Référence : Patrick Modiano La danseuse, éditions Gallimard, collection Blanche, 112 pages, octobre 2023
« On écrit à la fois pour ressusciter les choses et s'en délivrer. »
« Brune ?
Non ; Plutôt châtain foncé avec des cheveux noirs. Elle est la seule
dont on pourrait retrouver des photos. Les autres, sauf le petit Pierre, leurs visages se sont estompés avec le temps… Et pourtant, certains détails demeurent assez présents. »
On
sait et on ne sait pas. Dès le début, on entre de plain pied dans
l’ambivalence, l’ambigu, l’équivoque. Une certitude cependant : c’est
bien du Modiano, son style sec, hésitant sur le mot juste à utiliser, la tournure de phrase à retenir, le pointillé qui dit autant qu’il tait.
Une ambiance qui se dégage lentement de la gangue de l’histoire qu’il raconte.
« Le
temps qui a brouillé les visages a gommé aussi les points de repère. Il
reste quelques morceaux d'un puzzle, séparés les uns des autres pour
toujours. » L'incertain
cède la place à l'irrémédiable. Quelque part, tout est figé et tous les
efforts du narrateur seront vains pour parvenir à reconstituer le
puzzle de ces existences insaisissables. La peau de chagrin de ces vies
est condamnée à rester trouée.
« Ces images réapparaissent comme remontent les noyés à la surface de la Seine. »
C'est ainsi : «On a beau faire de son mieux et se croire hors d'atteinte, on n'échappe pas toujours aux fantômes » mais on retrouve ses thèmes, objets fétiches, sa cartographie personnelle d'un Paris
qui boucle souvent sur les années quarante ou les années soixante, des
personnages aux identités floues, improbables, des bottins laissés ici
ou là, qui interrogent plus qu'ils ne renseignent...
« Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans ( 2022), comme je n'en avais jamais connu de ma vie. »
A travers l'histoire d'une danseuse et d'un petit garçon, Pierre, qu'il va chercher à la gare d'Austerlitz, c'est toute une ambiance dans laquelle nous sommes plongés, peuplée d'un tenancier de bar pas clair, d'un Serge Verzini et ses coordonnées téléphoniques, de personnages équivoques qui sortent de l'ombre pour mieux y retourner. Verzini connaît la danseuse depuis très longtemps, il a vu naître le petit Pierre et même ce père qui a disparu, menacé de prison, un homme qui constate « qu'il a fallu que je mette un peu d'ordre dans ma vie. »
Émergeant du flou de ses souvenirs, Modiano en détache des scènes plus précises : les retours vers l'appartement de la danseuse, les promenades avec le petit Pierre, les soirées passées chez Pola Hubersen, les rencontres avec Hovine, l'ami d'enfance, André Barise, le harceleur et l'éditeur Maurice Girodias. Le docteur Péraud ainsi que sa femme Madeleine reviennent dans ce récit après leur apparition dans un autre roman "Souvenirs dormants" paru en 2017.
Avec Emmanuel Le Roy Ladury
On retrouve ici beaucoup de ses thèmes favoris comme l'enfance
délaissée, les personnages interlopes et douteux ou les fantômes du
passé et certains lieux très prisés tels que les quais de Seine, la Place Clichy, les bars et restaurants autour de l'Étoile ou la rue Coustou.
« Grâce à la danse, elle s'est donné une discipline... C'est un peu comme vous. » p 88
Avec ce court roman (une centaine de pages), Patrick Modiano nous fait partager la vie d’une danseuse et de son fils à Paris. Le narrateur, amoureux de la danseuse, évoque la vie quotidienne avec elle et son fils, le petit Pierre, qu'il juge assez énigmatique.
La danse y tient une large place, surtout le ballet, et la sévère discipline qu’il implique qui, écrit l’auteur « permet de survivre ». Elle confine même à une discipline fondamentale pour « que le corps s’épuise pour atteindre la légèreté et la fluidité. »
Elle est à la fois douleur et libération comme si, écrit toujours Modiano, on était « libéré des lois de la pesanteur. » C’est ce qu'on peut lire dans un article : « Comment ne pas lire dans les mots de Patrick Modiano, une écriture envisagée à l’instar de la danse comme une discipline pour se libérer. » (cf le site "lepavedanslamarge.fr")
La dernière phrase : « Pierre rit de plus en plus fort. Et nous reprenons notre marche tous les trois dans la nuit jusqu’à la fin des temps ».
On a dit qu'il s'agissait d'un livre bilan après 50 ans de carrière mais finalement pas plus que Chevreuse, son roman précédent.
"La danseuse" représente comme une métaphore de son travail d'écrivain
marqué par la recherche de la précision, de la fluidité sans rien de
superflu. Il parvient à la quintessence en rognant constamment pour
atteindre à l'essentiel, comme ces peintures modernes réduites à
quelques signes.
Modiano dans Paris - Quelques exemples
Depuis son premier roman intitulé Place de l’Étoile
(l'actuelle place Charles-de-Gaulle), qui représente aussi l’étoile
jaune que devaient porter les juifs pendant la dernière guerre, Modiano nous entraîne dans son sillage à travers Paris.
On pérégrine ainsi de la Cité universitaire avec Pacheco dans Fleurs de ruine (1991) à la rue de Montparnasse en compagnie de Dannie dans L'Herbe des nuits (2012), du boulevard d'Ornano où vécut Dora Bruder (1997) à la place des Pyramides où se déroula l'Accident nocturne (2003).
Au fil de ses romans, on se balade aussi dans le centre de Paris, par exemple de la rue des Saussaies à la place des Pyramides ou du quai Conti au Châtelet ou dans La danseuse, flâner dans le IXème arrondissement.
Voir aussi
"Sur les pas du jeune Modiano" à Jouy-en-Josas dans les Yvelines : La maison où il vécut, L'école Jeanne D'Arc, la rue de Beuvron et le café de l'espérance. De la rue du Docteur Kurzenne au pensionnat du Montcel, il y aura passé 6 années de sa jeunesse. (cf son roman Chevreuse)
Voir également
* Mon site Catégorie Modiano -- Modiano interview --
* Chevreuse -- Encre sympathique --
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