dimanche 11 janvier 2015

Gustave Flaubert en Bretagne

Par les champs et par les grèves, par Gustave Flaubert et son ami Maxime Du Camp, est un récit de voyage en Bretagne, publié en 1881.

Référence : Édition originale : 1881,  Réédition Pocket, 2002, isbn 2-266-11220-1

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La Bretagne entre champs et grèves 

Gustave Flaubert et Maxime Du Camp

Gustave Flaubert et Maxime du Camp sont deux jeunes amis, une amitié qui durera toujours, à l’image de Frédéric Moreau et de Deslauriers dans "L’Éducation sentimentale". Ils décident d’aller visiter la Bretagne, long voyage d’agrément s’étalant sur environ quatre mois, et ils partent tous deux sac à dos la 1er mai 1847, changement de climat jugé salutaire pour Flaubert qui souffre des nerfs depuis sa grave crise de janvier 1844.

Nous connaissons bien leur périple, aussi bien par la relation qu’ils en ont faite dans leur récit "Par les champs et par les grèves" [1] que par les lettres que Flaubert envoya à sa maîtresse Louise Colet. [2] Après être passés par le Val de Loire, ils arrivent à Carnac où Flaubert est surpris par l’importance et le mystère de ces alignements, se perd en conjectures sur cette civilisation qui a hissé dans de gigantesques efforts de tels symboles. « Voici donc, écrit-il mi figue mi raisin, ce fameux champ de Carnac qui a fait écrire plus de sottises qu’il n’a de cailloux. » (p. 90) Il flâne aussi sur le bord de mer, prend des bains de soleil sur la plage, contemplant « le soleil s’abaissant sur la mer qui variait ses couleurs… »

Ils donnent leurs impressions sur les contrées qu'ils traversent et les gens qu'ils rencontrent, émaillées de quelques digressions, intéressante évocation d'un récit qui nous entraîne essentiellement en Bretagne, but ultime du voyage, mais aussi en Touraine et dans l'Anjou.

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En route vers Saint-Malo
Ils remontent vers la presqu’île de Quiberon, « à gauche les îles d’Houat et d’Hoedic bombant sur la surface du pâle azur leurs masses d’un vert-noir, Belle-Île grandissant les pans à pic de ses rochers couronnés d’herbe et la citadelle dont la muraille plonge dans la mer… » Belle-Île qui l’impressionne par « la roche s’ouvrant dans toute sa grandeur montait subitement ses deux pans presque droits que rayaient des couches de silex et où avaient poussé de petits bouquets jaunes. »

 Voyage culturel aussi bien sûr : ils visitent la Vénus de Quinipily, statut de granit, femme dénudée « posant une main sur sa poitrine. » (p. 127) Les deux amis se rendent ensuite en Cornouaille, Quimperlé très agréable mais sans cachet, le grand marché de Rosporden, Quimper « le centre de la vraie Bretagne. » (p. 130 et 139) Quimper ville étape offre sa « belle promenade d’ormeaux le long de la rivière. » C’est la fête avec les rues tendues de drap de calicot, les cloches qui sonnent à toute volée, des pétales de roses et des juliennes semés sur les pavés ; un dimanche de fête avec une belle procession.

 Dans le sud du Finistère, ils trouvent une pluie tenace qui leur gâche la visite de Concarneau avec ses hautes murailles et « ses mâchicoulis encore intacts comme au temps de la reine Anne. » Ils traversent la forêt de Fouesnant sous une pluie battante et arrivent à Pont-L’abbé fort trempés. Flaubert est conquis par les nombreuses petites églises bretonnes fort pauvres mais ô combien émouvantes, par la ferveur religieuses de ses habitants, de ces églises « semble se concentrer toute la tendresse religieuse de la Bretagne. » Cette ferveur l’amène à cette réflexion : « L’ascétisme n’est-il pas un épicurisme supérieur, le jeûne une gourmandise raffinée ? »

 Le beau temps finit par revenir. De Crozon à Landévennec, « la campagne est découverte… une mousse rousse s’étend à perte de vue sur un sol plat avec parfois quelques champs de blé. » Á l’évidence, le paysage de cette région ne lui plaît guère. Après les étendues de landes, ils longent la crête d’un promontoire « qui domine la mer… se répandant du côté de Brest, tandis que de l’autre, elle avance ses sinuosités dans la terre qu’elle découpe, entre des coteaux escarpés, couverts de bois taillis. (p. 172)
      Flaubert admira la côte sauvage

Brest et son port ne l’enthousiasment guère, même la mer lui semble assujettie à l’activité industrieuse des hommes. Le reste est à l’avenant, un théâtre désaffecté, « des églises déplorables, une place d’armes carrée »… seule éclaircie,  l’esplanade des derniers remparts, sa vue grandiose sur la rade et le large.

 « En s’écartant du littoral et en remontant vers la Manche, la contrée change d’aspect, elle devient moins rude »quand on entre dans le pays de Léon, plus fertile. « Saint-Malo, bâti sur la mer et clos de remparts semble une couronne de pierres posée sur les flots dont les mâchicoulis sont les fleurons. » Manifestement, il aime la ville et ses alentours, ira se recueillir sur la tombe de Chateaubriand sur l’île du Grand-Bé.

 Avant de quitter Saint-Malo, les deux amis font un crochet par Cancale, « aligné sur un quai de pierres sèches », où ils mangent des huitres et jouent aux touristes, faisant, note Flaubert, « chauffer ma guenille au soleil à faire le lézard... le corps inerte, engourdi, inanimé… » Par Dol et Pontorson, ils prennent la route du Mont-Saint-Michel qui se détache au loin sur son éperon rocheux. Il reste sans voix, plein d’admiration devant « la muraille de la Merveille avec ses tente-six contreforts géants […] Entre deux fines tourelles, la porte d’entrée du château s’ouvre par un voûte longue où un escalier de granit s’engouffre.» (p. 237)

 Á l’époque, le lieu n’est pas encore un centre touristique connu, Flaubert découvre un atelier de tissage dans la salle des Chevaliers et la nef de l’église sert alors de réfectoire aux prisonniers car le Mont reçoit encore de prison avec des cachots redoutés et inexpugnables. (détails p. 237-238)

Saint-Guénolé

De Combourg à Rennes
Leur périple breton continue par une visite-pèlerinage à Combourg dont l’enfance de Chateaubriand a été bercée. Ils trouvent le château en piteux état, aucune réfection n’ayant été entreprise depuis fort longtemps. Combourg : « Quatre grosses tours rejointes par des courtines… des meurtrières dans les tours, sur le corps du château de petites fenêtres irrégulièrement percées font des baies noires inégales sur la couleur grise des pierres. » Un large perron dessert un étage devenu rez-de-chaussée devant le comblement des douves.

C’est le tableau général qu’en dresse Flaubert quand il arrive au pied de l’édifice. Il est déçu par la vétusté des lieux et impressionné de retrouver l’intimité du jeune Chateaubriand : « Rien ne résonnait dans la salle déserte où jadis à cette heure, s’asseyait sur le bord de ces fenêtres, l’enfant que fut "René". Le second étage est à l’abandon. Il entre dans une petite pièce avec émotion : « C’était là sa chambre. Elle a vue vers l’ouest, du côté des soleils couchants. […] Assis sur l’herbe, au pied d’un chêne, nous lisions "René". »

Le soir, ils flânent le long du lac, toujours sur les traces de Chateaubriand. Devant la fenêtre ouverte de sa chambre, il pense à cet homme « qui a commencé là et qui a rempli un demi-siècle du tapage de sa douleur. » (p. 244 à 249) Ils partirent fort tristes de Combourg pour aller découvrir Rennes. Déambulant le long de la Vilaine, ils assistent à un spectacle donné par une troupe locale. La fin du voyage approchait : « Bientôt allait finir cette fantaisie vagabonde que nous menions… le retour aussi a ses tristesses anticipées qui vous envoie par avance la fade exhalaison de la vie qu’on traîne. »

Pont-Croix
Pont-Croix où ils passent en 1847 et où ils sont contrôlés par les gendarmes

Conclusion
Pour Flaubert, ce voyage a été "une fort jolie excursion". Sacs au dos et souliers ferrés, ils ont fait tous deux 160 lieues dans des conditions parfois difficiles. Il est très satisfait de son expédition, impressionné par la mer, « le grand air, les champs, la liberté, j’entends la vraie liberté, celle qui consiste à dire ce qu’on veut, à penser tout haut à deux, et à marcher à l’aventure en laissant derrière vous le temps passer sans plus s’en soucier que de la fumée de votre pipe qui s’envole. »

En fait, il est désolé qu'il arrive à son terme son équipée à travers la Bretagne commencée un matin de mai 1847, deux écrivains à l'aube de leur carrière partant à l'aventure dans une région alors assez sauvage, loin de la 'civilisation', loin du tapage du monde, un peu comme Bouvard et Pécuchet, pour écrire aussi ce livre à 'quatre mains', Flaubert se chargeant des chapitres impairs et Du Camp des autres.

Notes et références
[1] Gustave Flaubert, "Par les champs et par les grèves", édition de poche Pocket n° 11574, 2002
[2] « J’ai fini le dernier chapitre de "La Bretagne" écrit Flaubert à Louise Colet courant septembre1847

Bibliographie
* Gustave Flaubert, "Correspondance", choix et présentation de Bernard Masson, Folio classique, Gallimard, 1988
* Claude Mouchard et Jacques Neefs, "Flaubert, une vie, une œuvre, une époque", éditions Balland, 1986
* Herbert Lottmann, "Flaubert", éditions Fayard, 1989, réédition collection Pluriel

Voir aussi
* Le perroquet de Flaubert
* Gustave Flaubert, de Déville à Croisset
* Gustave Flaubert en Bretagne

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