L'Amour la Poésie en1929. 

Il va de nouveau rencontrer l'amour, au hasard d’une rue, une jeune fille qui s’appelle Maria Benz et qu’il rebaptise illico Nusch. Devenue l'égérie des surréalistes, surtout du photographe Man Ray, elle fut son inspiratrice et sa femme en 1934, pour, écrira-t-il dans "Notre vie",  « dix-sept années toujours plus claires ».

   
                Paul Éluard et sa femme Maria Benz, alias Nusch 


Lui, l’homme libre qui s’éloigne du surréalisme, refusant en 1933 de sacrifier sa liberté de créateur pour se mettre au service du bolchevisme, il est exclu du parti communiste. Puis en 1938, il rompt définitivement avec Aragon et Breton à qui il reproche de trop séparer art et politique.
Il n’en publie pas moins en 1937 un nouveau recueil intitulé Mains libres.

« J'écris ton nom... Liberté »
En 1942, pendant cette guerre mondiale qu’il appellera les « années-poussière », nouvelle volte-face : il décide de renouer avec  le Parti communiste, de rejoindre la clandestinité et d’écrire une poésie plus engagée centrée sur un appel à la Résistance. Il participe par exemple au recueil L'Honneur des poètes en 1943 et enregistre des disques clandestins.

Le hasard… ou un impérieux destin qui fit  qu’en 1943, c'est son poème « Liberté » que la Royal Air France choisit pour être parachuté sur la France. Bien belle propagande pour un poème, l’un des plus célèbres du XXe siècle, dont Éluarda raconté la naissance : « Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté

Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant ».


 
J’écris ton nom, Liberté…
Curieux destin n’est-ce pas que ce poème voué à la postérité alors qu’Éluard a écrit d’autres poèmes, sans doute aussi intéressants, comme par exemple d’autres textes sur ce même thèmes extraits du recueil Au-rendez-vous allemand publié en 1945 que sont « Courage » où il appelle Paris à garder espoir, ou encore son hommage au résistant Gabriel Péri :
« Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli […]

Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant »
.


« Mon passé se dissout je fais place au silence »

À la Libération, Éluard est "le poète de la Résistance", respecté, consacré mais ce triomphe ne dura pas et car « le jour en trop », le 28 novembre 1946, Nusch décéda subitement, loin de lui. « Morte visible Nusch invisible » dira un Éluard qui fera graver ces vers sur sa tombe : « Mon amour si léger prend le poids d’un supplice »).

Il ne peut alors uniquement se consacrer qu’à deux anthologies poétiques. Puis il réussit de nouveau à écrire mais la disparition de Nusch l’avait changé, avait sans doute bouleversé aussi son univers mental et désormais, écrit-il, « le seul abri possible c'est le monde entier ».
Il renoue avec le parti communiste, devient son poète officiel, effectuant des voyages en Grèce, en Pologne, en URSS, appelant constamment à la paix, thème dominant de ses Poèmes politiques parus en 1948.

 

Mais comme Nusch, la maladie va le rattraper en 1952 à seulement 57 ans, malgré l’amour que lui portait Dominique son dernier amour. Le communiste qu’il était n’eut pas droit à des obsèques nationales mais ses funérailles populaires au Père-Lachaise furent à la hauteur de sa célébrité, il repose à côté d’un petit rosier ; « Bonjour tristesse...» écrivait-il en 1932 dans La Vie immédiate.

<< •• Ch. Broussas –Paul Éluard- 27/07/2018 © cjb © •• >>