dimanche 8 février 2015

Jean de La Fontaine et l'actualité

Ces vers qui nous viendraient de Jean de La Fontaine ne sont en fait qu'un pastiche plutôt bien tourné... mais lisez aussi la fable de La Fontaine qui suit, curieuse par son actualité...
 
Voir aussi ma fiche La Fontaine à Château- Thierry

LE CHIEN ET LES CHACALS

Du coquin que l’on choie, il faut craindre les tours
 Et ne point espérer de caresse en retour.

Pour l’avoir ignoré, maints nigauds en pâtirent.
 C’est ce dont je désire, lecteur, t’entretenir.
 

Après dix ans et plus d’homériques batailles,
 De méchants pugilats, d’incessantes chamailles,
 Un chien était bien aise d’avoir signé la paix
 Avec son voisin, chacal fort éclopé
 Qui n’avait plus qu’un œil, chassieux de surcroît,
 Et dont l’odeur, partout, de loin le précédait.
 Voulant sceller l’événement
Et le célébrer dignement,
Le chien se donna grande peine
Pour se montrer doux et amène.
Il pria le galeux chez lui,

 Le fit entrer, referma l’huis,
L’assit dans un moelleux velours
 Et lui tint ce pieux discours :
 « Or donc, Seigneur Chacal, vous êtes ici chez vous !
 Profitez, dégustez, sachez combien je voue
 D’amour à la concorde nouvelle entre nous !
 Hélas, que j’ai de torts envers vous et les vôtres,
 Et comme je voudrais que le passé fût autre !
 Reprenez de ce rôt, goûtez à tous les mets,
 Ne laissez un iota de ce que vous aimez ! »


L’interpellé eut très à cœur
D’obéir à tant de candeur.
 La gueule entière à son affaire,
 Il fit de chaque plat désert
Cependant que son hôte affable
 Se bornait à garnir la table.
 Puis, tout d’humilité et la mine contrite,
 En parfait comédien, en fieffée chattemite,
 Il dit : « Mais, j’y songe, mon cher,
Nous voici faisant bonne chère
 Quand je sais là, dehors, ma pauvrette famille :
Mes épouses, mes fils, mes neveux et mes filles,
 Mes oncles et mes tantes que ronge la disette,
Toute ma parentèle tant nue que maigrelette.
Allons-nous les laisser jeûner jusqu’au matin ? »

 
 
« Certes non ! » répliqua, prodigue, le matin,
Qui se leva, ouvrit, et devant qui passèrent
 Quarante et un chacals parmi les moins sincères.
 Sans tarder cliquetèrent les prestes mandibules
Des grands et des menus, même des minuscules.
 Ils avaient tant de crocs, de rage et d’appétit,
Ils mangèrent si bien que petit à petit
 Les vivres s’étrécirent comme peau de chagrin
 Jusqu’à ce qu’à la fin il n’en restât plus rien.


 Ce que voyant, l’ingrat bondit :
« Ah ça, compère, je vous prédis
 Que si point ne nous nourrissez
 Et tout affamés nous laissez
 Tandis que vous allez repu,
La trêve entre nous est rompue ! »
 


Ayant alors, quoi qu’il eût dit,
 Retrouvé forces et furie,
Il se jeta sur son mécène,
Et en une attaque soudaine
il lui récura la toison,
Aidé de toute sa maison.
Puis, le voyant à demi mort,
 De chez lui il le bouta hors.
 Et l’infortuné crie encore
« La peste soit de mon cœur d’or ! »
 Retenez la leçon, peuples trop accueillants :
 À la gent famélique, point ne devez promettre.
 Ces êtres arriérés, assassins et pillards


 Marchent en rangs serrés sous le vert étendard.
Vous en invitez un, l’emplissez d’ortolans,
Et c’est jusqu’à vos clefs qu’il vous faut lui remettre.

LA LICE ET SA COMPAGNE (Livre II, fable 7)

Une Lice [1] étant sur son terme [2],
Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa Compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la Lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa Compagne revient.
La Lice lui demande encore une quinzaine.
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine.

Pour faire court [3], elle l'obtient.

Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.
La Lice cette fois montre les dents, et dit :
Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.

Ses enfants étaient déjà forts.

Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,
Il faut que l'on en vienne aux coups ;
Il faut plaider, il faut combattre :
Laissez-leur prendre un pied chez vous,

Ils en auront bientôt pris quatre.

 Jean de LA FONTAINE
  
[1] Lice : femelle de chien de chasse, destinée à faire race (Richelet)
[2] sur le point de mettre bas
[3] pour abréger


> > Voir aussi le site Poètes et poésies

<< Christian Broussas – La Fontaine - Carnon, 7 février 2015 • cjb •  >>



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